Savoir et comprendre

Recherche : En quête d'une meilleure finesse prédictive

13/12/2012

Seul un logiciel validé sera utilisable pour une expertise reconnue en cas de pollution radioactive. C’est pourquoi les radioécologistes n’ont de cesse d’affiner et de compléter leurs modèles hydrodynamiques.

 

Certains programmes de recherche visent à affiner des modèles de dispersion des radionucléides. D’autres étudient une question précise, comme la mobilité des radionucléides dans les sédiments. Tous affichent le même objectif : ajouter sa pierre à l’édifice, qui permettra, à partir d’un rejet chronique ou accidentel connu, d’évaluer une dose et donc un impact écologique et sanitaire.

 

 

Affiner les modèles

 

Le programme Disver (pour « dispersion verticale ») est une illustration des recherches menées. « Nous travaillons sur la dispersion des radionucléides dans la Manche et la mer du Nord juste après un rejet. Le trajet de ces éléments sur le long terme est déjà bien connu », explique Pascal Bailly du Bois, responsable du programme au laboratoire de radioécologie de Cherbourg-Octeville (Manche) de l’IRSN.

 

Des campagnes de prélèvement ont été réalisées, avec le recueil d’échantillons toutes les 30 secondes sur dix hauteurs d’eau, soit 1 200 échantillons à l’heure. « Cela nous permettra de connaître la dispersion des radionucléides dans les trois dimensions de l’espace : non seulement horizontalement mais aussi en tenant compte de la profondeur de la mer. »

 

Des modèles de simulation de la dispersion sont développés par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Une fois validés par les mesures de radionucléides, ils pourront servir, en cas de rejet accidentel, à prédire le trajet des radionucléides ou, à l’inverse, à localiser la source d’une pollution. « Nous travaillons également à faciliter l’utilisation de ces modèles par tout opérateur du centre technique de crise de l’Institut », poursuit le chercheur.

 

Aider à la prise de décision

 

Autre exemple, le programme Clara 2 qui vient de s’achever, auquel a contribué Hervé Thébault, océanographe du laboratoire de La Seyne-sur-Mer (Var) de l’IRSN. « Clara est un outil de gestion des conséquences d’un accident majeur de navire transportant des matières dangereuses. Il est destiné aux autorités pour anticiper les mouvements de polluants et mesurer leurs conséquences pour l’homme et l’environnement sur la côte. » 

 

Les partenaires sont nombreux : l’École des mines d’Alès (Gard), le Centre de documentation de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre), l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), Météo France, EADS, l’université de Marseille (Bouches-du-Rhône)… « L’Ifremer a modélisé la dispersion de 70 substances dangereuses fréquemment transportées en Méditerranée, comme le méthacrylate de méthyle utilisé pour la production de matière plastique, le xylène – un solvant issu du pétrole – ou encore le styrène, qui sert à fabriquer le polystyrène. » 

 

Ce travail de deux années a permis de dresser une carte des zones sensibles, incluant les zones de baignade, de pêche et les zones écologiques remarquables, attribuant à chacune un code couleur (bleu, vert, jaune, orange, rouge) reflétant sa fragilité. Elle aidera à la prise de décision en cas d’accident majeur, comme celle de remorquer un bateau naufragé hors d’une zone sensible. Cette base de données a d’ailleurs été demandée par le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud.



Les radioécologistes du laboratoire de La Seyne-sur-Mer essaient également d’anticiper en améliorant leurs connaissances de divers phénomènes. Par exemple, grâce au projet Extrema, ils étudient les conséquences d’épisodes climatiques extrêmes – plus fréquents ces dernières années – sur les courants et les sédiments des zones côtières.

 

« Plus de 50 cm de sédiments contenant des radionucléides issus notamment des centrales et de l’usine de retraitement des combustibles de Marcoule comme le césium 137, le cobalt 60, le plutonium ou d’autres actinides, se déposent chaque année au niveau de l’embouchure du Rhône, explique la chercheuse Sabine Charmasson. Or, une partie de ce stock peut être remis en suspension par une crue massive ou une tempête et être redistribué dans le golfe du Lion, qui est une zone de pêche majeure. »

 

En pratique : Des polluants dans le merlu de Méditerranée

 

Comment les contaminants s’accumulent-ils le long de la chaîne alimentaire, du phytoplancton au merlu, en passant par le zooplancton, les crustacés et les petits poissons ? C’est la question à laquelle a répondu le programme Merlumed.  Quatre familles de contaminants, choisies pour leurs propriétés différentes, ont été suivies à la trace :

 

  • les PCB (Polychlorobiphényles, qui sont des dérivés chimiques chlorés), utilisés autrefois dans l’industrie électrique et désormais interdits, mais persistants dans les milieux ;
  • les PBDE (Polybromodiphényléthers, produits chimiques bromés utilisés pour ignifuger), que l’on trouve dans tous les produits ignifugés ;
  • le mercure, qui peut être d’origine naturelle ou provenir des retombées de l’incinération du bois ou des déchets ménagers ;
  • le césium 137, issu des retombées atmosphériques des essais nucléaires et de l’accident de Tchernobyl ainsi que des effluents des installations nucléaires.

 

« Nous avons échantillonné chaque maillon de la chaîne alimentaire du merlu à différentes saisons, sur trois ans », explique Capucine Mellon, chercheuse à l’Ifremer qui a piloté le projet. « Nous voulions identifier le rôle de l’alimentation, mais aussi voir l’influence de ces polluants sur des paramètres comme la croissance ou la reproduction. Cela a représenté 20 campagnes en mer, sur six sites, à des profondeurs de 30 à 400 mètres, soit 500 à 1 000 échantillons pour chaque famille de contaminants. »  

 

Ces données confirmeront la présence des quatre types de contaminants dans le merlu du golfe du Lion, absorbés par son alimentation, et leur accumulation dans son organisme. « Nous avons également montré que le devenir du contaminant dépend de ses propriétés physico-chimiques. Par exemple, les PCB et PBDE se fixent sur les lipides. Or les œufs sont riches en lipides. Chaque fois qu’une femelle pond, elle se décontamine. Les mâles, eux, concentrent la pollution toute leur vie. » 

 

Quid des radioéléments ? Réponse avec Sabine Charmasson, océanographe du laboratoire de La Seyne-sur-Mer de l’IRSN, où ont été réalisées plus de 400 mesures de contamination en césium : « Ce travail a démontré que les concentrations augmentent le long de la chaîne trophique. Elles sont faibles dans le plancton, un peu plus importantes dans les petits poissons et encore plus importantes dans les muscles du merlu. Des résultats qui vont être très utiles pour analyser la pollution marine consécutive à Fukushima, puisqu’il s’agit aussi de césium 137. »