Savoir et comprendre

Accidents de Fukushima et de Tchernobyl : des impacts pour l’environnement différents

23/03/2016

 

​​Dans les territoires contaminés de Fukushima, les premiers résultats des études écologiques sont souvent contradictoires et montrent également des différences avec ceux observés dans la zone d’exclusion contaminée après l’accident de Tchernobyl (Ukraine).

 


Source : Antoine Dagan/Spécifique/IRSN

 

Effets des rejets radioactifs dus aux accidents sur la faune et la flore

 

Trente ans et cinq ans après les deux accidents nucléaires majeurs survenus respectivement sur les centrales de Tchernobyl (Ukraine) et de Fukushima (Japon), les études écologiques conduites sur la faune et la flore exposées de manière chronique aux rayonnements ionisants livrent des conclusions souvent contradictoires.

  • Des anomalies morphologiques chez les pins sont observées à Tchernobyl comme à Fukushima. La fréquence d’apparition de ces anomalies serait corrélée à la dose absorbée par les arbres. Toutefois, les estimations dosimétriques dans l'étude réalisée à Fukushima sont incomplètes et ne permettent donc pas d’établir des relations dose-effets robustes.
  • Les effets observés sur l’abondance d’invertébrés terrestres sont fonction des groupes d’espèces étudiés. Pour certains invertébrés seulement, l’évolution de l’abondance avec le niveau d’exposition ambiant est différente à Tchernobyl et à Fukushima. Selon les études, les différences de radiosensibilité entre espèces et les effets liés à une exposition chronique sur plusieurs générations sont les principales pistes d’explication de ces différences.
  • Une diminution du nombre d’oiseaux a été observée dans la zone d’exclusion de Tchernobyl et dans les territoires contaminés de Fukushima. Un phénomène qui est corrélé avec l’augmentation du débit de dose ambiant. Selon l’IRSN, les effets observés sont cohérents avec une étude montrant une baisse de la capacité reproductive en lien avec l’augmentation des doses absorbées.
  • A Fukushima, une étude récente de l’IRSN a estimé que la dose absorbée a plus de poids dans la diminution du nombre total d’oiseaux que l’évacuation des populations humaines (cf. graphique ci-contre). A Tchernobyl, l’évacuation des populations humaines est considérée par certains auteurs ayant publié sur les grands mammifères des réserves de Bioélorussie, comme le facteur déterminant vis-à-vis du retour des animaux dans les territoires contaminés.

La revue des études écologiques met cependant en évidence les lacunes de coopération entre les disciplines scientifiques élémentaires, situation qui peut conduire à des conclusions biaisées.

 

Télécharger la note Études écologiques conduites à long-terme sur la faune et la flore des territoires contaminés par les accidents de Tchernobyl et de Fukushima (PDF, 760 Ko)

Point presse IRSN du 11 février 2016 : De la difficulté d'étudier les conséquences écologiques des accidents nucléaires

par Jean-Christophe Gariel, directeur de l'environnement, IRSN

 

Effets sur les milieux forestiers

 

A Tchernobyl comme à Fukushima, les forêts occupent une grande partie des territoires fortement contaminés. Les connaissances sur le devenir des radionucléides déposés au sein de ces écosystèmes suite aux accidents, ainsi que les pratiques de gestion de ces milieux, contrastées entre les deux pays, permettent de tirer des enseignements précieux pour la gestion post-accidentelle des milieux forestiers.

  • Les caractéristiques majeures des écosystèmes forestiers impactés par les retombées radioactives sont différentes entre les deux accidents. Notamment, l’apparition de la « forêt rousse » est une spécificité de l’accident de Tchernobyl et n’a pas été observé à Fukushima.
  • L’une des caractéristiques majeures des écosystèmes forestiers est la forte rémanence de la contamination radioactive. La redistribution des radionucléides (cf. schéma ci-contre) est très dynamique. Elle est le résultat des processus qui participent au cycle des radionucléides, lequel est fortement corrélé à celui de la matière organique, aux types d’arbres, à la nature du sol, aux facteurs climatiques et anthropiques ou encore aux caractéristiques des radionucléides déposés.
  • L’interception des dépôts radioactifs par la canopée et les transferts des radionucléides vers la litière et le sol sont les processus les plus importants dans la phase précoce et les premiers mois après l’accident.  Peu de connaissances existaient pour la zone d’exclusion de Tchernobyl, mais les données recueillies à Fukushima ont permis de mieux appréhender ce processus. Après l’interception initiale par la canopée, le transfert de la contamination vers le sol relève de deux processus : le pluvio-lessivage de la canopée et des troncs, et les chutes de biomasse pour former les litières.
  • Avec le lessivage des canopées et la chute de biomasse aérienne, le sol devient le réservoir prépondérant où se retrouvent les césiums radioactifs (césium 134 et césium 137). Cinq ans après l’accident de Fukushima, entre 80% et 90 % de ces césiums ont été entraînés dans les premières couches de sol ou d’humus, soit des taux comparable à ceux observés à Tchernobyl.
  • Le risque d’incendie est élevé dans la zone d’exclusion de Tchernobyl où la forêt laissée à une évolution naturelle peut être exposée à des périodes de sècheresse. Ce risque est plus faible au Japon car limité par la courte saison sèche du printemps. Il n’en demeure pas moins que de tels incendies constitueraient des évènements catastrophiques entrainant la dissémination massive des radionucléides à l’échelle locale, voire régionale.

Au Japon, la gestion des écosystèmes forestiers contaminés diffère de celle appliquée dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Le Japon a fait le choix d’une stratégie de décontamination extensive. Toutefois, les autorités ont finalement conclu au caractère irréaliste de décontaminer les forêts dans leur intégralité en raison des volumes de déchets générés et des conséquences écologiques dramatiques qui pourraient résulter d’actions massives d’enlèvement des litières ou d’abattage d’arbres.

 

Le Japon distingue désormais trois types de surfaces forestières : celles situées autour des zones résidentielles avec l’enlèvement et la mise en déchets des litières et humus contaminés ; celles où des travailleurs se rendent quotidiennement où des actions de décontamination sont mises en œuvre et enfin, celles de la forêt dite « profonde » où les mesures visent à limiter la dispersion de radionucléides en évitant l’érosion des sols.

 

Télécharger la note Gestion des milieux forestiers : les leçons tirées suite aux accidents de Tchernobyl et de Fukushima  (PDF, 763 Ko)

 

Redistribution des dépôts radioactifs en situation post-accidentelle

 

Dans les zones contaminées, les processus hydrologiques tels le ruissellement de surface ou le transport dans les cours d’eau gouvernent la redistribution des césiums radioactifs. La connaissance de la dynamique des flux de radionucléides associés à ces processus est essentielle pour optimiser la stratégie de gestion post-accidentelle, notamment pour l’exploitation des ressources aquatiques par l’homme.

  • Le lessivage des bassins versants gouverne la redistribution des radionucléides déposés sur les sols suite à un accident nucléaire. À Tchernobyl comme à Fukushima, ce processus remobilise annuellement moins de 1% des césiums radioactifs déposés. Ces flux sont transportés vers les bassins versants par l’eau et par les particules.
  • Le transport des césiums radioactifs résulte de processus chimiques, hydrologiques et érosifs complexes qui s’expriment en deux phases différentes : la phase de lessivage rapide les premières semaines après l’accident où les flux de césium 137 sont forts et exportent de l’ordre de 1% du dépôt initial sur le bassin versant, et la phase de lessivage lent où les flux exportés sont beaucoup plus faibles, de l’ordre de 0,1% par an.
  •  Les flux de césiums radioactifs à Fukushima et à Tchernobyl sont différents. Cette situation est liée à la disponibilité au lessivage des radionucléides déposés sur les sols, et aux différences de topographie et de régime météorologique. Ainsi le lessivage des césiums radioactifs est principalement solide à Fukushima et liquide à Tchernobyl. Mais ce sont les crues qui provoquent la majorité des exports annuels vers la mer dans les deux cas.

La stratégie appliquée pour la gestion des milieux aquatiques à Tchernobyl et à Fukushima est différente. En Ukraine, le fleuve Dniepr et ses réservoirs en aval est la principale source d’approvisionnement en eau. Aussi, les contre-mesures – en l’occurrence, des digues et des barrages - ont concerné les milieux aquatiques à Tchernobyl. Au Japon, même si un changement de mode de gestion des barrages est à l’étude, les contre-mesures restent massivement axées sur la décontamination des territoires contaminés (zones agricoles et autour des habitations).

 

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