Savoir et comprendre

Cas d'étude à Chinon et sa région

03/07/2013

Informer les riverains de centrales en situation normale et rassembler un maximum de connaissances utiles en prévision d’une crise : tels sont les deux enjeux des actions de radioprotection organisées par l’IRSN, comme c’est le cas autour de la centrale de Chinon (Indre-et-Loire).

L’ingestion d’aliments contaminés, une des voies d’exposition à la radioactivité, est étudiée de près. Les populations locales ont vu leur paysage et leurs habitudes de consommation décortiqués par les experts de l’Institut. Ces informations sont importantes pour établir une évaluation précise de l’exposition des riverains. « La plateforme de modélisation Symbiose [1]  a été testée sur cinq années de rejets de la centrale de Chinon, de 2004 à 2008 », précise Christophe Mourlon, ingénieur-chercheur spécialisé dans la conception et l’utilisation d’outils de modélisation des transferts de polluants radioactifs dans l’environnement à l’IRSN. « Un maximum de données de terrain a été intégré : occupation des sols dans un rayon de 5 kilomètres, débit journalier de la Loire, conditions météorologiques, habitudes alimentaires... Ce fut l’occasion d’évaluer la sensibilité de différents facteurs. Il s’avère que ceux liés aux comportements humains – consommation de produits locaux… – sont ceux qui influent le plus sur l’exposition à la radioactivité. »

« Une enquête alimentaire autour de la centrale de Chinon a été menée cette même année 2008, en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et EDF », poursuit Vanessa Parache, ingénieure de recherche en radioprotection chargée des enquêtes alimentaires à l’IRSN. « Elle apporte des précisions sur les habitudes de consommation des riverains. Le but est de connaître la part d’autoconsommation en un sens plus large que celui habituellement étudié dans les enquêtes nationales. Les produits locaux achetés sur les marchés, directement chez les exploitants agricoles et les dons entre voisins et amis sont ajoutés à ceux du potager, verger et basse-cour », explique-t-elle. « Les résultats ont été pris en compte dans Symbiose », souligne Christophe Mourlon. « La consommation de légumes-fruits renseignée était supérieure d’un facteur 3 à la valeur moyenne préenregistrée. »

 

Du lait, des asperges et du vin

Les analyses régulières effectuées à Chinon concernaient « la teneur en radionucléides mesurée chaque année sur des échantillons de lait, de blé et de salade », précise Thomas Boissieux, ingénieur en radioécologie et surveillance de l’environnement à l’IRSN. D’autres actions ponctuelles ont permis d’approfondir la connaissance du site. « Le constat radiologique Val-de-Loire, réalisé en 2009-2010, élargit par exemple le panel de denrées analysées », illustre Sylvie Roussel-Debet, ingénieure spécialisée en radio-écologie terrestre à l’Institut. « L’accent a été mis sur des productions locales économiquement importantes : concombres, asperges, viande et vins par exemple. »

Recueillir des informations de terrain, c’est avoir des données plus réalistes. « Pour les niveaux de rejets ‘normaux’, les ordres de grandeur des résultats ne changent pas par rapport à des modèles plus anciens », confie Christophe Mourlon. « Ils ne prennent pas en compte de façon exhaustive la dynamique des transferts et les spécificités locales. Il nous semble plus crédible vis-à-vis de la société civile de présenter des données reflétant mieux la réalité du terrain, comme le permet Symbiose. »

 

Une information accessible à tous

Même son de cloche du côté des constats radiologiques : le niveau de contamination de produits du terroir, et pas seulement ceux du lait, du blé et de la salade, intéresse les habitants d’une région.

« Lors des réunions publiques organisées pour présenter les résultats, il est rappelé qu’il est impossible d’analyser tous les produits », précise Sylvie Roussel-Debet. Ces rencontres sont l’occasion de répondre aux questions de manière pédagogique, les résultats d’analyse en becquerels par kilo n’évoquant pas grand-chose aux néophytes. « Pour qu’un riverain de la centrale du Val-de-Loire atteigne la dose annuelle de 1 mSv (la limite réglementaire en France pour l’exposition du public en lien avec les activités nucléaires), il lui faudrait par exemple manger chaque jour 350 kilos de légumes ou boire 300 litres de lait produits à proximité des centrales », illustre Sylvie Roussel-Debet.

Tout citoyen peut avoir accès aux conclusions des constats sur le site Internet de l’Institut, ainsi qu’aux résultats des analyses de routine sur celui du réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement. « Le public apprécie d’avoir accès à des sources variées », commente Véronique Leroyer, chargée des relations avec les commissions locales d’information à l’IRSN.

En cas de crise, les connaissances accumulées en temps normal permettront d’organiser les actions à mettre en place pour protéger les populations une fois la phase d’urgence passée.

La doctrine élaborée dans le cadre du comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d’un accident nucléaire (Codirpa) [2] repose sur un zonage lié pour partie à la contamination des productions de la région. Sa vocation par rapport à l’alimentation est double : protéger les populations locales, en leur interdisant dans certaines zones l’autoconsommation, et limiter l’exposition de celles qui sont plus éloignées, en évitant la mise sur le marché de produits contaminés au-delà des niveaux maximaux admissibles [3].

« Pour établir ce zonage, l’Institut a développé un outil spécifique, appelé Paz », détaille Anne-Christine Servant-Perrier, ingénieure agronome spécialiste du post-accident à l’IRSN. « Il calcule des indicateurs post-accidentels qui sont comparés aux valeurs de référence recommandées par le Codirpa afin de délimiter le zonage prédictif. Il s’appuie sur Symbiose pour l’évaluation des transferts dans la chaîne alimentaire et l’exposition associée de la population, et sur les outils de crise pour la cartographie des dépôts. »

 

Avec les instituts agricoles

D’autres pistes sont mises en place pour anticiper les actions à mener en situation de crise, comme le guide d’aide à la décision pour la gestion du milieu agricole en cas d’accident nucléaire [4]. « À la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire et de la Direction générale de l’alimentation, l’IRSN a rédigé cet ouvrage en collaboration avec les instituts techniques agricoles des différentes filières : fruits et légumes, volailles, ruminants, céréales, vin... », précise David Brouque, chargé de la gestion de la qualité radiologique des aliments à la DGAL. « Il présente, pour chaque filière, les principales voies de transmission – ingestion de fourrage contaminé par les vaches pour le lait, par exemple – et leur cinétique. Il détaille les actions possibles : calfeutrer les bâtiments, approvisionner le bétail en aliments non contaminés… »

Cette démarche prédictive et préventive diffère de celle de certains pays. Le Japon, par exemple, a une autre approche. Au moment de l’accident de Fukushima, les autorités nippones ont attendu le constat de contamination des territoires pour prendre des mesures. 

Notes :
1- Cofinancée par EDF et l’IRSN, elle permet de simuler le devenir des polluants radioactifs dans l’environnement et d’en évaluer les conséquences sanitaires et radiologiques. Plus d’informations ici

2- Mis en place par l’ASN en 2005 à la demande des pouvoirs publics. Plus d’informations ici

3 - Niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires commercialisées en cas d’accident nucléaire ou dans toute autre situation d’urgence radiologique, fixés par règlement Euratom n° 3954/87 et règlement modificatif n°2218/89.
4- Plus d’informations : Paz, un outil d’aide à la gestion des territoires et des populations>

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