Savoir et comprendre

Expertise : Une équipe consacrée aux conséquences marines de Fukushima

13/12/2012

À partir de données fournies par le Japon, une équipe d’experts de l’IRSN s’est intéressée à l’impact sur le milieu marin des rejets radioactifs consécutifs à l'accident de la centrale de Fukushima-Daiichi. Elle a établi des cartes des zones marines contaminées et tiré des conclusions radioécologiques, qui ont permis de répondre à des questions de la Commission européenne.

 

Dans les jours qui ont suivi l'accident de Fukushima, en mars 2011, une équipe dédiée à la surveillance de l’environnement marin, la « cellule mer », était mobilisée à l’Institut. « Notre principale tâche consistait à récupérer les données de mesure dans l'environnement qui étaient publiées par les autorités japonaises », explique Bruno Fiévet, océanographe biologiste au laboratoire de radioécologie de Cherbourg-Octeville (Manche). Une tâche ardue les premières semaines, ne serait-ce que parce que les données étaient publiées en japonais. « Nous avons dû faire avec, avant d'obtenir des autorités japonaises que les sites soient consultables en anglais », se remémore Bruno Fiévet.

 

Au total, les experts de l'IRSN parviennent à récupérer des données géo-référencées de concentrations en radionucléides dans l'eau de mer et également dans des poissons ramenés par les pêcheurs.

 

« Nous nous sommes partagé le travail entre le laboratoire de Cherbourg-Octeville, qui a travaillé sur l'eau de mer, et celui de La Seyne-sur-Mer (Var), qui s'est attaché aux poissons. Les données géolocalisées sur l'eau de mer ont permis la réalisation de cartes des zones contaminées sur lesquelles on peut observer des taches de concentration qui s'étalent et s'amenuisent au fil du temps. Il nous a également fallu tirer des conclusions radioécologiques en ce qui concerne les quantités de radionucléides relâchées, leurs vitesses de déplacement et de dilution dans le Pacifique, valider dans quelle mesure les taux relevés dans les poissons étaient cohérents avec les concentrations dans l'eau de mer – au regard des coefficients habituels de transfert de l'un à l'autre –, et prédire l'évolution de ces concentrations dans l'espace et dans le temps. »

 

L'ensemble de ce travail d'expertise a donné lieu à la rédaction de notes régulières, au départ destinées aux experts de l'Institut mais qui ont rapidement été rendues publiques sur le site de l'IRSN, en français et en anglais.

 

 

Afin de rendre visible les faibles niveaux de concentration en césium 137, l’échelle des valeurs de la carte à l’échelle régionale est différente de celle de la carte à l’échelle locale, où les concentrations sont plus élevées.

 

Quel risque pour les importations de produits marins du Pacifique nord ?

 

L'IRSN a également été sollicité par la Commission européenne, qui s'interrogeait sur les possibilités de contamination de produits marins importés du Japon et du Pacifique Nord.

 

Un groupe d'experts européens, auquel a participé l'IRSN, a donc été mis en place dès le mois de mai 2011, en parallèle des mesures de contrôle radiologique des importations. « Les experts de l'IRSN ont fourni une analyse indépendante de la quantité de radionucléides rejetés en mer au niveau de la centrale et des phénomènes de circulation d'eau. Ils ont également fourni des données très utiles sur les phénomènes de transfert de radionucléides entre l'eau et les poissons », reconnaît Iain Sheperd, membre de la Commission chargé de ce groupe de travail.

La principale conclusion : « La consommation de poissons du Pacifique pêchés en dehors de la zone économique exclusive du Japon ne présente aucun risque pour les consommateurs ».

 

Au final, les experts ont donc établi que la surveillance des importations de tout le Pacifique était inutile et que la surveillance pouvait se limiter aux pêcheries proches du Japon. Et Iain Sheperd d'ajouter : « En dehors de la Commission européenne, personne n'avait réalisé une synthèse des résultats pour proposer une mesure du risque. Ces experts l'ont approuvée, sachant que nos calculs se fondent sur un scénario du pire, faute de connaître suffisamment les migrations du thon. »

 

Des questions en suspens

 

« Aujourd'hui, les rejets sont bien moins importants qu'au printemps 2011 et la dilution est forte, tant et si bien que les concentrations en radionucléides relevées sont faibles », poursuit Bruno Fiévet. « Nous ne sommes plus dans une problématique de radioprotection de l'homme, mais uniquement de radioécologie marine. »

 

Cependant, la mobilisation demeure. Les experts de l'IRSN attendent par exemple le feu vert et les subventions de l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche) pour lancer différents projets. A commencer par des campagnes de mesure par les pays riverains, qui permettront, par l'observation, de valider les modèles prévisionnels.

 

« Nous disposons de très peu de prélèvements de sédiments locaux, confirme l'expert. Des équipes doivent d'ailleurs partir au Japon pour en réaliser en février ou mars 2012. » Et si l'on dispose de nombreuses données sur le césium 137, le césium 134 et l'iode 131, il n'en va pas demême pour d'autres radionucléides sans doute rejetés. « Les émetteurs alpha comme le plutonium et l'américium, plus toxiques qu'un émetteur gamma comme le césium 137, n'ont pratiquement pas été suivis. »

 

D'autres questions restent également ouvertes, comme l'évaluation de la somme de tous les radionucléides rejetés lors de l'accident. « Faute de disposer d'une mesure fiable de la source, nous avons réalisé des estimations. Pour cela, nous avons utilisé les concentrations relevées dans l'eau de mer et multiplié ce chiffre par le volume d'eau concerné au regard des cartes de concentrations et de profondeurs. Au final, nous avons obtenu une quantité totale de radionucléides, en l'occurrence 27 pétabecquerels (1PBq =1015 becquerels) pour le césium 137, quand les Japonais annoncent de 1 à 4 pétabecquerels. Si l'ordre de grandeur, à savoir le pétabecquerel, est cohérent entre les sources, il va falloir comprendre la différence entre nos résultats et les leurs. »

 

Et Sabine Charmasson, sa collègue du laboratoire méditerranéen de La Seyne-sur-Mer, de conclure : « Fukushima est le seul accident nucléaire survenu en milieu marin. Cette catastrophe représente ainsi une source potentielle énorme de connaissances. D'ailleurs, début 2012, les scientifiques japonais ont commencé à publier leurs premiers résultats de recherche. »