L’IRSN publie un rapport sur les conséquences sociales de l’accident de 2011 dans la préfecture de Fukushima

  • Actualité

  • Crise

  • Institutionnel

11/03/2019

​​

​​H​uit ans après l’accident de Fukushima Daiichi, l’IRSN a analysé la gestion post-accidentelle dans la préfecture de Fukushima, notamment les questions de retour et de non-retour dans les territoires évacués. Le rapport confronte l’expérience vécue par la population et les décideurs à un certain nombre de principes sur lesquels repose l’approche internationale de la gestion post-accidentelle.

 

Télécharger le rapport ​​: "Shinrai research Project: The 3/11 accident and its social consequences. Case studies from Fukushima prefecture " (PDF, 3 Mo, en anglais)

 

Issu du projet Shinrai​, un programme de recherche franco-japonais mené par l’IRSN en partenariat avec le médialab de Sciences Po et l'université Tokyo Tech, le rapport coordonné par l’IRSN s’intéresse aux conséque​nces sociales de l’accident, analysées sur la base d’enquêtes auprès d’habitants de la préfecture de Fukushima.

 

L’originalité de l’analyse est de s’appuyer sur une approche pluridisciplinaire (anthropologique, politique et sociologique) et sur une enquête de terrain approfondie afin d’appréhender la question de la confiance de la population dans la gestion de la phase post-accidentelle par les autorités japonaises. ​

 

Ainsi, entre 2014 et 2017, l’IRSN et ses partenaires ont rencontré 118 interlocuteurs, parfois à plusieurs reprises, au cours de huit missions de 2 à 3 semaines :

  • ​des habitants du quartier de Watari à Fukushima (60 km de la centrale accidentée) et des communes de Naraha et Kawauchi, qui ont pu retourner ou non dans leur commune d’origine en fonction de la levée des ordres d’évacuation par le gouvernement japonais ;
  • des représentants des autorités nationales et locales afin de mieux comprendre les processus de levée des ordres d’évacuation après décontamination ;
  • des associations et des experts non institutionnels qui ont joué un rôle important d’information et de soutien auprès des populations. 

Le retour des évacués : un choix qui ne va pas de soi​

 

Malgré les chantiers de décontamination et la levée des ordres d’évacuation par le gouvernement et les municipalités, le taux de retour des évacués s’avère relativement faible. Rentrer chez soi est loin d’être une évidence pour les populations impactées. Précisément, le rapport a identifié 6 catégories d’habitants, en fonction de leur décision de revenir ou non dans les territoires évacués après les levées d’ordres d’évacuation. Cette catégorisation montre la diversité des situations, en fonction de l’âge, de la situation familiale – par exemple, la présence d’un enfant dans le foyer -, de l’adhésion à la gestion post-accidentelle mise en œuvre ou encore de la confiance qu’ils ont dans l’évaluation de la situation radiologique par les experts gouvernementaux.

 

6 catégories d’habitants évacués​​

  • Retourner et oublier/résister. Ces habitants vivent leur retour comme un soulagement après des déménagements successifs et ils on​t peu hésité à revenir. Composés d’abord de personnes âgées installées depuis plusieurs générations dans des territoires ruraux, ils semblent être les moins « touchés » par les conséquences de l’accident. Ils refusent de suivre les conseils de radioprotection donnés par les autorités locales car ils veulent vivre le plus possible « comme avant ». Toutefois, dans certaines familles, les enfants et petits-enfants ne sont pas revenus vivre sous le toit familial, ou refusent de rendre visite aux grands-parents.
  • Retourner et contrôler. Ces habitants retournent chez eux après la levée de l’ordre d’évacuation. Ils ont adopté la « culture de radioprotection » promue par les autorités (surveillance dosimétrique, mesures radiologiques, …). Ces personnes ont globalement confiance dans la politique de gestion post-accidentelle, notamment les mesures prises par les autorités pour réduire les risques.
  • Retourner et s’inquiéter. Ces habitants sont revenus malgré leurs  doutes, mais s’inquiètent au quotidien de la situation radiologique : ils ne sont pas sûrs d’avoir pris « la bonne décision » et souffrent de cette situation source d’une grande anxiété. Ils évoquent une forme de  pression du gouvernement, notamment avec la suppression de l’allocation versée à un évacué un an après la levée de l’ordre d’évacuation le concernant. L’autre forme de pression est la nécessité d’être « loyal » envers son village. Cette catégorie est essentiellement composée de familles avec de jeunes enfants.
  • Retourner en partie. Ce sont des habitants qui se rendent dans les territoires impactés uniquement pour y travailler. En revanche, ils vivent désormais dans la zone où ils ont été évacués. Ce choix est une source de tension et de désaccord avec ceux qui ont choisi de revenir « pleinement ». De plus, le retour partiel n’est pas reconnu par le gouvernement et les autorités locales qui n’ont envisagé que deux options : revenir avec une aide financière ou se réinstaller par soi-même ailleurs.
  • Ne pas retourner pour le moment. Ces habitants envisagent un retour dans leur ville natale dans le futur. La décision de quitter leur domicile après l’accident est présentée comme une (longue) parenthèse. Ne pas revenir pour l’instant peut se justifier par la nécessite de protéger ses enfants de la contamination.  Un retour est envisagé pour prendre soin de parents âgés qui se sont déjà réinstallés.
  • ​Ne jamais retourner. Ce sont des habitants qui ont, dans une certaine mesure, pris un nouveau départ et développé très souvent une profonde méfiance à l’égard des autorités. Protéger ses enfants de la radioactivité explique leur décision. Un choix qui n’est pas to​ujours partagé au sein des familles, d’où de nombreux cas de divorces. Le non-retour s’est parfois accompagné d’une prise de conscience politique : certains sont très mobilisés contre la gestion post-accidentelle menée par le gouvernement.​

​Le rapport souligne également le rôle important des élus locaux, en l’occurrence les maires, en montrant comment ils ont cherché à répondre à la fois aux exigences gouvernementales et aux souhaits de leurs administrés. Il montre également les dilemmes éthiques auxquels les responsables politiques, les autorités ainsi que les experts chargés de les conseiller ont été confrontés : est-il légitime de rassurer à tout prix les populations ? Comment décider lorsque les intérêts des habitants divergent au point de remettre en cause la notion de « communauté » à laquelle se réfère une grande partie des approches internationales en matière de gestion post-accidentelle ?

 

Une mise en question de certains principes de la gestion post-accidentelle

 

L’expérience de l’accident nucléaire de Fukushima met en question certains principes sur lesquels repose l’approche internationale de la gestion post-accidentelle. Le rapport a identifié trois pistes de réflexion :

  • l’attachement de​s habitants au territoire observé après l’accident de Tchernobyl n’a pas été vérifié à Fukushima. Pourtant, c’est une hypothèse qui sous-tend la gestion post-accidentelle – présente par exemple, dans la publication 111 de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), organisme international chargé des recommandations en matière de radioprotection. La décision du gouvernement japonais de « reconquérir » les territoires en confiant leur décontamination à des entreprises est appréciée par ceux qui souhaitent revenir, mais dénoncée par d’autres qui auraient préféré que l’argent soit investi a​utrement (en permettant un déménagement définitif par exemple) ;
  • la commensurabilité du risque radiologique. C’est le principe de le comparer à d’autres risques comme le tabac ou l’alcool, ou les autres risques que l’on encourt au Japon (risques naturels...). Utilisé par certains experts en radioprotection, ce type de mise en perspective montre certaines limites dans le contexte post-accident nucléaire. Si ce principe de commensurabilité est acceptable pour certains habitants, il est rejeté violemment par d’autres, qui ne veulent pas faire courir un risque à leur enfant en restant/retournant dans un territoire contaminé, et considèrent que ce risque ne peut pas être comparé à un autre ;
  • le confinement du risque par le zonage. Le gouvernement japonais s’est appuyé, pour prendre ses décisions, sur les recommandations internationales de la CIPR ou de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Toutefois, des choix de zonage ont été contestés, notamment leur définition sur la base du niveau de radioactivité mesuré ou estimé pour le futur.

 

Télécharger le rapport ​​: "Shinrai research Project: The 3/11 accident and its social consequences. Case studies from Fukushima prefecture " (PDF, 3 Mo, en anglais)

 

A lire également : notre dossier "Fukushima en 2019 : état des installations et impacts sanitaires de l'accident"​