Environnement : mesure de radionucléides à très basse concentration

​​​​​L’IRSN dispose de moyens de mesure, dont certains uniques en France, permettant de quantifier des concentrations de radionucléides de très bas niveau, voire à l’état de traces, dans des échantillons prélevés dans l’environnement. Ces moyens de mesure se trouvent notamment au laboratoire de mesure de la radioactivité dans l’environnement (LMRE).

Contexte

Une salle blindée pour la mesure des éléments traces

Dans les locaux du LMRE à Orsay, une pièce blindée permet de mesurer des radionucléides à l’état de traces. Construite en 1955 à l’origine pour détecter les essais nucléaires atmosphériques, cette pièce de 4 m x  5m est située au second sous-sol du bâtiment sous une épaisseur de 3 m de béton boré. Les parois sont constituées de 10 cm de plomb recouvertes intérieurement par 0,5 cm de cuivre. Cette configuration atténue d’un facteur 100 le bruit de fond dû au rayonnement gamma ambiant.

Elle permet la mesure de traces de radionucléides émetteurs gamma dans des échantillons prélevés dans l’environnement, grâce à trois types de détecteurs qui y sont installés : les détecteurs au germanium classiques, les détecteurs au germanium équipés de systèmes anti-cosmiques et le système multi-détecteurs LEDA.

Détecteurs au Germanium classiques

Situés dans la salle blindée, ils permettent la mesure de différents radionucléides avec une limite de détection de l’ordre de 0,1 Bq/L pour l’eau ou de 0,1 à 1 Bq/kg pour les solides (plantes, terre…). Dans l’eau, les radionucléides recherchés sont principalement les césium 134 et 137, et l’iode 129. Dans les solides, les radionucléides concernés appartiennent aux familles radioactives naturelles du  thorium 232, et de l’uranium 235 et 238, ainsi que les césiums 134 et 137, et les iodes  129 et 131.
 

Détecteurs au germanium équipés de systèmes anti-cosmiques

Ces détecteurs sont protégés des rayons cosmiques grâce aux cinq détecteurs en plastique scintillant qui entoure chacune des cinq faces du blindage en plomb de 5 cm d’épaisseur. 

Vue d'ensemble des détecteurs anti-cosmiques © Francesco Acerbis/IRSN

Ils sont utilisés pour détecter des traces de césium 137 sur des filtres de prélèvement d’aérosols, jusqu’à  quelques millibecquerels dans l’échantillon. Ces mesures permettent de déterminer l’activité volumique du césium 137 dans l’air à des niveaux parfois aussi bas que 0,02 µBq par mètre cube d’air.

Photo : Vue d'ensemble des détecteurs anti-cosmiques - © Francesco Acerbis/IRSN

Détecteur LEDA

Mis au point par l’équipe du LMRE (thèse d'Hugues Paradis, soutenue le 16 septembre 2016), ce détecteur est constitué de deux détecteurs au germanium afin d’identifier l’émission de photons en coïncidence. Cette configuration permet de différencier la présence de cobalt 60 au sein d’un organisme qui contient naturellement du potassium 40, ce dans la proportion de 1 pour 1000. 

détecteur LEDA © Francesco Acerbis/IRSN

Ce détecteur est associé à un scintillateur qui permet, par anti-coïncidence, de supprimer le bruit de fond du rayonnement cosmique ainsi que le bruit de fond dû à l’échantillon lui-même, appelé fond Compton.

Photo : vue d'ensemble du détecteur LEDA © Francesco Acerbis/IRSN

Détecteurs au germanium hors salle blindée ​

Hors salle blindée se trouve le système anti-cosmique historique du laboratoire, dont s’est inspiré le LMRE pour concevoir les systèmes anti-cosmique de la salle blindée, simples et plus compacts.

Détecteur au germanium protégé de la radioactivité tellurique © Francesco Acerbis/IRSN

Détecteur au germanium protégé de la radioactivité tellurique par un blindage en plomb de 10 cm de plomb de faible activité plus 5 cm de plomb de très faible activité, dit "archéologique". Le détecteur est également protégé du rayonnement cosmique par un sytème anti-cosmique sonstitué de 5 plaques de scintillateur plastique de 4 cm d’épaisseur.

Photo :  © Francesco Acerbis/IRSN

Photomultiplicateurs du système anti Compton . © Francesco Acerbis/IRSN

À côté se trouve le système anti-Compton, constitué d’un détecteur germanium entouré d’une couronne de scintillateur d’iodure de sodium (NaI) et recouvert d’un NaI permettant un angle de détection proche de 4 pi. Ce système permet, grâce à une électronique numérique, de supprimer le fond Compton d’un spectre par anti-coïncidence. Il est particulièrement utile pour la mesure d’échantillons biologiques contenant beaucoup de potassium 40. 

Photo : Photomultiplicateurs du système anti Compton (spectromètre germanium entouré de scintillateurs NaI). © Francesco Acerbis/IRSN

ICP-MS

ICP-MS et dispositif de mesure rapide des émetteurs alpha et bêta 

Ce prototype d’un nouveau dispositif permet la mesure rapide pour 16 radioisotopes émetteurs alpha et bêta : 233U, 234U, 235U, 236U, 238U, 239Pu, 240Pu, 241Pu, 242Pu, 237Np, 241Am, 243Am, 90Sr, 229Th, 230Th, 232Th. Il a été mis au point par l’équipe du LMRE (thèse d'Azza Habibi) et associe un module de chromatographie liquide à un ICP-MS quadripolaire.

mesure rapide des émetteurs alpha et bêta

Le protocole utilisé permet de quantifier ces radionucléides en moins de deux heures, contre plusieurs semaines à l’aide de protocoles classiques, avec une sensibilité moindre mais compatible avec une situation d’urgence. La limite de détection est comprise entre le µBq/kg et la centaine de Bq/kg en fonction du radioisotope.

Azza Habibi, devant l’outil de mesure rapide des émetteurs alpha et bêta qu’elle a mis au point durant sa thèse, couplant un module de chromatographie liquide à un spectromètre de masse ICP-MS. Nicolas Cariou, technicien, devant l’ICP-MS secteur magnétique. © Francesco Acerbis/IRSN

Système d’introduction de l’échantillon dans l’ICP-MS secteur magnétique.  © Francesco Acerbis/IRSN

Le LMRE dispose également d’un ICP-MS secteur magnétique haute résolution. Il permet de gagner un facteur 10 en sensibilité par rapport à l’ICP-MS quadripolaire. Il est dédié à la quantification des isotopes très peu abondants tels que 239Pu, 240Pu et 241Pu.

Photo : système d’introduction de l’échantillon dans l’ICP-MS secteur magnétique. © Francesco Acerbis/IRSN 

Laboratoire de radiochimie

Les techniques utilisées dans le laboratoire de radiochimie permettent de quantifier des radionucléides émetteurs alpha et bêta  dans des matrices environnementales et alimentaires.

Les échantillons  sont au préalable calcinés, mis en solution puis purifiés grâce à l’utilisation de  résines chromatographiques sélectives qui permettent d’isoler les éléments à mesurer. 

Colonnes chromatographiques © Francesco Acerbis/IRSN

Ces étapes permettent d’effectuer ensuite des mesures par spectrométrie alpha, compteur proportionnel ou ICP-MS à très bas niveau de radioactivité.

Photo : Colonnes chromatographiques permettant de séparer les divers radionucléides dans des échantillons solides ou liquides prélevés dans l’environnement. © Francesco Acerbis/IRSN

Four de fusion Alcaline

Première étape du protocole pour la mesure rapide de radionucléides dans des échantillons prélevés dans l’environnement (thèse d'Azza Habibi), le four de fusion alcaline permet de minéraliser en une demi-heure les échantillons solides prélevés dans l’environnement (jusqu’à 0,5 g). L’opération se déroule entre 800 et 1000 °C à l’aide de sels de LiBO2.

Dispositifs de mesure du tritium

Plusieurs dispositifs sont utilisés au LMRE pour mesurer les concentrations en tritium dans les échantillons solides ou liquides prélevés dans l’environnement. Ils diffèrent selon que le tritium est organiquement lié (TOL, ou OBT en anglais) donc intégré à la matière organique de l’échantillon ou qu’il se trouve dans l’eau (HTO, dans les eaux de boisson, les eaux de cours d’eau…) ou dans l’eau libre présente dans les tissus des échantillons solides (TED, ou TFWT en anglais).

La mesure du tritium est réalisée :

  • soit par scintillation liquide dans l’eau (eau, eau de lyophilisation, eau de combustion),
  • soit par mesure de 3He issu de la désintégration du tritium contenu dans l’eau ou dans l’échantillon solide déshydraté, après isolement sous vide de l’échantillon dans un contenant étanche.
Four du LMRE - © Francesco Acerbis/IRSN

Four de combustion pour mesure du tritium organiquement lié (TOL) dans les échantillons liquides (hors eaux) et solides déshydratés.

Afin de déterminer la concentration en TOL dans les échantillons, une combustion de l'échantillon déshydraté est réalisée, sous un mélange argon-oxygène, pour extraire l'hydrogène présent dans la matière. La combustion jusqu'à une température d'environ 850 °C dure 6 heures. La vapeur d'eau contenue dans les gaz de combustion est récupérée en sortie du four dans un piège froid.

Photo : four du LMRE pour la combustion des échantillons solides prélevés dans l’environnement pour l’analyse du tritium organiquement lié (TOL). © Francesco Acerbis/IRSN

four du LMRE de la nacelle contenant l’échantillon solide dont le tritium lié (TOL) doit être mesuré. © Francesco Acerbis/IRSN

Positionnement dans le four du LMRE de la nacelle contenant l’échantillon solide dont le tritium lié (TOL) doit être mesuré.

Dispositif de distillation :

En sortie de four, l'eau de combustion est neutralisée, puis distillée afin d'éliminer les impuretés.

Photo :  © Francesco Acerbis/IRSN 

 

Stockage des conteneurs de dégazage sous vide. © Francesco Acerbis/IRSN

​Dispositif de détermination de la concentration en tritium par mesure d'He-3 élément stable issu de la désintégration du tritium :

Le dispositif mis en place par le LMRE permet d'analyser des eaux et des échantillons solides déshydratés. L'échantillon est introduit dans un pot métallique. Après dégazage sous vide, le contenant est rendu étanche et isolé pendant une durée qui dépend des performances à atteindre (en routine de quatre mois). L'isolement de l'échantillon permet la re-croissance de 3He par désintégration du tritium. 

À l'issue de la période d'isolement, les contenants sont montés sur la ligne d'introduction du spectromètre de masse gaz rares pour mesurer les deux isotopes 3He et 4He. Le résultat en 3He permet ensuite de calculer l'activité en tritium à l'aide sa période radioactive.

Pour aller plus loin