Savoir et comprendre

Conclusions de l’expertise

27/06/2017

 

Les conclusions de l’analyse par l’ASN DEP et l’IRSN sont détaillées ci-dessous.

 

Vérification de l’absence de défaut nocif dans les calottes de l’EPR de Flamanville

Les résultats des contrôles réalisés lors de la fabrication du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville n’avaient pas mis en évidence de défaut de dimensions dépassant les critères des spécifications techniques. A la demande de l’ASN, Areva NP a réalisé des contrôles complémentaires ; ces contrôles ont permis de vérifier l’absence de défaut nocif. Il a par ailleurs été vérifié que la taille des défauts postulés dans les analyses de mécanique d’Areva NP a été définie de manière cohérente avec les performances de ces contrôles [1].

 

Caractérisation des propriétés mécaniques du matériau

Le programme d’essais réalisé par Areva NP sur des calottes sacrificielles (fabriqués selon un procédé identique à celui utilisé pour le fond et le couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville) a permis de caractériser les propriétés mécaniques du matériau en zone ségrégée. Au total, 1700 essais mécaniques ont été réalisés, complétés par environ 1500 analyses chimiques pour caractériser l’étendue des zones ségrégées et les propriétés mécaniques du matériau.

Il ressort de l’analyse que :

 

  • les différences dans l’élaboration des différentes calottes conduisent à des variations sur les propriétés mécaniques qu’il est difficile d’évaluer précisément mais qui restent limitées. Ainsi, l’appréciation des propriétés du matériau doit se faire selon une démarche prudente ; 
  • la présence d’une ségrégation résiduelle du carbone est bien à l’origine de la modification des propriétés mécaniques. Le comportement observé reste toutefois celui attendu pour ce type d’acier (acier ferritique), utilisé pour la fabrication de l’ensemble des cuves des réacteurs en fonctionnement. La modification des propriétés mécaniques se traduit principalement par une augmentation de la température de transition entre le comportement fragile du matériau et son comportement ductile, de l’ordre d’une dizaine à quelques dizaines de degrés. En conséquence, le fait qu’Areva NP retienne une ténacité cohérente avec l’augmentation de la température de transition constatée à l’issue des essais réalisés est satisfaisant. EDF s’est par ailleurs engagé à réaliser un programme d’essais afin de conforter les hypothèses retenues pour tenir compte du vieillissement thermique du matériau, ce qui est satisfaisant.

 

Evaluation des chargements thermomécaniques

Les conditions de pression, de température et de débit dans le circuit primaire sont variables selon les modes de fonctionnement du réacteur. Ces modes de fonctionnement peuvent être des régimes permanents ou transitoires, prévus au titre de la conduite normale, ou résulter d’évènements fortuits qui peuvent affecter l’installation (incidents ou accidents). Ils constituent des situations qui se caractérisent par des conditions thermohydrauliques (température, débit, pression) de l’eau du circuit primaire qui varient en fonction du temps et qui conduisent à des chargements thermomécaniques sur les structures, dont le couvercle et le fond de la cuve.

Les situations les plus sévères à considérer pour l’évaluation du risque de propagation d’une fissure sont les situations conduisant à l’ouverture de défauts potentiels ; elles dépendent de la localisation de ce défaut dans le composant. Areva NP a ainsi identifié les situations conduisant à un choc thermique sur les calottes de la cuve : un choc chaud résulte de la mise en contact d’eau chaude avec une paroi froide et un choc froid, de la mise en contact d’eau froide avec une paroi chaude.

Les chocs thermiques peuvent conduire, en présence d’une zone de ségrégation majeure résiduelle positive, à ouvrir mécaniquement un éventuel défaut, et donc à entraîner un risque de rupture brutale sous l’effet du chargement thermomécanique :

  • en cas du choc chaud, les contraintes thermiques en paroi externe tendent à ouvrir le défaut potentiel situé en paroi externe. Pour ce type de sollicitation, un défaut potentiel situé en peau interne ne peut s’ouvrir car les contraintes tendent à le refermer ;


Répartition de la température dans la paroi du fond de la cuve en cas de choc chaud,
et répartition des efforts induits dans la paroi.

 

  • de manière symétrique, en cas de choc froid, un défaut potentiel situé en peau interne du fond de cuve tendrait à s’ouvrir alors qu’en peau externe il tendrait à se refermer.


Répartition de la température dans la paroi du fond de la cuve de l’EPR en cas de choc froid,
et répartition des efforts induits dans la paroi.

 

Les situations utilisées pour définir les chargements thermomécaniques s’appliquant au couvercle et au fond de la cuve ont été examinées et analysées par l’IRSN, en considérant à chaque fois les situations de choc chaud et de choc froid. L’analyse a porté sur l’exhaustivité des situations considérées par Areva NP ainsi que sur leur caractérisation.

À titre d’illustration, le schéma ci-dessous présente le cas d’une brèche sur le circuit primaire étudiée par Areva NP dans le cadre de ce dossier, qui entraîne un choc froid sur le fond de la cuve.

Les nombreux échanges tenus au cours de l’instruction sur l’exhaustivité des situations à considérer et leur caractérisation (pression, température, débit) ont amené Areva NP a complété son dossier initial et à consolider sa démonstration. La démarche adoptée par Areva NP pour identifier les situations à l’origine des sollicitations les plus sévères du couvercle et du fond de la cuve est au final jugée satisfaisante, de même que le caractère conservatif des chargements qui ont pu en être déduits.

 

Evaluation du risque de rupture brutale

L’évaluation du risque de rupture brutale réalisée pour le fond et le couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville est cohérente avec la démarche prescrite par le code définissant  les règles de conception et de construction  des matériels mécaniques des îlots nucléaires (RCC-M), tant par le choix des défauts analysés, que par la définition de la ténacité minimale et l’évaluation des facteurs d’intensité de contraintes. Les marges obtenues, tout en étant plus faibles que celles qui seraient obtenues pour un matériau exempt de ségrégation positive de carbone, restent en effet supérieures aux critères de conception.

Les conclusions de cette analyse montrent que les propriétés mécaniques du matériau en zone ségrégée sont suffisantes pour prévenir le risque de rupture brutale.

 

Suivi en service

Les défaillances constatées sur les processus de qualification technique, l’utilisation d’un procédé de fabrication ne permettant pas de s’affranchir des risques liés à la ségrégation résiduelle en carbone et la réduction des marges pour le risque redouté de rupture brutale traduisent le fait que le premier niveau de défense en profondeur [2] est affecté.

La démarche de justification d’Areva NP, si elle permet de démontrer la suffisance des marges, ne permet pas, seule, de restaurer l’ensemble des garanties que doit apporter ce premier niveau de défense en profondeur. En effet, le procédé de fabrication devrait être au meilleur niveau technologique s’agissant d’un équipement (la cuve) dont la défaillance n’est pas postulée dans la démonstration de sûreté du réacteur (démarche dite d’exclusion de rupture).

Aussi, la démarche de justification proposée par Areva NP nécessite d’être complétée par des dispositions de suivi en service du fond et du couvercle de la cuve afin de renforcer la défense en profondeur d’une manière générale.

L’ASN DEP et l’IRSN considèrent que les contrôles en service du fond et du couvercle prévus par EDF devraient être adaptés de manière à vérifier l’absence de défaut au cours de l’exploitation de l’installation, l’installation ayant été conçue par EDF et Areva NP pour une durée d’exploitation de 60 ans.

Si la faisabilité de tels contrôles apparaît acquise pour le fond de la cuve, celle-ci reste à établir pour le couvercle, compte tenu des nombreuses pénétrations utilisées pour les mécanismes de commande des grappes (utilisées pour le contrôle de la réactivité), l’instrumentation du cœur et le tube d’évent. En cas d’impossibilité de réaliser des contrôles ayant des performances suffisantes, EDF s’est engagée à changer le couvercle de cuve lors de la première visite décennale du réacteur qui devrait intervenir un peu plus de 10 ans après sa mise en service.

L’ASN DEP et l’IRSN considèrent que l’anomalie ne remet pas en cause l’aptitude au service du fond de la cuve sous réserve que les contrôles du fond de la cuve prévus par EDF soient adaptés pour mieux détecter les défauts potentiels. Ils estiment que ces contrôles, anticipés par rapport à la première visite décennale et auxquels ces adaptations seraient apportées, sont de nature à renforcer significativement le deuxième niveau de défense en profondeur.

De la même manière que pour le fond de cuve, l’ASN DEP et l’IRSN considèrent que des contrôles du couvercle de la cuve sont indispensables afin de renforcer le deuxième niveau de défense en profondeur et vérifier durant toute la période de fonctionnement du réacteur qu’aucun défaut n’est présent dans la zone ségrégée. Ces contrôles sont d’autant plus nécessaires que le couvercle présente des singularités géométriques liées aux adaptateurs et des conditions d’exploitation différentes de celles du fond (températures, manipulations du couvercle, etc.). Aussi, l’ASN/DEP et l’IRSN considèrent que l’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne saurait être envisagée au-delà de quelques années de fonctionnement sans que les contrôles nécessaires au renforcement du deuxième niveau de défense en profondeur n’aient été mis en œuvre.

 

Notes :
1- Il s’agit de s’assurer que les défauts étudiés sont plus grands que les défauts qui pourraient rester dans la pièce après les contrôles, car trop petits pour être vus. Plus le défaut est grand, plus il est susceptible de s’amorcer : étudier un défaut plus grand que ceux qui pourraient rester dans la pièce est une garantie de sécurité.
2- Le principe de défense en profondeur est le principe fondamental de conception des réacteurs nucléaires. Il consiste à mettre en œuvre différents niveaux de défense successifs (caractéristiques intrinsèques, dispositions matérielles et procédures), destinés à prévenir les incidents et accidents et, en cas d’échec de la prévention, à en limiter les conséquences.