Savoir et comprendre

Des retours d’expérience diversifiés sur une situation unique

28/01/2013

Gérer une contamination au tritium en pleine ville était un précédent pour l’IRSN. Pour ses experts, le retour d'expérience, tant en termes technique que de gestion de crise « psycho-sociale », aura été important.

 

Gérer les inquiétudes des riverains
 

« La densité de la zone était telle que nous devions demander l'autorisation de pénétrer dans les jardins des particuliers pour effectuer des prélèvements d'eau ou de végétaux », explique ainsi Guillaume Manificat, responsable du laboratoire de veille radiologique de l’environnement de l'IRSN lors de l’événement. « Il nous a fallu expliquer ce que nous faisions et, entre deux prélèvements, répondre aux inquiétudes des riverains. »
 

Autre élément d'appréhension : l'incompréhension de la population face à un discours rassurant et, en parallèle, à la présence de personnels de l’Institut en tenue de protection, à savoir une combinaison avec masque et bouteilles d'oxygène. « Nous avons dû expliquer que les experts envoyés à l'intérieur du bâtiment bénéficiaient effectivement, par mesure de précaution, d'une protection maximale... mais que si le risque restait à évaluer à l’intérieur des locaux, il était très probablement faible dans l'environnement proche et donc pour les riverains », se rappelle Olivier Chabanis, coordonnateur de l'équipe durant l'intervention, immédiatement envoyée sur place pour les premiers prélèvements.
 

L'expérience a également souligné la nécessité de prendre en compte l'évolution des demandes et des attentes des riverains, au fil du temps. « Le voisinage était dans un premier temps très demandeur de prélèvements, puis, une fois rassuré, ne souhaitait plus que nous revenions car il craignait de voir leurs biens immobiliers dépréciés », poursuit Guillaume Manificat. « Cette expérience nous a montré que, une fois le risque sanitaire écarté, les habitants se préoccupent des conséquences économique et médiatique. De ce point de vue, l'enseignement a été pour nous important. »

 

Trouver les bons mots
 

« L'accident de Saint-Maur-des-Fossés nous a également permis d’affiner notre réponse à la population, qui connaît généralement peu la radioactivité et s'inquiète vite de ses conséquences », poursuit Alain Rannou, expert en radioprotection de l'IRSN également dépêché sur les lieux pour prendre en charge la question de la santé des travailleurs et des riverains.
 

« Dans cette situation relativement unique, nous avons dû faire preuve d’empathie, être objectifs mais également rassurants dès lors que nous avons eu la confirmation qu'il n'y avait pas d'enjeu sanitaire. Avec le Pr Patrick Gourmelon, alors directeur de la radioprotection de l'homme à l'IRSN, également dépêché sur place, nous avons travaillé ensemble, unifiant progressivement nos discours, c'est-à-dire en utilisant les mêmes mots, simplifications ou exemples, pour faciliter la compréhension de tous dans le temps, et ce, quel que soit l'expert. »
 

Et l'expert de poursuivre : « Peu de temps après, ce retour d'expérience s'est avéré utile lors de l'accident de Fukushima : nous avons alors été confrontés à des demandes légitimes du public qui souhaitait en connaître les conséquences en France. »

 

Investir dans des matériels spécifiques
 

L'autre enseignement concerne l'équipement des intervenants de l’IRSN, l'expérience de Saint-Maur-des-Fossés ayant de fait mené à une réflexion sur le matériel de mesure mis en œuvre. « Nous n'avions jamais vécu d'urgence sur une contamination au tritium auparavant », reconnaît Philippe Dubiau, responsable de l’intervention d’urgence à l’IRSN. « En situation normale, concernant le tritium, nous sommes appelés principalement par des établissements qui ont des déchets dans leurs locaux et nous demandent de venir les trier et les caractériser. »
 

A la suite de cet accident, l’Institut a décidé de renforcer sa capacité de mesure du tritium in situ. « Les moyens de mesure du véhicule laboratoire utilisés lors de cette intervention ne fournissaient que des données relatives : nous savions que la contamination de l'échantillon A était plus forte ou moins forte que celle de l’échantillon B, mais nous ne disposions d’aucune valeur dans l’absolu », poursuit-il. « Seules les mesures réalisées par la suite en laboratoire fixe ont permis d'avoir des valeurs de référence, avec un résultat chiffré. Nous avons donc décidé qu’un nouveau véhicule d’intervention, déjà à l’étude pour d’autres situations accidentelles et d’autres radionucléides, serait adapté pour être capable d’embarquer du matériel spécifique permettant des mesures chiffrées pour le tritium. » Un véhicule aujourd'hui en cours de développement.
 

Décision d'investissement identique du côté de la cellule environnement, chargée d'évaluer les conséquences de l'accident. « A Saint-Maur-des-Fossés, nous avions dès la première nuit mis en place un barboteur dont nous disposions », explique Guillaume Manificat. Cette technologie permet d’avoir une évaluation de la contamination au tritium. « Mais il nécessite un délai d'une semaine pour obtenir un résultat de mesure et la présence d'une prise électrique », poursuit-il. Pour fonctionner, l'appareil doit en effet aspirer de l'air ce qui implique une source d'énergie.
 

Très rapidement, la cellule a donc emprunté un condenseur auprès du laboratoire de radioécologie de Cherbourg-Octeville (Manche) de l’IRSN, qui est également venu apporter son assistance. Ce laboratoire est à l'origine de la conception de ce matériel reposant sur une technologie beaucoup plus rapide puisqu'elle délivre un résultat en une heure. Le revers de la médaille : le condenseur ne donne qu'une image instantanée de la contamination. « Depuis cet accident, nous avons acquis deux condenseurs afin de posséder notre propre matériel. En outre, nous travaillons actuellement sur le brevet d'un dispositif de prélèvement du tritium qui conjugue les avantages des deux technologies actuellement disponibles ».

 

 

3 questions à Marc Monnet, chef de l’entreprise 2M Process
 

Quel appui vous ont apporté les experts de l’IRSN ?
 

Dès que l’incident a été détecté, ils ont pris les choses en main techniquement, mais également humainement. Le personnel avait besoin d’une parole qui rassure. Cela a été immédiatement fait grâce à des réunions d’information en groupe et individuelles et à un numéro de téléphone laissé à notre disposition.
 

La parole des experts était-elle suffisante ?
 

Début 2011, l’Institut nous a présenté une analyse de l’incident, avec un calcul dosimétrique. Personnellement, ces résultats me suffisent. Pour d’autres, la suspicion demeurera toujours, sans doute à cause de Tchernobyl. Il est impressionnant de voir arriver des spécialistes dans une tenue de « cosmonaute », et je comprends que cela déroute de recevoir en même temps le message « tout va bien ».
 

Deux ans plus tard, que retenez-vous de cet incident ?
 

Concernant notre santé, il n’y avait rien à faire, si ce n’est attendre. Mais cela a représenté beaucoup de stress. L’incident a cassé notre outil de travail. Notre matériel et nos documents étaient contaminés. Afin de relancer l’activité, nous avons toujours été soutenus par les différents protagonistes de cette affaire en plus d’avoir mobilisé l’énergie interne de l’entreprise.