Impact du polonium 210 sur l'Homme

  • Communiqué de presse

  • Santé

  • Expertise

28/11/2006

 

Résumé des évènements

 

Alexander Litvinenko est décédé d’un arrêt cardiaque le 23 novembre 2006 au University College Hospital (UCH) de Londres.

 

Son état de santé s’était dégradé au début du mois de novembre, quelques jours après avoir rencontré à son hôtel, ainsi que dans un restaurant japonais de Londres, plusieurs de ses contacts. Transféré à l’UCH le 17 novembre 2006, il présentait des vomissements répétés, des troubles du rythme cardiaque, des troubles rénaux, une chute très importante du nombre de ses globules blancs, ainsi qu’une perte totale des cheveux survenue en une semaine. Souffrant également d’une inflammation de la gorge, il avait arrêté de se nourrir depuis 18 jours.

 

Le professeur britannique Roger Cox de la Health Protection Agency (HPA) a précisé que des quantités élevées de polonium 210 avaient été détectées dans les urines d’Alexander Litvinenko.

Par ailleurs, les autorités en charge de l’enquête ont déclaré avoir retrouvé des traces de radioactivité dans divers lieux qu’il avait récemment fréquentés.

 

Caractéristiques et origines du polonium 210

 

Découvert en 1898 par Marie Curie, le polonium 210 (210Po), produit de filiation de l’uranium 238, est un radionucléide naturel omniprésent à l’état de traces dans l'environnement, avec ses précurseurs, le radon 222 et le plomb 210. C’est le plus abondant des 29 isotopes du polonium, avec une période radioactive de 138,4 jours.
Son activité spécifique est très élevée : 1,66.1014 Bq par gramme de 210Po. Il émet à 99,999 % des particules alpha d’énergie égale à 5,304 MeV et à 0,001 % des rayonnements gamma d’énergie égale à 0,80 MeV, et se transforme en plomb 206 stable.

 

Le radon 222, gaz radioactif précurseur du 210Po, est à l’origine d’une présence permanente du 210Po en suspension dans l’atmosphère (aérosols). Sa concentration dans l’air est de l’ordre de 50 mBq/m3 mais peut varier en fonction de l’importance locale de l’exhalaison du radon et de la présence d’activités industrielles favorisant son émission (activités minières, industrie des phosphates, etc.). Il est également émis en abondance par l’activité volcanique.

 

On trouve également le 210Po dans les premiers centimètres des sols, sous l’effet de la décroissance radioactive du radon 222 dans les couches superficielles du sol et des retombées atmosphériques du 210Po en suspension dans l’air. Il se fixe alors sur les particules du sol de façon quasi irréversible, par co-précipitation avec des hydroxydes métalliques ou sous forme de sulfure. C’est un élément peu mobile, dont la concentration dans les sols varie de 10 à 200 Bq/kg (sol sec). Sa concentration peut être nettement plus élevée dans les résidus d’exploitation des mines d’uranium (15 000 à 22 000 Bq/kg).

 

Dans les océans, il est émis directement dans l’eau ou par échange avec les formes volatiles de l’air. Il se présente généralement sous forme insoluble et associée à la phase particulaire ou colloïdale. De ce fait, il se retrouve piégé dans les sédiments lié à d’autres phases minérales ou précipité sous forme de sulfure.

 

Le 210Po a également une origine artificielle : il peut être produit dans un réacteur nucléaire par bombardement neutronique de bismuth 209, générant ainsi du bismuth 210 qui se transforme alors, par émission bêta, en polonium 210 selon une période physique de 5 jours. Dans l’industrie, le polonium peut être utilisé dans les appareils qui ionisent l’air pour éliminer l’accumulation de charges électrostatiques produites, par exemple, lorsque l’on enroule du papier, des fils ou des feuilles métalliques.

 

Comportement du polonium 210 dans l’environnement

 

La voie d’entrée majoritaire du 210Po dans les végétaux terrestres est le transfert foliaire qui n’est pas, ou peu, suivi d’incorporation ni de translocation ; il reste principalement concentré sur les feuilles (Le polonium 210 est notamment présent dans les feuilles de tabac, ce qui explique qu’il est retrouvé en plus grande quantité chez les fumeurs).

 

Le transfert du 210Po aux animaux s’effectue principalement par ingestion. Les facteurs de transfert sont relativement importants mais varient en fonction du mode de vie des animaux (quantités ingérées) et des organes cibles. Ainsi, la concentration du 210Po varie entre 3,7.10-2 Bq/kg (produit frais) dans le muscle de bœuf et 332 Bq/kg dans le foie de Caribou.

 

Les organismes aquatiques, en particulier le plancton et les invertébrés, ont la capacité de concentrer le 210Po présent dans l'eau, dans les tissus mous et les viscères pour les animaux. La capacité de concentration est moindre chez le poisson, les activités massiques les plus faibles étant observées au niveau de la chair, qui constitue la partie consommée par l'homme.

 

Dans les eaux marines, le 210Po présente une forte affinité pour les matières en suspension. La voie principale d’entrée chez les animaux est l’ingestion. Le 210Po se concentre fortement dans les animaux marins où des activités beaucoup plus importantes que dans le milieu ambiant peuvent être observées dans certains organes, glande digestive des mollusques, hépatopancréas des crustacés, foie des poissons. A titre d’illustration, la concentration du 210Po habituellement observée dans les moules se situe entre 150 et 600 Bq/kg (produit sec). Dans le poisson, les concentrations sont plus faibles, de l’ordre de quelques Bq/kg (produit sec). Ainsi, le 210Po contribue à une part importante des doses reçues par les êtres humains du fait de la consommation de produits de la mer.

 

Comportement du polonium 210 chez l’Homme

 

Le parcours dans l’air des particules alpha émises par le 210Po est très court (inférieur à quelques centimètres). Pas conséquent, ce radionucléide n’est susceptible d’exposer l’organisme qu’en cas de contamination interne (incorporation par ingestion, inhalation ou injection) ou de contact cutané direct.

 

De part sa présence dans l’environnement, l’homme est exposé en permanence au polonium 210, par inhalation et par ingestion. Ainsi, la dose efficace annuelle due à ce radionucléide est en moyenne d’environ 0,07 mSv pour un adulte. Le polonium 210 incorporé par l’homme est naturellement excrété dans les urines et les selles dans des quantités variables, les mineurs d’uranium et les fumeurs éliminant des quantités plus importantes que les non fumeurs. Du fait de l’équilibre qui s’établit entre l’incorporation et l’excrétion, l’activité totale présente en permanence en moyenne chez un adulte est estimée à environ 30 Bq (soit 0,18 picogrammes).

 

Proche du soufre et du sélénium, le comportement biologique du polonium 210 est voisin de celui des terres rares. Une fois incorporé dans l’organisme, le polonium 210 se distribue rapidement dans les tissus mous via la circulation sanguine. Après ingestion, son absorption varie entre 10 % et environ 50 % en fonction de la forme physico-chimique sous laquelle il est administré. Dans le sang et dans le plasma, il présente une très forte affinité pour les hématies (90 % du polonium 210 contenu dans les éléments figurés du sang est lié aux globules rouges) et pour les protéines plasmatiques. Après ingestion ou injection, environ 30 % du polonium 210 incorporé se distribue dans le foie, la rate et les reins. Des concentrations supérieures à la moyenne des autres tissus (exceptions faites du foie, de la rate et des reins) sont par ailleurs observées dans la moelle osseuse et les ganglions lymphatiques, ainsi que dans les poumons, ces derniers étant l’organe cible du polonium 210 inhalé. Le radionucléide est alors éliminé dans les selles et les urines selon une période biologique d’environ 50 jours (temps au bout duquel la moitié de la quantité de 210Po a été excrétée de l’organisme), les quantités retrouvées dans les selles étant en moyenne 9 fois supérieures à celles mesurées dans les urines. Quelques études ont montré que le polonium 210 pouvait être également retrouvé dans les cheveux des personnes exposées.

 

Le devenir du polonium 210 et sa toxicité ont fait l’objet de nombreux travaux expérimentaux menés dans les années 1940 à 1970 chez la souris, le rat, le lapin, le chat, le chien, le tamarin et le babouin. Ces études montrent qu’après injection ou ingestion de polonium 210 sous forme de citrate, chlorure, hydroxyde colloïdal ou nitrate (le citrate de polonium 210 semblant être le mieux absorbé), les animaux développent des signes cliniques et biologiques tels que, perte de poids, asthénie, état léthargique, dysfonctionnement des fonctions hépatique, rénale, splénique, pulmonaire, pancréatique, et hématopoïétique, atrophie des ganglions lymphatiques, sclérose des vaisseaux sanguins (notamment au niveau des reins et des testicules), l’ensemble de ces symptômes s’accompagnant d’une disparition quasi-totale des lymphocytes, avant que le décès n’intervienne généralement par collapsus cardiovasculaire. Les doses conduisant à la mort de 50 % des animaux dans un délai de 20 jours après l’intoxication sont de l’ordre de 18 nanogrammes/kg de poids corporel chez la souris, le lapin, le chat et le chien, et de 9 nanogrammes/kg de poids corporel chez le rat. Ces données expérimentales laissent présager que des quantités très faibles de polonium 210, de l’ordre de quelques microgrammes, seraient suffisantes pour se traduire par l’apparition d’effets délétères aigus chez l’homme.

 

Quelques études menées chez le rat contaminé par injection d’une solution de nitrate de 210Po ont montré qu’une accélération de l’excrétion pouvait être obtenue après une administration rapide par voie intramusculaire ou sous-cutanée d’agents chélateurs présentant des groupements thiols, tels que le HOEtTTC (N,N'-di(2-hydroxyethyl)ethylenediamine-N,N'-bisdithiocarbamate) et le BAL (British Anti Lewisite ou 2,3-dimercaptopropanol). Avec ce dernier composé (traitement de référence en France), les rats traités présentaient une survie moyenne de 82 jours, contre 21 jours pour les rats non traités. Néanmoins, aucune étude validant ces données chez l’homme n’a été publiée à ce jour.

 

Peu de données relatives à des expositions accidentelles au polonium 210 chez l’homme sont disponibles. Les cas connus à ce jour concernent des personnes exposées suite à un contact avec une source fuyarde de Po-Be : seules quelques perturbations transitoires sans conséquence clinique des fonctions hépatique (augmentation de la concentration plasmatique de bilirubine) et rénale (diminution de la perfusion) ont été observées chez ces personnes, dont l’activité incorporée en polonium 210 au niveau du corps entier variait de 0,034 à 2,41 nanogrammes.

 

En savoir plus

  • Aposhian HV, Bruce DC. Binding of polonium-210 to liver metallothionein. Radiat Res. 1991 Jun;126(3):379-82.
  • Baratta EJ, Apidianakis JC, Ferri ES. Cesium-167, lead-210 and polonium-210 concentrations in selected human tissues in the United States. Am Ind Hyg Assoc J. 1969 Sep-Oct;30(5):443-8.
  • Berke HL, Dipasqua AC. Distribution and excretion of polonium-210. VIII. After inhalation by the rat. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:133+.
  • Bruenger FW, Lloyd RD, Taylor GN, Miller SC, Mays CW. Kidney disease in beagles injected with polonium-210. Radiat Res. 1990 Jun;122(3):241-51.
  • Campbell JE, Talley LH. Association of polonium-210 with blood. Proc Soc Exp Biol Med. 1954 Oct;87(1):221-3.
  • Casarett LJ, Morrow PE. Distribution and excretion of polonium 210. XI. Autoradiographic studies after intratracheal administration in the rabbit. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:175+.
  • Casarett LJ. Distribution and excretion of polonium 210. IX. Deposition, retention, and fate after inhalation by “nose only” exposure, with notes on mechanics of deposition and clearance and comparison of routes of administration. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:148+.
  • Casarett LJ. Distribution and excretion of polonium-210. V. Autoradiographic study of effects of route of administration on distribution of polonium. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:93+.
  • Cohen BS, Eisenbud M, Wrenn ME, Harley NH. Distribution of polonium-210 in the human lung. Radiat Res. 1979 Jul;79(1):162-8.
  • Fellman A, Ralston L, Hickman D, Ayres L, Cohen N. Polonium metabolism in adult female baboons. Radiat Res. 1994 Feb;137(2):238-50.
  • Finkel MP, Norris WP, Kisieleski WE, Hirsch GM. The toxicity of polonium 210 in mice. I. The thirty day LD50, retention, and distribution. Am J Roentgenol Radium Ther Nucl Med. 1953 Sep;70(3):477-85.
  • Hill CR. Polonium-210 in man. Nature. 1965 Oct 30;208(9):423-8.
    IRSN. Polonium 210 et environnement. Fiche Radionucléide et Environnement 2004.
  • Lanzola EE, Allegrini ME, Taylor DM. The binding of polonium-210 to rat tissues. Radiat Res. 1973 Nov;56(2):370-84.
  • Leggett RW, Eckerman KF. A systemic biokinetic model for polonuim. Sci Total Environ. 2001 Jul 25;275(1-3):109-25.
  • McInroy JF, Watters RL, Johnson JE. Polonium-210 absorption in rats: effects of biological modification. Nat New Biol. 1972 Mar 29;236(65):118-20.
  • Morrow PE, Dellarosa RJ. Distribution and excretion of polonium-210. VII. Fate of polonium colloid after intratracheal administration to rabbits. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:124+.
  • Morrow PE, Smith FA, Dellarosa RJ, Casarett LJ, Stannard JN. Distribution and excretion of polonium-210. II. The early fate in cats. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:60-6.
  • Novak LJ, Panov D. Polonium-210 in blood and urine of uranium mine workers in Yugoslavia. Am Ind Hyg Assoc J. 1972 Mar;33(3):192-6.
  • Osborne RV. Lead-210 and polonium-210 in human tissues. Nature. 1963 Jul 20;199:295.
  • Parfenov YD, Poluboyarinova ZI. Polonium-210 metabolism in rabbits after a single intravenous and intratracheal injection. Int J Radiat Biol Relat Stud Phys Chem Med. 1973 May;23(5):487-93.
  • Parfenov YD. Polonium-210 in the environment and in the human organism. At Energy Rev. 1974;12(1):75-113.
  • Rencova J, Svoboda V, Holusa R, Volf V, Jones MM, Singh PK. Reduction of subacute lethal radiotoxicity of polonium-210 in rats by chelating agents. Int J Radiat Biol. 1997 Sep;72(3):341-8.
  • Rencova J, Volf V, Jones MM, Singh PK, Filgas R. Bis-dithiocarbamates: effective chelating agents for mobilization of polonium-210 from rat. Int J Radiat Biol. 1995 Feb;67(2):229-34.
  • Rencova J, Volf V, Jones MM, Singh PK. Mobilisation and detoxification of polonium-210 in rats by 2,3-dimercaptosuccinic acid and its derivatives. Int J Radiat Biol. 2000 Oct;76(10):1409-15.
  • Rencova J, Volf V, Jones MM, Singh PK. Relative effectiveness of dithiol and dithiocarbamate chelating agents in reducing retention of polonium-210 in rats. Int J Radiat Biol. 1993 Feb;63(2):223-32.
  • Samuels LD. Effects of polonium-210 on mouse ovaries. Int J Radiat Biol Relat Stud Phys Chem Med. 1966;11(2):117-30.
  • Soremark R, Hunt VR. Autoradiographic studies of the distribution of polonium-210 in mice after a single intravenous injection. Int J Radiat Biol Relat Stud Phys Chem Med. 1966;11(1):43-50.
  • Sproul JA, Baxter RC, Tuttle LW. Some late physiological changes in rats after polonium-210 alpha-particle irradiation. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:373+.
  • Stannard JN, Baxter RC. Distribution and excretion of polonium 210. IV. On a multiple dose regimen. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:80-92.
  • Stannard JN, Casarett GW. Concluding comments on biological effects of alpha-particle emitters in soft tissue as exemplified by experiments with polonium-210. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:398+.
  • Stannard JN, Smith FA. Distribution and excretion of polonium 210. X. Species comparison. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:166+.
  • Stannard JN. Distribution and excretion of polonium 210. I. Comparison of oral and intravenous routes in the rat. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:49-59.
  • Stannard JN. Distribution and excretion of polonium 210. III. Long-term retention and distribution in the rat. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:67-79.
  • Thomas RG, Stannard JN. Distribution and excretion of polonium-210. VI. After intratracheal administration in the rat. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:106+.
  • Thomas RG, Stannard JN. Influence of physiochemical state of intravenously administered polonium-210 on uptake and distribution. Radiat Res. 1964;51:SUPPL 5:16-22.
  • Torvik R, Pfitzer E, Kereiakes JG, Blanchard R. Long term effective half-lives for lead-210 and polonium-210 in selected organs of the male rat. Health Phys. 1974 Jan;26(1):81-7