Etude du risque de cataracte radio-induite chez les cardiologues interventionnels : l’étude O’CLOC

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01/10/2013
Contexte


L'exposition du cristallin aux rayonnements ionisants (RI) peut, en fonction de la dose reçue, conduire à la formation de cataractes qui sont des opacités cristalliniennes partielles ou totales (Shore 2016). Les principales formes cliniques sont la cataracte nucléaire, la cataracte corticale et la cataracte sous-capsulaire postérieure, cette dernière localisation étant la plus souvent évoquée pour parler d'un lien avec l'exposition aux RI. En 2011, s'appuyant sur les résultats de plusieurs études épidémiologiques, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) a revu drastiquement à la baisse ses recommandations pour les travailleurs, ramenant la limite annuelle d'exposition au cristallin de 150 à 20 milliSievert[1] (mSv) (ICRP 2011).

Parmi les travailleurs, les professionnels de santé représentent une population à risque pour la cataracte radio-induite, en particulier les cardiologues interventionnels qui réalisent des actes sous guidage fluoroscopique avec rayons X (coronarographie, pose de pacemakers, etc.). C'est ce qu'ont confirmé les résultats de l'étude épidémiologique O'CLOC (pour Occupational Cataracts and Lens Opacities in interventional Cardiology) menée par l'IRSN.


Objectif


Entre 2009 et 2013, le Laboratoire d'épidémiologie des rayonnements ionisants de l'IRSN a mis en place l'étude O'CLOC (Jacob et al., 2010) pour évaluer le risque d'opacités cristalliniennes chez les cardiologues interventionnels par rapport à un groupe contrôle non exposé.


Description 


Les cardiologues interventionnels de plus d'une trentaine de centres français ont été invités à participer. Lors d'un entretien téléphonique, un questionnaire médical reprenant les informations individuelles, antécédents médicaux et facteurs de risque potentiels de cataracte a été complété, ainsi qu'un questionnaire professionnel décrivant l'activité passée et actuelle en salle de cathétérisme. Des travailleurs non exposés du centre de Fontenay-aux-Roses de l'IRSN ont été invités à participer à l'étude O'CLOC pour constituer le groupe témoin comparable au groupe exposé en termes d'âge et de sexe. Le même questionnaire médical leur a été proposé. Enfin, tous les participants exposés et non exposés ont bénéficié d'un examen ophtalmologique, incluant une dilatation pupillaire et une cotation du type (nucléaire, cortical, sous capsulaire postérieur) et du stade (0, 1, 2, 3, 4, 5) des opacités cristalliniennes selon la classification internationale LOCS-Lens Opacities Classification System-III.


Résultats


Une centaine de cardiologues interventionnels et une centaine de travailleurs non exposés de 50 ans d'âge moyen et comparables pour leurs caractéristiques cliniques ont été inclus dans l'étude. Les analyses ont montré un risque d'opacités sous capsulaires postérieures près de 4 fois plus élevé chez les cardiologues interventionnels par rapport au groupe témoin non exposé (17 % de cardiologues interventionnels présentaient des opacités cristalliniennes au niveau sous capsulaire postérieur contre 5 % dans le groupe d'individus non exposés), alors que les autres types d'opacités cristalliniennes étaient répartis de façon homogène entre les deux groupes (Jacob et al., 2013a). L'analyse des questionnaires professionnels sur une durée moyenne d'activité en salle de cathétérisme de 20 ans, a également montré que la connaissance et la prise en compte des règles de radioprotection semblaient s'améliorer mais restaient très variables selon les praticiens (Jacob et al., 2013b ; Jacob et al., 2014). Près de 40 % des cardiologues déclaraient encore une utilisation partielle ou nulle de leur dosimètre poitrine, seul moyen d'obtenir un suivi dosimétrique en routine exhaustif. Parmi les cardiologues n'utilisant pas ou peu de moyens de radioprotection au niveau des yeux,  60 % avaient dépassé au moins une fois la valeur limite d'exposition annuelle de 20 mSv/an (Jacob et al., 2013b). Concernant l'utilisation des moyens de protection contre les rayons X, la prise de conscience du risque de cancer radio-induit explique certainement que le tablier de plomb et le cache thyroïde soient maintenant couramment utilisés. Cependant l'enquête a montré que les équipements de protection individuels des yeux, tels que les lunettes ou visières plombées, restent peu utilisés, par un médecin sur deux, alors qu'ils permettent de diviser l'exposition des yeux par 5.


Conclusion et perspectives


L'étude O'CLOC a permis de confirmer et préciser le risque de cataracte radio-induite encouru par certains professionnels médicaux, en particulier les cardiologues interventionnels. Ces résultats sont concordants avec ceux du projet européen EURALOC (2015-2017) (Domienik-Andrzejewska et al., 2018 ; Covens et al., 2018 ; Struelens et al., 2018) auquel l'IRSN a participé et qui a inclus près de 300 cardiologues interventionnels dans toute l'Europe : ils montrent l'importance de la surveillance dosimétrique chez les professionnels de santé et l'utilisation des équipements de radioprotection. Les données recueillies dans EURALOC permettront, en plus, une analyse précise du lien entre la dose absorbée par le cristallin de l'œil et le risque d'opacités cristalliniennes (relation dose-réponse).

 

La confidentialité des données de l'étude O'CLOC a fait l'objet d'un accord CNIL (N° 909138, obtenu le 07/04/09).

 

Financements: IRSN, Commission Européenne (FP7 OPERRA)

 

[1] le milliSievert (mSv) est l'unité de dose utilisée en radioprotection. Pour comparaison, la dose moyenne reçue par la population française en 2016 du fait de l'ensemble des sources d'exposition est estimée à 4,5 mSv.


Références


Covens P, Dabin J, De Troyer O, Dragusin O, Maushagen J, Struelens L. Track, calculate and optimise eye lens doses of interventional cardiologists using mEyeDose and mEyeDose_X. J Radiol Prot 2018; 38(2):678-687.

 Domienik-Andrzejewska J, Ciraj-Bjelac O, Askounis P, Covens P, Dragusin O, Jacob S, Farah J, Gianicolo E, Padovani R, Teles P, Widmark A, Struelens L. Past and present work practices of European interventional cardiologists in the context of radiation protection of the eye lens-results of the EURALOC study. J Radiol Prot 2018; 38(3):934-950.

ICPR. International Commission on Radiological Protection - Statement on tissue reaction - April 21, 2011.  ICRP ref 4825-3093-1464; 2011.

Jacob S, Boveda S, Bar O, Brezin A, Maccia C, Laurier D, Bernier MO. Interventional cardiologists and risk of radiation-induced cataract: Results of a French multicenter observational study. Int J Cardiol 2013a; 167(5):1843-1847.

Jacob S, Donadille L, Maccia C, Bar O, Boveda S, Laurier D, Bernier MO. Eye lens radiation exposure to interventional cardiologists: a retrospective assessment of cumulative doses. Radiat Prot Dos 2013b; 153(3):282-293.

Jacob S, Michel M, Spaulding C, Boveda S, Bar O, Brézin A, Streho M, Maccia C, Scanff P, Laurier D, Bernier MO. Occupational cataracts and lens opacities in interventional cardiology (O'CLOC study): Are X-Rays involved? Radiation-induced cataracts and lens opacities. BMC Public Health 2010; 10:537.

Jacob S, Scanff P, Bertrand A, Laurier D, Bernier M-O. Use of personal radiation protection tools and individual dosimetric monitoring in a sample of interventional cardiologists in France, 2005–2009. Radioprotection 2014; 49(4):257-260.

Shore, R E. Radiation and Cataract Risk: Impact of Recent Epidemiologic Studies on ICRP Judgments. Mutat Res 2016; 770(Pt B):231-237.

Struelens L, Dabin J, Carinou E, Askounis P, Ciraj-Bjelac O, Domienik-Andrzejewska J, Berus D, Padovani R, Farah J, Covens P. Radiation-Induced Lens Opacities among Interventional Cardiologists: Retrospective Assessment of Cumulative Eye Lens Doses. Radiat Res 2018; 189(4):399-408.



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Laboratoire IRSN impliqué