Savoir et comprendre

Les territoires contaminés en 2011

21/05/2012

​​​​(Mise à jour) Pour un bilan actualisé en 2021, lire notre dossier « Tchernobyl, 35 ans ​après »​​

​Que sont devenus les radionucléides de Tchernobyl ? Vingt-cinq ans après la catastrophe, des données ont nourri les connaissances des spécialistes en radioécologie.

“La nature a horreur du vide.” L’aphorisme d’Aristote se vérifie autour de l’ancienne centrale de Tchernobyl. Une dense végétation de bouleaux, d’arbustes et d’espèces herbacées a remplacé la forêt de pins et des espèces animales y ont élu domicile. « Les scientifiques disposaient de données suffisantes pour prévoir les conséquences aiguës à court terme, mais pas à moyen et long terme. Tchernobyl est une zone unique pour collecter des données et apprendre », reconnaît Jacqueline Garnier-Laplace, spécialiste de l’étude du comportement et des effets des radionucléides dans les écosystèmes à l’Institut.

Depuis vingt-cinq ans, l’étude du site a permis de collecter des masses de données, de valider des modèles sur un cas réel de contamination très hétérogène.

L’IRSN, avec des partenaires ukrainiens et belges, s’est penché sur le devenir de deux radionucléides, le césium 137 et le strontium 90, contenus dans des déchets enfouis dans une tranchée recouverte de sable et plantée de pins et de bouleaux. Ils ont observé une migration du strontium vers la nappe phréatique et affiné leurs outils de modélisation.

« Nous avons déterminé des paramètres comme le coefficient de distribution, qui exprime la proportion du radionucléide qui se fixe sur les sols et celle qui reste en solution », témoigne Didier Gay, spécialiste en sciences de la terre à l’IRSN.

 

Encore des zones d’ombre

Certaines notions ont été ébranlées. Si, comme on le prévoyait, le césium est retenu par le sol et a peu migré depuis les tranchées, une fraction est captée par les racines des arbres qui le confondent avec le potassium, chimiquement proche. Ce flux ascendant est encore plus important pour le strontium.

Si bien que l’on retrouve du césium et du strontium des racines aux aiguilles du pin. « Pour ces arbres, la voie principale d’exposition des tissus  lors de l’accident était l’irradiation externe. Vingt-cinq ans plus tard, on observe surtout une contamination interne », poursuit Jacqueline Garnier-Laplace.

Les connaissances ont beaucoup progressé, mais il reste à apprendre : par exemple, l’américium ou les isotopes du plutonium ont été moins étudiés, car ils ne deviennent les polluants radioactifs dominants qu’au bout de centaines d’années. 

« L’IRSN cherche à comprendre pourquoi le plutonium migre à une vitesse bien plus élevée que prévu », explique Didier Gay. Une vitesse liée à sa forme physico-chimique, elle-même potentiellement liée à l’activité microbienne dans le sol. Cette question fait l’objet de travaux lancés par l’IRSN avec le CNRS. « Les micro-organismes peuvent piéger certains radionucléides en favorisant la formation de minéraux auxquels ils se trouvent incorporés ; ils peuvent aussi conduire à la formation de colloïdes, particules interagissant peu avec les sols. » Le plutonium serait ainsi coincé à l’intérieur d’un vecteur qui le transporterait à grande vitesse dans les eaux souterraines.

Les chercheurs doivent aussi prévoir les effets à long terme sur la flore et la faune d’une exposition chronique à ces substances. Sachant que la sensibilité aux rayonnements varie d’une espèce à l’autre : « Certains invertébrés sont un million de fois moins radiosensibles que des mammifères », illustre Jacqueline Garnier-Laplace.

Et les études sur l’homme ? Depuis 2005, l’IRSN suit des enfants habitant les territoires contaminés de Russie et présentant des pathologies inhabituelles, non cancéreuses (cataractes, anémies, troubles du rythme cardiaque). Les premiers résultats concernant un possible lien de cause à effet sont attendus pour 2013.