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N° 3, Janvier-Mars 2011
Les équipes de l'IRSN jugées très favorablement par l'Aeres

« Très bon niveau scientifique » ; « bien organisées » ; avis variant de « globalement positif » jusqu'à « extrêmement positif » : telles sont les appréciations récemment formulées par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres) à propos des recherches que conduit l'Institut au service de l'expertise sur les risques nucléaires. Cet avis extérieur et indépendant souligne que la qualité du travail des chercheurs de l'IRSN n'a rien à envier à la qualité de celui des laboratoires académiques. Le résultat n'est pas le fruit d'un heureux hasard : il résulte de l'effort continu d'auto-analyse et de remise en question de notre recherche via l'évaluation interne.

Cet effort se trouve aujourd'hui relayé par les recommandations plus détaillées des experts mandatés par l'Aeres, dont certaines méritent une attention particulière : clarifier des stratégies scientifiques mettant en perspective les enjeux et les priorités ; organiser des stratégies partenariales rationalisées avec le monde académique ; stimuler une animation scientifique plus ouverte ; mobiliser les atouts pour un rayonnement plus affirmé. Au-delà des autres recommandations plus ponctuelles, comme celle d'augmenter le nombre d'HDR, ce sont les axes d'excellence sur lesquels l'Institut va mobiliser ses chercheurs dans les années à venir.

François Bréchignac, Adjoint du Directeur scientifique
 
Accidents de fusion du cœur - Physique/chimie
Les interactions iode-peinture au cours d'un accident de fusion du cœur
Dans l'hypothèse d'un accident de fusion du cœur d'un réacteur nucléaire, de l'iode radioactif serait relâché du combustible dégradé et arriverait dans l'enceinte de confinement du réacteur. Une partie de cet iode réagirait avec la peinture des parois pour former des iodures organiques, composés volatils difficiles à filtrer et donc susceptibles d'être relâchés dans l'environnement. Or, compte tenu de la radiotoxicité de l'iode, les espèces volatiles représentent un risque important pour les populations. Depuis plusieurs années, l'IRSN étudie les mécanismes de formation/destruction des formes volatiles de l'iode, notamment à l'aide du programme expérimental international Epicur. Ces travaux ont permis d'améliorer la modélisation du comportement de l'iode dans le logiciel Astec, outil de référence européen, qui simule le déroulement complet d'un accident de fusion du cœur.
 
Criticité
Un nouveau système expert pour aider au diagnostic du risque de criticité
Pour améliorer la fiabilité de l'évaluation du risque de criticité dans les installations nucléaires, l'IRSN contribue à la R&D d'un algorithme d'optimisation qu'il intègre ensuite dans ses outils de calcul.

L'une des préoccupations majeures de l'industrie nucléaire est le risque de criticité, c'est-à-dire l'emballement des réactions neutroniques en chaîne. Les conditions d'un tel accident dépendent entre autres paramètres de la masse, de la géométrie, de la modération par des produits hydrogénés et de l'environnement de la matière fissile. Ce risque est évalué en calculant le coefficient de multiplication effectif des neutrons (keff) à l'aide d'un code de calcul, tel que le code Moret de type Monte Carlo (probabiliste) développé à l'IRSN. Pour identifier les conditions qui conduisent au keff le plus élevé (représentatif d'un risque de criticité), il n'est pas envisageable d'effectuer le calcul pour toutes les combinaisons possibles de paramètres. Les experts utilisent donc le code Moret en étudiant l'influence de chaque paramètre séparément. Cependant, cette approche fondée sur leur expérience peut manquer des configurations qui pourraient être critiques.

Plans d'expériences numériques et méta-modèles

Pour limiter ce risque d'erreur sans multiplier les calculs, un système expert basé sur un algorithme d'optimisation probabiliste a été développé dans le cadre du consortium Dice. Cet algorithme est fondé sur une démarche itérative où se succèdent des « plans d'expériences » (i.e. un ensemble de combinaisons de paramètres constituant des points de calcul) et la construction d'un méta-modèle (modèle d'interpolation associé à un simulateur, ici le code Moret). Cette démarche guide les calculs du simulateur vers les valeurs les plus élevées. Le méta-modèle choisi ici, dit de « krigeage »GLO, tient compte de deux types d'incertitudes : la précision des calculs du simulateur et l'incertitude liée à l'interpolation des résultats du simulateur entre les points de calculs réalisés.

En pratique, l'algorithme définit au départ un petit nombre de points de calcul réalisés par le code Moret. En interpolant les résultats, l'algorithme construit une première « surface de réponse » des valeurs de keff (pour toutes les valeurs possibles des paramètres) avec les incertitudes associées. L'analyse des couples valeur/incertitude permet d'identifier de nouveaux points de calcul pertinents, où les valeurs du keff pourraient être élevées. Ces points sont ajoutés au plan d'expérience, les valeurs de keff associées sont calculées par le code Moret et la surface des réponses est redéfinie par le méta-modèle. Cette démarche est réitérée jusqu'à atteindre un fort niveau de confiance pour l'identification des keff les plus élevés. Cet algorithme est intégré depuis 2009 dans le code Prométhée qui, couplé au code Moret, est à présent utilisé par les experts dans leur analyse de sûreté.

Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec le consortium Dice (Deep Inside Computer Experiments), qui regroupe l'IRSN, EDF, l'Onera, Renault, Total et les Universités de Saint-Étienne, de Grenoble et de Paris XI.

Contact :
Yann Richet (Laboratoire d'études,
de recherche, de développement et
de qualification des codes - Lerd)
25
Nombre de thèses soutenues par les doctorants de l'IRSN en 2010.

Voir la liste des thèses soutenues, rubrique La recherche sur le site de l'IRSN.

Coefficient de multiplication effectif des neutrons (keff)
Rapport du nombre de neutrons produits sur le nombre de neutrons perdus (par fuite et absorption) au sein d'un système contenant des matières fissiles.

Dose reçue
Dépôt d'énergie dissipée par le rayonnement dans les tissus traversés.

Failles totalement couplées
On parle de failles totalement couplées quand celles-ci ne glissent pas du tout entre les séismes qui, dans ce cas, libèrent toute l'énergie accumulée.

Krigeage
De l'anglais « kriging », mot issu du nom de l'inventeur de la méthode, l'ingénieur minier sud-africain Daniel Gerhardus Krige.
Se base sur le calcul, l'interprétation et la modélisation du variogramme, qui est une appréciation de la variance en fonction de la distance entre données (ici, d'origine numérique).

Mesures anthroporadiamétriques
Les mesures anthroporadiamétriques sont des mesures in vivo par spectrométrie des rayonnements X ou gammas émis par les radionucléides présents dans l'ensemble du corps humain ou dans un organe en particulier.

Mesures radiotoxicologiques
Les mesures radiotoxicologiques sont des mesures in vitro de l'activité excrétée dans les urines ou les selles pendant une journée.

Modèles biocinétiques
Les modèles biocinétiques prédisent le comportement du radionucléide dans le corps humain de son entrée à son excrétion.

Oxydation radiolytique
Passage d'un état d'oxydation à un autre via l'interaction avec les produits d'une radiolyse (décomposition chimique sous l'effet des rayonnements ionisants).
En l'espèce, l'oxydation radiolytique de l'iode est le passage de l'ion I- à l'iode moléculaire I2 grâce à l'interaction avec les produits de la radiolyse de l'eau, notamment le radical OH.

Puisard
Terme générique pour désigner toutes les cavités où s'accumule de l'eau au cours d'un accident de fusion du cœur.

Rupture cosismique
C'est la trace de la rupture sismique à la surface du sol.

Source scellée
Source de rayonnements ionisants constituée par des substances radioactives solidement incorporées dans des matériaux solides et effectivement inactifs, ou scellée dans une enveloppe inactive présentant une résistance suffisante pour éviter, dans les conditions normales d'emploi, toute dispersion de substances radioactives.

Subduction
Phénomène qui entraîne l'enfoncement d'une plaque tectonique océanique sous une autre plaque.
Ce glissement entre les deux s'accompagne de frictions fortes qui produisent les grands tremblements de terre comme ceux du Chili de 2010.
La plaque dite « subductée » est plongée dans le manteau ; sa température augmentant, elle a tendance à perdre ses fluides contenus, voire à fondre, entraînant au-dessus d'elle la fusion des roches et le volcanisme.

Évaluation

Quatre rapports de l'Aeres publiés sur les unités de l'IRSN

En juin et juillet 2010, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres) a évalué les unités de recherche de l'IRSN, mobilisant 26 experts extérieurs, dont 5 étrangers. Les quatre rapports d'évaluation ont été rendus publics le 8 novembre 2010 sur le site Internet de l'agence. Ils émettent une opinion très positive sur les orientations et résultats obtenus ces dernières années par l'Institut, ainsi que sur l'adhésion des chercheurs aux missions et stratégies de l'IRSN. Quelques faiblesses sont pointées, qui, pour la plupart, correspondent à des points déjà identifiés en interne et font l'objet d'une réflexion.

Collaborations

Deux nouveaux accords-cadres avec des universités

L'IRSN a signé, en septembre 2010, un accord-cadre de collaboration de recherche avec l'Université Pierre et Marie Curie (UPMC-Paris 6). L'Institut entretient des relations étroites avec l'UMPC, notamment en participant au Master de sciences et technologies dans la spécialité « ingénierie pour le nucléaire ». Il accueille par ailleurs dans ses laboratoires 11 doctorants inscrits dans cinq écoles doctorales de l'UPMC. Un autre accord-cadre, avec l'Université de Caen Basse-Normandie (UCBN), a également été conclu en septembre plus spécifiquement dans les domaines de la biologie et de la géochimie marine. Des recherches communes sont notamment menées sur les effets de l'exposition chronique des organismes marins aux contaminants d'origine industrielle dans la Manche, dans le cadre du programme européen Chronexpo.

Sur le web

Conférences en ligne

L'IRSN a organisé le 21 septembre dernier à Arles une journée scientifique consacrée à « la recherche au service de l'évaluation des risques ».

Géosciences
Séisme chilien de 2010 :
les tensions tectoniques se sont relâchées
Les mesures des changements du niveau des terres provoqués par le séisme chilien du 27 février 2010 indiquent que les tensions tectoniques se sont relâchées dans cette région.

Après le tremblement de terre chilien de magnitude 8,8 survenu le 27 février 2010, le CNRS a fait appel à un expert des séismes de l'IRSN, qui avait déjà travaillé au Chili quatre ans plus tôt, pour mesurer les déplacements verticaux subis par les sols. Sur un segment de 500 kilomètres identifié comme la longueur maximale de la rupture cosismiqueGLO, cet expert et ses collègues ont montré que les déplacements du sol varient entre -1 mètre et 2,5 mètres. Un axe situé à 120 kilomètres de la faille sépare les zones qui se sont surélevées de celles qui se sont affaissées.

Observations et mesures sur le terrain

Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont observé 24 sites le long des côtes du Pacifique et neuf vallées d'estuaire. Dans cette zone soumise aux marées, des encroûtements d'algues coralliennes roses indiquent habituellement la limite supérieure du niveau de ces mêmes marées. Ces encroûtements, désormais blanchis et situés au-dessus de cette limite à la suite du séisme, montrent que les algues ont été soulevées au-dessus de leur milieu de vie habituel, entraînant leur mort. Ces observations permettent ainsi d'estimer le soulèvement vertical du sol associé au séisme. De manière similaire, la végétation et les marqueurs anthropiques submergés (constructions, pontons sous l'eau, etc.) permettent d'apprécier l'affaissement des terrains. L'ensemble des mesures ainsi effectuées sont cohérentes avec les résultats préliminaires obtenus par GPS.

Dislocation élastique

Les données relevées ont été comparées à un modèle de dislocation élastique simple, qui représente le tremblement de terre comme le glissement uniforme d'une faille rectangulaire – en réalité, le glissement est sans doute variable le long de la faille. En utilisant les caractéristiques du séisme (quantité de glissement, géométrie de la faille), le modèle utilisé reproduit les observations. Ceci conforte l'hypothèse du modèle qui considère que le séisme se produit essentiellement par relâchement élastique de contrainte.

La modélisation de la faille montre que celle-ci aurait glissé sur environ 10 mètres. Ce dernier chiffre, légèrement inférieur à celui de 11,9 mètres attendu dans le cas où les plaques Nazca et sud-américaine sont totalement coupléesGLO et convergeant de 6,8 centimètres par an, suggère que les tensions accumulées de par leur subductionGLO depuis le séisme de 1835 se sont bien élastiquement relâchées le 27 février.

Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec le Departamento de Geología, Université du Chili ; le Departamento de Ciencias de la Tierra ; l'Université de Concepción, Chili ; l'IRD, LMTG, UPS (OMP), Université de Toulouse, France ; et l'Institut für Erd- und Umweltwissenschaften, Université de Potsdam, Allemagne.

Contact :
Stéphane Baize
(Bureau d'évaluation des risques sismiques
pour la sûreté des installations - Berssin)
Dosimétrie externe
Des améliorations dans l'estimation des doses reçues par les irradiés
Dans le cadre de sa thèse soutenue le 4 octobre 2010, Estelle Courageot a étendu les possibilités de l'outil Sesame, utilisé pour évaluer les doses reçues par les victimes d'irradiations externes.

Pour la prise en charge médicale des victimes d'irradiations externes, il est nécessaire de connaître avec précision la distribution dans l'organisme de la doseGLO de radiations reçue par les tissus et les organes. C'est l'objet de l'outil Sesame (Simulation of external source accident with medical images) développé depuis une dizaine d'années au Laboratoire de dosimétrie des rayonnements ionisants. Estelle Courageot a élaboré dans l'outil Sesame de nouvelles fonctionnalités qui permettent en particulier de prendre en compte la posture réelle de la victime lors de l'accident.

Des fantômes numériques flexibles

À l'aide d'un code de calcul Monte Carlo qui simule les trajectoires des particules issues de la source et leur interaction avec la matière, Sesame calcule la distribution de la dose dans un fantôme numérique, c'est-à-dire une représentation virtuelle du corps de la victime.

Jusqu'à présent, ces fantômes anthropomorphes ne pouvaient apparaître que couchés ou debout, car ils sont conçus à partir des scanners des victimes en position allongée, ce qui n'est pas forcément représentatif de leurs positions réelles lors de l'accident.

Afin d'améliorer l'estimation de la distribution de la dose, E. Courageot a développé un outil pour créer des fantômes dont la posture peut être ajustée en utilisant un format intermédiaire dit NURBS (Non-Uniform Rational B-Spline). Pour cela, des contours du corps de la victime sont extraits des coupes scanners grâce à un logiciel de planification de traitement utilisé en radiothérapie ; puis ils sont superposés pour constituer un volume représentant le corps. Un logiciel de conception assistée permet de créer, à partir des contours, des fantômes au format NURBS facilement déformables. La dernière étape consiste à voxéliser, c'est-à-dire à numériser en trois dimensions, le fantôme NURBS dans l'outil Sesame.

S'ouvrir à la radiothérapie

L'outil Sesame ne fonctionne pour l'instant qu'avec des modèles de sources scelléesGLO ; il ne permet donc pas de reconstituer des accidents survenant en radiothérapie externe où la source se présente sous la forme d'un faisceau de particules. Mais E. Courageot a démontré la faisabilité d'une fonctionnalité dédiée à la reconstitution d'accidents de radiothérapie externe. Dans le cas où le faisceau de rayonnement est de forme simple (parallélépipèdes), elle a défini les paramètres nécessaires pour que l'outil Sésame fournisse la distribution de la dose en des temps de calculs raisonnables pour prendre en charge la victime tout en conservant une précision suffisante. Un résultat qui ouvre de nouvelles perspectives à l'outil Sesame.

Contact :
Christelle Huet
(Laboratoire de dosimétrie
des rayonnements ionisants - LDRI)
Dosimétrie interne
Un outil pour optimiser la surveillance de la contamination interne en milieu professionnel
Dans le cadre de sa thèse soutenue le 14 septembre 2010, Estelle Davesne a développé un système expert qui permet, en tenant compte des incertitudes, d'optimiser les procédures de surveillance de la contamination interne pour les travailleurs du nucléaire.

Afin de contrôler l'exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants, les exploitants de l'industrie nucléaire mettent notamment en place, à l'aide de normes Iso, des programmes de surveillance de la contamination interne. Ces programmes reposent sur des mesures radiotoxicologiquesGLO et anthroporadiamétriquesGLO régulières, à partir desquelles la dose de rayonnements reçue est ensuite évaluée grâce à des modèles biocinétiquesGLO. Ces normes sont très génériques, et l'imprécision des modèles, conjuguée à la variabilité des mesures, induit des incertitudes.

Les travaux d'Estelle Davesne ont eu pour but de quantifier ces incertitudes intrinsèques et de mettre au point une méthode pour optimiser ces programmes de surveillance compte tenu des incertitudes, c'est-à-dire pour identifier ceux dont la technique de mesure et la fréquence de surveillance réalisent le meilleur compromis entre leur coût et leur sensibilité.

Cette méthode repose sur l'évaluation de la dose minimale détectable (DMD), c'est-à-dire la plus petite dose que le programme de surveillance peut détecter. Elle est utilisée comme un critère de sensibilité du programme de surveillance en termes de dose : si la mesure ne décèle aucune activité (« mesure négative »), alors la dose, s'il y a réellement contamination, est inférieure à la DMD avec un niveau de confiance de 95 %.

Propagation des incertitudes

L'innovation de la thèse consiste à réaliser le calcul de la DMD en utilisant des techniques mathématiques statistiques pour prendre en compte les incertitudes relatives à la mesure et aux conditions d'exposition.

À partir d'un ensemble de mesures négatives, Estelle Davesne a propagé ces incertitudes par trois méthodes statistiques distinctes pour obtenir les incertitudes sur l'incorporation et sur la dose : classique (propagation directe des incertitudes des causes vers les conséquences) et bayésiennes (propagation indirecte des conséquences vers les causes) avec des variables continues ou discrètes (réseau bayésien). Ces techniques utilisent les modèles biocinétiques pour calculer la dose, ce qui permet d'obtenir une distribution de valeurs de dose. E. Davesne a alors appliqué la définition de la DMD : 95 % de ces valeurs sont inférieures à la DMD, ce qui donne la valeur de cette dernière.

Optimiser la surveillance

Les résultats obtenus ont permis à E. Davesne de développer et de valider le système expert Opsci (Optimisation des programmes de surveillance de la contamination interne) qui calcule la DMD en intégrant les incertitudes sur l'exposition et sur la mesure d'activité. Ce nouvel outil est d'ores et déjà utilisé par l'IRSN et par Areva-La Hague.

Contact :
Estelle Davesne
(Laboratoire d'évaluation de la dose interne - Ledi)
Accidents de fusion du cœur - Physique/chimie
Modélisation de la fissuration d'une cuve de réacteur en cas d'accident de fusion de cœur
À partir d'un dispositif expérimental novateur, la thèse soutenue par Nicolas Tardif le 10 décembre 2009 modélise l'initiation et la propagation d'une fissure dans la cuve en acier d'un réacteur, qui peut survenir lors d'un accident de fusion du cœur.

En cas d'accident de fusion du cœur d'un réacteur à eau sous pression et coulée du cœur en fusion au fond de la cuve, le poids et la chaleur dégagée par les matériaux induisent une déformation par fluage du fond de la cuve. Il est alors primordial de prévoir si celle-ci va se fissurer et si oui, comment. La position et la taille finale de la brèche sont en effet déterminantes pour estimer les conséquences de l'accident.

Dans le cadre de sa thèse, Nicolas Tardif a modélisé l'initiation et la propagation d'une fissure dans une cuve en acier, en fonction de la dépressurisation de cette dernière à la suite de la fissuration, et ceci pour deux nuances d'acier 16MND5 et dans des conditions représentatives d'un accident : hautes températures (900°C ou 1000°C) et fortes vitesses de déformation (vitesse de déformation vraie de 1 à 50 s−1).

Un ordre de grandeur a été établi pour les vitesses de propagation de fissure, pour l'évolution de la dépressurisation et pour celle de l'aire fissurée en fonction du temps. L'étude a également montré que l'initiation de la fissure est d'autant plus précoce et sa propagation d'autant plus rapide que la température est élevée. En revanche, la nuance de l'acier ne semble pas avoir d'impact.

Dispositif expérimental

Pour étudier le couplage entre la fissuration et la dépressurisation dans les conditions thermomécaniques représentatives d'un accident, un dispositif expérimental inédit a été conçu. Il s'agit d'un tube d'une trentaine de centimètres, que l'on étire et pressurise à l'intérieur. Le volume de gaz a été défini pour que le rapport entre l'énergie mécanique disponible (PV) et l'énergie nécessaire à la rupture complète de la structure soit le même pour les essais que pour une cuve. Il est filmé par deux caméras numériques rapides, dont une caméra infrarouge, pendant la montée en température jusqu'à la rupture.

Un modèle numérique

Les données recueillies expérimentalement ont été comparées à des simulations numériques fondées sur une loi existante rendant compte des phénomènes de traction et de séparation, loi que N. Tardif a adaptée aux caractéristiques viscoplastiques du matériau étudié. Utilisant la méthode des éléments finis, ces simulations modélisent l'initiation et la propagation de la fissure par une zone cohésive qui décrit deux surfaces initialement coïncidentes et qui finissent par se séparer jusqu'à décohésion totale. On simule ainsi les lèvres de la fissure et donc l'initiation et la propagation de cette dernière dans un milieu hautement ductile.

Les résultats obtenus serviront de base pour identifier une loi de comportement (de traction et de séparation) propre aux conditions d'un accident de fusion du cœur, capable de rendre compte des mécanismes d'endommagement localisés, et valide sur une gamme de vitesses de déformation étendue.

Contact :
Grégory Nicaise
(Bureau de physique des accidents graves)
 
Accidents de fusion du cœur - Physique/chimie
Les interactions iode-peinture au cours d'un accident de fusion du cœur
Dans l'hypothèse d'un accident de fusion du cœur d'un réacteur nucléaire, de l'iode radioactif serait relâché du combustible dégradé et arriverait dans l'enceinte de confinement du réacteur. Une partie de cet iode réagirait avec la peinture des parois pour former des iodures organiques, composés volatils difficiles à filtrer et donc susceptibles d'être relâchés dans l'environnement. Or, compte tenu de la radiotoxicité de l'iode, les espèces volatiles représentent un risque important pour les populations. Depuis plusieurs années, l'IRSN étudie les mécanismes de formation/destruction des formes volatiles de l'iode, notamment à l'aide du programme expérimental international Epicur. Ces travaux ont permis d'améliorer la modélisation du comportement de l'iode dans le logiciel Astec, outil de référence européen, qui simule le déroulement complet d'un accident de fusion du cœur.

Lors d'un accident de fusion du cœur d'un réacteur, l'iode radioactif contenu dans les crayons de combustible peut être libéré dans l'enceinte de confinement sous forme de particules (aérosols) et de gaz, dans des proportions variables suivant le scénario accidentel. Cet iode interagirait avec la peinture recouvrant les parois de l'enceinte pour former des iodures organiques gazeux.

Or les composés iodés sont susceptibles d'être relâchés dans l'environnement soit par les fuites de l'enceinte, soit par le dispositif d'éventage en cas de dépressurisation nécessaire du bâtiment(1), dont l'efficacité de filtration dépend entre autres de la nature des composés. Compte tenu du risque sanitaire que présente l'iode radioactif pour les populations – fixé sur la thyroïde il peut induire un cancer – la production de l'iode sous forme volatile (I2 et iodures organiques) et son comportement dans l'enceinte doivent être bien compris. L'enjeu est de prédire avec une précision suffisante les éventuels rejets dans l'environnement au cours d'un accident.

L'iode : une histoire d'interactions

Le programme expérimental international Phébus PF(2), durant lequel l'IRSN a reproduit à échelle réduite des accidents de fusion de cœur, a permis d'affiner la compréhension globale des phénomènes impliquant l'iode pendant un tel accident. Les essais ont en particulier montré que l'iode relâché par le combustible, après avoir transité dans le circuit primaire, arrive dans l'enceinte de confinement sous forme d'aérosols et de gaz. Certains des aérosols iodés vont se dissoudre dans l'eau, provenant du circuit primaire et des systèmes d'injection d'eau de secours, recueillie dans le puisardGLO. Ces aérosols dissous libèrent des ions iodure (I-) qui forment, notamment sous l'effet de l'oxydation radiolytiqueGLO, de l'iode moléculaire (I2) lui-même volatil ; il s'ajoute à l'iode gazeux provenant directement du circuit primaire. Une partie de l'I2 s'adsorbe sur les quelques milliers de mètres carrés de peinture présents dans l'enceinte. Puis, sous l'effet du rayonnement et selon la composition de l'atmosphère, une fraction de cet iode est convertie et relâchée sous forme d'iodures organiques volatils - principalement des composés mono-iodés tels que CH3I ou C2H5I. Une partie d'entre eux réagissent ensuite avec les produits de la radiolyse de l'air ambiant (mélange d'air et de vapeur d'eau) pour former principalement des aérosols d'oxydes d'iode. La concentration d'iode en phase gazeuse dans l'enceinte finit par atteindre un niveau stationnaire, résultat de processus antagonistes de formation et de destruction des différents composés. Mise en évidence par les essais Phébus, cette succession de phénomènes était mal reproduite par les modèles existants. D'où le programme expérimental Epicur (Étude physico-chimique de l'iode confiné sous rayonnement), qui s'est déroulé de 2005 à 2010 au sein du programme international Terme Source (ISTP)(3).

Le programme Epicur, l'iode et la peinture

Le programme Epicur s'est concentré sur l'analyse de deux phénomènes prépondérants : l'oxydation radiolytique de l'iode présent dans l'eau du puisard (phase liquide de l'enceinte) qui génère l'iode moléculaire gazeux I2, et la production des iodures organiques volatils à partir des surfaces peintes de l'enceinte où de l'iode s'est adsorbé. Quelques essais exploratoires ont été dévolus au devenir des oxydes d'iode dans l'enceinte, ainsi qu'à la stabilité radiochimique d'aérosols d'iodure de césium.

Les quatre premiers essais, réalisés en l'absence de peinture, ont permis d'étendre le domaine de validation du modèle d'oxydation radiolytique des iodures présents dans le puisard.

Les deux séries d'essais suivantes se sont concentrées sur le rôle de la peinture dans la production d'iodure organique. La première a concerné les surfaces peintes immergées dans le puisard et la seconde celles présentes dans la phase gazeuse de l'enceinte. Les parois peintes étaient représentées par des coupons en acier recouverts d'une peinture de type Époxy, représentative de celles présentes dans la plupart des enceintes de réacteurs.

Les six essais simulant les interactions dans l'eau du puisard ont montré que, quels que soient le pH (faiblement acide ou basique) et la température de l'eau (80°C ou 120°C), la quantité d'iodure organique produite depuis les surfaces peintes immergées et susceptible d'être volatilisée est faible.

La quinzaine d'essais en phase gazeuse a permis d'étudier l'influence de la composition gazeuse, en particulier du taux d'humidité, de la température (80°C et 120°C) et de la densité d'iode moléculaire sur les coupons peints (de 10-5 à 10-3 mol.m-2). Ces essais ont fourni un ensemble de résultats importants. En premier lieu, ils ont montré que, sous irradiation, le relâchement d'iodures organiques est significatif. De plus, la cinétique de production s'avère caractérisée par deux étapes bien distinctes : d'abord une production importante et rapide, pendant quelques heures, puis une production plus faible mais quasi-constante au cours du temps. Ces essais ont aussi identifié paramètre le plus influent sur la production des iodures organiques, à savoir la densité initiale d'iode déposée sur la peinture. En proportion, la production des iodures organiques est plus importante à faible densité en iode sur la peinture. Enfin, la température et la teneur en vapeur d'eau favorisent sensiblement la formation des iodures organiques. Ces deux séries d'essais désignent donc les interactions iode-peinture, en phase gazeuse, comme la source principale de formation des iodures organiques.

Schéma des processus de formation de l'IodeLa modélisation de l'iode dans le logiciel Astec 

Ces résultats permettent de faire évoluer, au sein du code Astec(4) de simulation des accidents de fusion, le module Iode qui modélise le comportement de l'iode dans l'enceinte de confinement. Ce module synthétise les phénomènes en jeu avec un ensemble réduit d'environ 35 réactions (chimie thermique, radiochimie et transferts de matière). Il utilise une approche semi-mécaniste, fondée sur la compréhension des réactions élémentaires complétée de formulations directement issues de l'expérience. Il s'appuie sur les données recueillies durant les vingt dernières années au cours de programmes nationaux et internationaux.

Grâce aux données expérimentales fournies par le programme Epicur, le développement d'un modèle plus élaboré a été entrepris pour simuler la production des iodures organiques à partir de l'iode en phase gazeuse adsorbé sur les peintures. Il se fonde également sur une compréhension plus mécaniste des interactions, c'est-à-dire une analyse théorique qui identifie le ou les groupes chimiques susceptibles de réagir avec l'iode et permet une formalisation plus précise des réactions.

Une fois abouti, ce modèle permettra de réaliser les calculs de la quantité et du type d'iode susceptible d'être relâché dans l'environnement avec une plus grande confiance et dans des conditions couvrant l'ensemble des scénarii accidentels. C'est notamment le cas pour de faibles densités d'iode adsorbé sur les peintures et pour le calcul des rejets à moyen terme, quelques jours après l'accident.

La poursuite de ces recherches est d'ores et déjà prévue dans le cadre du programme Stem qui débutera en 2011.

Ces travaux de modélisation sur l'iode ont été réalisés en concertation avec le réseau d'excellence européen Sarnet (Severe Accident Research Network of Excellence) qui fédère la recherche européenne sur les accidents de fusion de cœur. Participe le laboratoire commun C3R (Cinétique chimique, combustion et réactivité) qui réunit l'IRSN et le laboratoire Physicochimie des processus de combustion et de l'atmosphère du CNRS/Université Lille 1.

Contacts :
Béatrice Simondi-Teisseire (Service d'étude et de recherche expérimentale sur la chimie et l'incendie - Serci)
Laurent Cantrel (Laboratoire d'étude du corium et du transfert des radioéléments - LETR)
Sylvie Fillet (Laboratoire d'expérimentation environnement et chimie - L2EC)
1. Il s'agit de la procédure dite U5. Par principe, l'enceinte est toujours maintenue en dépression pour confiner l'air contenu à l'intérieur. Mais en cas d'accident, la pression interne de l'enceinte augmenterait et il pourrait être alors nécessaire, pour préserver l'intégrité du bâtiment, de l'éventer, c'est-à-dire ouvrir les vannes des conduits de ventilation, à travers des filtres.
2. Durant le programme international Phébus PF, piloté par l'IRSN, cinq essais ont été réalisés sur le réacteur Phébus entre 1993 et 2004. Ils ont consisté à reproduire, à échelle réduite 1/5000ème et avec des matériaux réels, des accidents de fusion de cœur de réacteur. Situé sur le centre d'étude de Cadarache, Phébus est un réacteur de type piscine de 40 mégawatts de puissance.
3. L'objectif du programme Terme Source est de réduire les incertitudes mises en évidence par le programme Phébus concernant l'évaluation des rejets de produits radioactifs dans l'environnement en cas d'accident de fusion du cœur d'un réacteur à eau sous pression.
4. Le logiciel de simulation des accidents Astec est conjointement développé depuis de nombreuses années par l'IRSN et GRS, son homologue allemand. Il est le logiciel de référence du réseau européen Sarnet. En outre, il est utilisé par d'autres nations en-dehors de la communauté européenne, comme la Russie et la Chine.
 
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Aktis est une publication trimestrielle de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Éditeur IRSN – standard : +33 (0)1 58 35 88 88 – http://www.irsn.fr/ - Directeur de la publication : Jacques Repussard - Directeur de la rédaction : Michel Schwarz - Rédactrice en chef : Sandrine Marano - Comité éditorial : Françoise Bretheau, Dominique Thierry, Gauzelin Barbier, Jean-Luc Chambon, Aleth Delattre, Alain Dubouchet, Dominique Franquard, Jean-Michel Frison, Christine Goudedranche, Pascale Monti, Emmanuelle Mur – Rédaction : Stéphane Fay/Aphania – Conception, réalisation et diffusion : Aphania - ISSN : 2110-588X - Droits de reproduction sous réserve d'accord de notre part et de mention de la source. Conformément à la loi No 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi No 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, tout utilisateur ayant déposé des informations directement ou indirectement nominatives, peut demander la communication de ces informations et les faire rectifier le cas échéant en nous écrivant à aktis@irsn.fr.