Si vous ne pouvez pas lire cette lettre, cliquez ici
Si vous souhaitez imprimer ou télécharger la version papier, cliquez ici
Version papier
N° 4, Avril-Juin 2011
La recherche, composante de la gestion
des risques nucléaires

Matthieu Schuler, Directeur de la stratégie, du développement et des partenariatsLa recherche de l'IRSN vit au rythme propre à la création de connaissances (formulation d'hypothèses, questionnement des certitudes...) avec comme seule ligne d'horizon l'amélioration de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Depuis le 11 mars pourtant des attentes accrues pèsent sur elle. Les événements graves qui ont affecté le Japon ont mobilisé des efforts considérables, sur place mais aussi en France. Mais ce n'est ni dans l'émotion, ni dans des réorientations dictées par l'urgence que les laboratoires de l'Institut joueront pleinement leur rôle. Leur apport réside dans la formulation des questionnements qui sont à la fois des enjeux pour la sûreté ou la radioprotection, et des enjeux pour la progression des connaissances. La force de l'Institut réside en effet dans sa capacité à entretenir un dialogue au long cours entre ses laboratoires de recherche et ses bureaux d'expertises pour identifier ces questionnements à double enjeu et y travailler.

À l'instar des travaux en géosciences illustrés dans ce numéro d'Aktis, la contribution de l'IRSN à la gestion des risques nucléaires et radiologiques a l'ambition de se situer non pas en réaction aux incidents et événements, mais en anticipation : c'est le défi des prochains mois que de revisiter méthodiquement ces questionnements scientifiques.

Matthieu Schuler,
Directeur de la stratégie, du développement et des partenariats
 
Déchets radioactifs - Géosciences
Les processus de transport
des contaminants dans l'argilite
Au regard de l'hypothèse de stocker en profondeur les déchets radioactifs à vie longue dans une roche argileuse, le rôle de l'IRSN est d'évaluer la sûreté d'un tel dispositif. À cette fin, l'Institut mène des recherches dans un ancien tunnel ferroviaire à Tournemire (Aveyron), creusé dans une roche argileuse très compacte, l'argilite. Trois thèses récentes ont étudié différents mécanismes de transport possibles des radionucléides dans la roche, de l'analyse microscopique de pores capillarisés sous atmosphère sèche aux phénomènes d'osmose thermique et chimique, en passant par le suivi de traceurs naturels.
 
Métrologie - Radioprotection
Un spectromètre pour mesurer les neutrons de haute énergie
Afin d'améliorer la radioprotection, notamment dans les centres de protonthérapie, le Laboratoire de métrologie et de dosimétrie des neutrons (LMDN) a développé un nouveau spectromètre pour les neutrons de haute énergie.

Caractériser les neutrons de haute énergie constitue un enjeu important pour affiner la protection des patients et des manipulateurs contre ces rayonnements, par exemple dans les installations de protonthérapie.

Un spectromètre a ainsi été développé au LMDN dans le cadre d'une thèse, pour mesurer la distribution des neutrons en fonction de leur énergie, sur une gamme allant de quelques milliélectronvolts (meV) à une dizaine de gigaélectronsvolts (GeV), et ce pour de faibles flux.

La solution technique repose sur des détecteurs appelés sphères de Bonner.

Leur principe est de ralentir les neutrons grâce à un matériau modérateur, pour pouvoir ensuite les compter à l'aide d'un détecteur, dont la sensibilité est maximale pour les neutrons lents, placé au centre de chaque sphère1.

Un spectromètre pour mesurer les neutrons de haute énergie

[ Sphères conventionnelles...
]


Pour évaluer la sensibilité et les performances de ce spectromètre, le parti a été pris de le modéliser à l'aide du code Monte Carlo de simulation du transport des rayonnements MCNPXGLO.

Celui-ci permet de représenter les interactions des neutrons avec la matière et donc les processus de ralentissement et de détection des neutrons.

Dans un premier temps, un système conventionnel de dix sphères de Bonner, capable de détecter des neutrons jusqu'à quelques dizaines de MeV, a été modélisé.

Le code MCNPX a permis d'étudier le comportement du système soumis à des flux de neutrons.

Établies pour chaque sphère, les réponses en fluence2 permettent alors de déduire le spectre des neutrons par déconvolution des signaux fournis par le système.

L'étude des variations de la réponse calculée en fonction de l'incidence du flux de neutrons a montré que l'agencement des sphères permet bien au système de mesurer le flux de neutrons de manière isotrope avec une incertitude inférieure à 5 %.

Un spectromètre pour mesurer les neutrons de haute énergie

[ ... et modifiées
]


L'étape suivante a consisté à étendre la sensibilité du spectromètre au-delà de la dizaine de MeV, jusqu'à quelques GeV.

Pour détecter ces neutrons d'énergie plus élevée, il faut parvenir à les ralentir suffisamment.

L'idée a été de modifier des sphères en ajoutant des métaux convertisseurs au sein du matériau modérateur, pour démultiplier l'efficacité de détection.

La simulation MCNPX a permis de valider l'ajout de trois sphères comportant du plomb ou du tungstène.

Aujourd'hui réalisé, le spectromètre a permis de caractériser le champ neutronique de la salle de traitements ophtalmiques (73 MeV) du centre de protonthérapie de l'Institut Curie d'Orsay (Icpo).

Il est par ailleurs actuellement testé par le Laboratoire souterrain à bas bruit de Rustrel (LSBB) du CNRS, et un autre exemplaire sera installé par l'Onera au Pic du Midi, dans le cadre d'une thèse débutée en 2010.

CollaborationLaboratoire souterrain à bas bruit de Rustrel (CNRS/LSBB), Onera, Institut matériaux microélectronique nanosciences de Provence (IM2NP) de l'Université Paul Cézanne.

Contact :
Véronique Lacoste
(Laboratoire de métrologie et de
dosimétrie des neutrons - LMDN)
1. Le matériau modérateur utilisé ici est du polyéthylène de haute densité massique. Le détecteur est un compteur proportionnel à 3He de haute pression gazeuse de remplissage. Le gaz 3He est utilisé car il possède une grande section efficace de réaction pour les neutrons thermiques.
2. La réponse en fluence correspond au nombre de coups de neutrons détectés par la sphère, divisé par le flux de neutrons reçu par la sphère (coups/(neutron/cm2)). Elle est fonction de l'énergie incidente des neutrons.
118
118 millions d'euros. C'est le budget R&D de l'IRSN pour 2011.
Advection
Flux d'eau résultant d'un gradient de charge hydraulique.

Aquifère
Couche de terrain ou de roche, suffisamment poreuse (qui peut stocker de l'eau) et perméable (où l'eau circule librement) pour contenir une nappe d'eau souterraine.

Le code MCNPX
Le code Monte-Carlo N-Particle eXtended est un code de simulation numérique du transport de particules et d'interaction avec la matière, qui utilise la méthode Monte-Carlo.

Méthode multicritère
Les méthodes d'aide multicritère à la décision sont des méthodes mathématiques issues de la théorie de la décision et du choix social.

La méthode utilisée dans Prime reprend les concepts définis dans les méthodes Électre et Prométhée.

Publications

Émetteurs Auger et bêta

L'IRSN vient de publier un rapport intitulé L'évaluation et la gestion des risques associés aux expositions aux radionucléides émetteurs Auger et bêta.

Rédigé en collaboration avec des experts du monde associatif, de l'Inserm de Nantes, de l'Université Paris VI et du CEA, ce rapport formule un avis sur la pertinence du système de radioprotection pour la gestion et l'évaluation prospective des risques en cas d'exposition à ces types de radionucléides.

À partir de ce constat, des pistes de recherche sont proposées pour améliorer le système de radioprotection, pistes qui ont vocation à être examinées dans le cadre du réseau d'excellence Melodi sur les faibles doses.

La simulation numérique pour démontrer la sûreté

Dans un ouvrage, paru début 2011, sur les applications de la simulation numérique, l'IRSN fait un panorama de son utilisation pour la démonstration de sûreté dans les installations nucléaires. “Numerical Simulations - Applications, Examples and Theory”, Intech, janvier 2011.

Nomination

Marc Benderitter, chef du Laboratoire de radiopathologie et thérapie expérimentale de l'IRSN, est nommé président de l'International Association of Radiopathology (IAR).

Marc Benderitter, chef du Laboratoire de radiopathologie et thérapie expérimentale de l'IRSN, est nommé président de l'International Association of Radiopathology (IAR).

Conférence

Durant la conférence internationale “Twenty-five Years after Chornobyl Accident. Safety for the Future”, qu'il a contribué à organiser à Kiev du 20 au 22 avril 2011, l'IRSN a prononcé une allocution sur “La sûreté nucléaire au XXIe siècle” et fait des présentations techniques sur la sûreté et la radioécologie.

Collaborations

Star, nouveau réseau d'excellence européen en radioécologie

Star, nouveau réseau d'excellence européen en radioécologie

Le réseau d'excellence en radioécologie Strategy for Allied Radioecology (Star), sous la coordination de l'IRSN, a été lancé début février 2011, pour quatre ans et demi, dans le cadre du 7ème programme cadre européen Euratom.

Ce réseau a pour vocation d'intégrer la recherche en radioécologie au niveau européen, en mutualisant ressources humaines, financières et d'infrastructures autour de neuf organismes en Europe. L'objectif premier de Star est de construire un agenda stratégique de recherche sur 15 ans.

Environ deux tiers des activités de Star seront consacrés à la recherche sur les thèmes prioritaires suivants : l'intégration des méthodes d'évaluation des risques radiologiques pour l'homme et les espèces non-humaines, l'effet des faibles doses sur les écosystèmes et enfin la prise en compte du contexte de multipollution dans l'évaluation des risques.

Des actions de formation et de diffusion large des connaissances et savoir-faire par des outils originaux tels qu'un laboratoire virtuel et la création d'observatoires en radioécologie, sont également prévues.

Enfin, des liens seront établis avec d'autres équipes de recherche internationales pour progresser plus vite dans l'acquisition de connaissances.

Gestion de crise
Prime, au service de la décision
Pour aider à prendre des décisions en cas de contamination radioactive d'un territoire, le projet Prime se fonde sur une analyse multicritère qui permet de classer les communes selon leur vulnérabilité.

Les retombées radioactives d'un accident nucléaire peuvent toucher les communes concernées de façon très variable, selon l'importance de la contamination évidemment, mais aussi en fonction de son impact sur l'activité humaine. Chaque commune peut ainsi subir des préjudices d'amplitude et de nature variables sur des enjeux économiques (entreprises, tourisme, foncier, emploi), environnementaux (contamination de la ville, des cultures, de l'eau, etc.) ou sociaux. Or, une fois passée la phase aiguë de l'accident, la gestion du territoire peut être facilitée par un classement des communes en fonction de leur vulnérabilité à la contamination. Cela suppose de définir un indice calculable pour chaque commune et représentant l'ensemble de leurs préjudices. C'est l'objet du projet Prime1, piloté par l'IRSN.

Carte illustrant le projet Prime.

[ Développement d'une méthode... ]

Pour étudier ce problème, les chercheurs de l'Institut ont choisi d'exploiter le paradigme multicritère qui permet de modéliser le schéma de pensée suivi par un acteur de la gestion de crise pour juger des compromis acceptables entre les différents critères considérés. Dans le cadre de Prime, les critères sont définis par les enjeux des communes. Pour chaque enjeu, le préjudice subi est évalué sur une échelle de 0 à 5. Cela crée une relation d'ordre et donc autant de structures d'ordres que d'enjeux.

L'étape suivante consiste à agréger ces structures d'ordre et à définir un indice de vulnérabilité global pour chaque commune, afin de comparer les communes les unes aux autres et de les classer. La solution choisie est une combinaison de deux méthodes multicritèresGLO d'aide à la décision. Intégrée dans le logiciel développé pour le projet, cette combinaison revient à paramétrer numériquement les logiques et les compromis réalisés par le raisonnement des acteurs du territoire, pour hiérarchiser les communes et leur attribuer une valeur de vulnérabilité.

[ ... appliquée au terrain ]

Cette démarche a été appliquée au cas d'un accident fictif survenant autour du site nucléaire de Tricastin-Pierrelatte (Drôme et Vaucluse). Un groupe de travail a été constitué avec des personnalités locales et des chercheurs pour identifier les enjeux des communes. La définition des enjeux environnementaux a nécessité des calculs d'impact détaillés par l'IRSN. Réalisé sur 18 communes, l'exercice de classement a été concluant.

La démarche participative de Prime a permis de faire émerger un consensus sur la caractérisation de la vulnérabilité du territoire. Le projet a aussi montré qu'en modélisant les logiques opératoires des acteurs, une hiérarchisation commune du territoire était possible malgré leurs perceptions très différentes des enjeux. Ce résultat doit être confirmé par d'autres applications, mais cette méthode apparaît déjà prometteuse, tant par son contenu que par le processus d'interaction qui y conduit.

CollaborationASN/Division de Lyon, Préfecture de la Drôme, Ineris, IRSN, Areva NC - site de Pierrelatte, EDF, Écoles des Mines, Université de Paris-Dauphine/Lamsade, Université de Grenoble/UMR Pacte, CLI du Gard, le directeur du Pays “Une autre Provence”, le président du Conseil scientifique du contrat de baie de la rade de Toulon, un exploitant viticole local, un maire.

Contacts :
Vanessa Parache
(Laboratoire d'études radioécologiques en milieux continental
et marin - LERCM)
Éric Chojnacki
(Laboratoire d'étude de l'incendie et de développement
de méthodes de simulation et d'incertitudes - Limsi)
Evaluation des risques
Éric Chojnacki, acteur d'une recherche
très transversale
Expert en analyse statistique de l'incertitude et du risque à l'IRSN, Éric Chojnacki a conçu Sunset, un logiciel qui reflète pleinement sa personnalité : ouvert et (bientôt) libre.

Quelle est la “spécialité” d'Éric Chojnacki ? Jeter des ponts entre les spécialités. Curieux de tout et de tous, il n'a de cesse de traverser les disciplines, d'élargir son champ de compétences, quitte à se hasarder en terre incertaine. Il estime en effet que pour faire avancer la connaissance, la recherche a intérêt à se montrer plurielle, et partageuse.

Revenons à nos ponts. Lorsqu'il commence sa carrière, cet ingénieur des Ponts et Chaussées veut se consacrer à la R&D dans une grande entreprise : après un bref passage chez EDF puis Areva, il rejoint l'IRSN en 1993. Cet institut multidisciplinaire et tourné vers l'international correspond bien à son désir de ne pas s'enfermer dans un sujet ou un petit groupe.

Il y développe d'abord une méthodologie et un logiciel statistique, Sunset, pour évaluer la qualité des prédictions du code de calcul thermohydraulique Cathare1. Constitué d'un noyau stable, Sunset peut être assorti d'extensions selon le sujet à traiter. Ouvert et bientôt libre2, c'est “un véritable outil de communication, qui permet de travailler avec beaucoup de monde et répond à de nombreux besoins, car il quantifie les incertitudes qui sont partie intégrante des métiers de l'Institut.”

Éric Chojnacki (Laboratoire d'étude de l'incendie et de développement de méthodes de simulation et d'incertitudes - Limsi)

Dialogue et communication sont pour Éric Chojnacki à la fois la racine et le fruit de la recherche scientifique. Lorsqu'en 1998, il se consacre à la modélisation du risque en sûreté et radioprotection (vaste champ d'étude, transversal au sein de l'IRSN), il participe avec Sunset aux travaux d'évaluation de l'incertitude sur les taux de leucémie dans l'environnement des installations de la Hague, au sein du groupe radioécologie Nord-Cotentin, mais aussi à l'analyse d'incertitudes sur les accidents de dimensionnement de réacteurs nucléaires dans le projet Bemuse3 de l'Ocde/CSNI. Nommé expert en analyse d'incertitude et statistique du risque en 2006, il collabore avec de nombreux partenaires, aborde des problématiques diverses, croise des approches multiples dans des projets multipartites et multidisciplinaires tels que Prime4, Eccorev Adage5. Un tel comportement ne va pas sans une certaine... prise de risque. “Il faut être prêt à entrer dans des sujets que l'on ne connaît pas, ne pas avoir peur de revendiquer des choses à la limite de la légitimité.” Aussi, passe t-il beaucoup de temps à se former, par lui-même.

Il peut ainsi déployer son talent : tisser des liens entre ingénieurs et chercheurs, théorie et pratique : “J'aime faire se chevaucher des domaines différents, pour que les connaissances des uns se nourrissent de celles des autres et que des solutions originales émergent.” N'en ferait-on pas un adage scientifique ?

Contact :
Éric Chojnacki
(Laboratoire d'étude de l'incendie et de développement
de méthodes de simulation et d'incertitudes - Limsi)
1. Cathare : logiciel de thermohydraulique développé par le CEA, l'IRSN, EDF et Framatome-ANP.
2. Sunset devrait être accessible en open source au cours du premier semestre 2011.
3. Bemuse : Best-Estimate Methods - Uncertainty and Sensitivity Evaluation / Méthodes "Best-Estimate" - Évaluation des incertitudes et analyse de sensibilité.
4. Prime : Projet de Recherche sur les Indicateurs de la sensibilité radioécologique et les méthodes Multicritères appliqués à l'Environnement d'un site industriel
5. Eccorev Adage (Projet sur la gestion des risques naturels dans le cadre de la fédération de recherche Écosystèmes continentaux et risques environnementaux)
Métrologie
Vers une meilleure mesure de la radioactivité
dans les filtres de surveillance de l'air
Une nouvelle méthode numérique a été mise au point par Tony Geryes durant sa thèse pour déterminer les facteurs correctifs qui sont liés à l'atténuation du rayonnement α dans les filtres de surveillance de l'air et doivent être appliqués à la mesure de l'activité déposée dans ces filtres.

La surveillance de la radioactivité α dans l'air, en particulier dans l'environnement des installations nucléaires, est effectuée à l'aide de dispositifs de prélèvement d'air équipés de filtres qui captent les aérosols porteurs de la radioactivité présents dans l'air prélevé. L'activité déposée dans ces filtres est alors mesurée par comptage global. Or cette mesure peut être faussée car une partie du rayonnement α est absorbée par la matière du filtre ou par les aérosols accumulés dans le filtre et à sa surface. Pour déterminer numériquement les facteurs correctifs liés à l'atténuation du rayonnement α, Tony Geryes, dans le cadre de sa thèse, a étudié la pénétration des aérosols radioactifs dans ces filtres.

[ Étude expérimentale... ]

Dans un premier temps, Tony Geryes a analysé expérimentalement l'influence, sur la mesure de la radioactivité, des mécanismes de dépôt des aérosols radioactifs dans les filtres. À l'aide du banc d'essais Icare1, des filtres ont été chargés en aérosols radioactifs dans des conditions représentatives des prélèvements atmosphériques réalisés autour des installations nucléaires. Leur étude a abouti à une base de données de facteurs de correction expérimentaux obtenus en faisant varier les caractéristiques des dépôts. Elle a ainsi permis de définir l'évolution des facteurs de correction en fonction de la pénétration des aérosols, de leurs mécanismes de collecte, du type de filtre et du niveau de la filtration (en profondeur ou en surface). Elle a en particulier confirmé l'augmentation de la valeur du facteur de correction à appliquer à la radioactivité mesurée au fur et à mesure que des aérosols s'accumulent dans le filtre.

Graphique de l'influence, sur la mesure de la radioactivité, des mécanismes de dépôt des aérosols radioactifs dans les filtres

[ ... puis numérique ]

Dans un second temps, Tony Geryes a simulé numériquement l'atténuation de la mesure de la radioactivité dans les filtres. Il a tout d'abord reproduit le profil de pénétration des aérosols radioactifs dans un médium filtrant, grâce à GeoDict, un code de dynamique des fluides. Il a ensuite simulé l'atténuation de l'énergie des rayonnements α due à la répartition des aérosols dans le filtre, grâce au code MCNPXGLO , qui reproduit le transport de ces rayonnements dans le médium à partir du profil de dépôt des aérosols obtenu avec GeoDict. Le couplage de ces deux codes permet ainsi de simuler les spectres en énergie des particules α, tout en reproduisant l'atténuation de l'énergie, et de calculer les facteurs de correction liés à cette dernière.

Cette méthode a été validée en comparant les résultats simulés avec les mesures expérimentales en laboratoire. Afin de pouvoir l'utiliser dans le cadre de la surveillance du territoire, il reste à vérifier si les coefficients ainsi obtenus sont représentatifs de ceux qui seraient obtenus à partir de filtres de terrain. L'étude est en cours.

Collaboration Laboratoire National Henri Becquerel.

Contact :
Céline Monsanglant-Louvet
(Laboratoire de physique et de métrologie des aérosols - LPMA)
Confinement - Sûreté nucléaire
Étude de la fissuration d'un béton modélisé
à l'échelle mésoscopique
Le choix d'une échelle intermédiaire pour modéliser le béton permet d'étudier de manière plus précise les phénomènes de fissuration de ce matériau.

La capacité de confinement du bâtiment abritant un réacteur nucléaire est évaluée en quantifiant les fuites éventuelles de gaz à travers le béton de sa paroi. C'est une évaluation complexe pour laquelle The Dung Nguyen a proposé une modélisation du béton à l'échelle mésoscopique, intermédiaire entre microscopique et macroscopique. Ce modèle permet d'examiner l'apparition, la distribution et l'évolution de fissures dans le béton soumis à des sollicitations mécaniques ou thermiques.

Étude de la fissuration d'un béton modélisé à l'échelle mésoscopique

[ Béton numérique ]

À l'aide de la modélisation mésoscopique, The Dung Nguyen représente le béton comme un milieu hétérogène, composé de granulats enchâssés dans une pâte de ciment homogène. Les granulats sont distribués aléatoirement dans l'échantillon de béton à modéliser, en respectant la courbe granulométrique (distribution des granulats selon leur taille). Ils sont représentés par des inclusions circulaires (2 D) ou sphériques (3 D) au sein d'un maillage représentant le volume de béton étudié. Aux points de Gauss1 du maillage, une méthode dite diffuse associe les propriétés des granulats et de la pâte à leurs positions. Le modèle de béton ainsi constitué a été implanté dans le logiciel de simulation numérique Cast3M, qui utilise la méthode des éléments finis pour résoudre les problèmes de mécanique des structures.

Étude de la fissuration d'un béton modélisé à l'échelle mésoscopique

Testé en deux et trois dimensions en simulant de essais de traction et compression uni-axiales d'une éprouvette, le modèle mésoscopique du béton et la stratégie de maillage choisie ont permis de retrouver le comportement mécanique de l'éprouvette à l'échelle macroscopique, et de caractériser la distribution de la fissuration et de l'ouverture des fissures. Cette première validation confirme la capacité de la méthode à simuler le béton à l'échelle mésoscopique et macroscopique.

[ Trois applications ]

Le modèle a montré son efficacité dans trois applications. Dans la première, il a permis de calculer la perméabilité à l'eau d'un béton soumis à des tractions et compressions créant des fissures (essai Bipede2). La seconde a consisté à calculer l'état initial des contraintes, dû à l'hydratation du béton au moment de sa fabrication. Enfin, la troisième application a permis de représenter les effets d'échelle, qui caractérisent la résistance d'une structure en fonction de sa taille. Comparés aux données expérimentales, les résultats sont très satisfaisants. L'ensemble de ces tests ont montré l'intérêt de l'approche mésoscopique, surtout en 3D. Il reste des améliorations à apporter, notamment en optimisant la représentation de la taille des granulats, et en intégrant les paramètres non linéaires tels que la plasticité et le fluage.

Collaboration Laboratoire Lasagec de l'Université de Pau-Pays de l'Adour.

Contact :
Georges Nahas
(Bureau d'analyse du génie civil et des structures - BAGCS)
1. Les points de Gauss sont les points d'intégration auxquels sont appliquées les pondérations dans la méthode aux éléments finis.
2. Base d'identification de la perméabilité et de la dégradation (Gérard, 1996).
 
Déchets radioactifs - Géosciences
Les processus de transport
des contaminants dans l'argilite
Au regard de l'hypothèse de stocker en profondeur les déchets radioactifs à vie longue dans une roche argileuse, le rôle de l'IRSN est d'évaluer la sûreté d'un tel dispositif. À cette fin, l'Institut mène des recherches dans un ancien tunnel ferroviaire à Tournemire (Aveyron), creusé dans une roche argileuse très compacte, l'argilite. Trois thèses récentes ont étudié différents mécanismes de transport possibles des radionucléides dans la roche, de l'analyse microscopique de pores capillarisés sous atmosphère sèche aux phénomènes d'osmose thermique et chimique, en passant par le suivi de traceurs naturels.

Pour un éventuel stockage des déchets radioactifs en profondeur, le milieu argileux est considéré comme une barrière géologique dont le rôle est, notamment, de confiner les radioéléments dans l'espace et dans le temps. La roche argileuse actuellement étudiée pour ce projet par l'Andra (laboratoire de Bure en Meuse/Haute-Marne), appelée argilite, se caractérise par sa faible teneur en eau et la très petite taille de ses pores, ce qui la rend très peu perméable. Toutefois, la présence de discontinuités dans la roche, tout particulièrement des fissures, peut modifier les processus de transport de l'eau et des radionucléides, et créer des voies d'écoulement préférentielles menant à la dispersion des radionucléides par advectionGLO. Trois thèses récentes soutenues à l'IRSN ont investigué quelques-uns de ces processus de transport.

[ Transport à travers les fissures dans les milieux endommagés ]

Micrographie MEB montrant la précipitation de deux formes différentes de NaCl.Ainsi, le creusement, puis l'exploitation des ouvrages souterrains imposent à la roche des sollicitations mécaniques, hydrauliques, hydriques et thermiques qui la perturbent et peuvent conduire à une fissuration des parois. L'IRSN explore cette problématique dans son laboratoire de recherche situé dans un ancien tunnel ferroviaire à Tournemire (Aveyron) et creusé au sein d'une argilite comparable à celle étudiée par l'Andra. Dans sa thèse, Majda Bouzid a cherché à comprendre comment, à l'intérieur des pores de la roche, des modifications des caractéristiques physicochimiques (taille des pores, humidité relative, nature de la solution) peuvent avoir un effet sur le milieu poreux, et au-delà, sur la propagation des fissures. Elle a effectué en laboratoire des expériences sur des analogues du réseau poreux et de l'eau porale de la roche argileuse. Elle a ainsi identifié deux types de mécanismes susceptibles d'affecter le réseau poreux à la suite d'une modification de la composition chimique de la solution porale par évaporation.

Le premier type de mécanisme est l'apparition d'une contrainte mécanique qui résulte de la précipitation de sels. Cette contrainte mécanique prend elle-même deux formes. La première forme, la pression de cristallisation, est la pression exercée par le précipité contre les parois du pore. La seconde forme de contrainte est la traction capillaire. Ce phénomène apparaît dans les zones non saturées de l'argilite, où l'eau se trouve sous ses trois phases en équilibre et ne s'écoule pratiquement plus : l'eau est dite capillaire. Cet équilibre se crée grâce à une diminution de la pression interne de l'eau, ce qui induit une traction sur les parois du pore et les déforme. Cette traction capillaire constitue une voie de dégradation de l'intégrité structurale de l'argilite encore peu examinée jusque là. Pression de cristallisation et traction capillaire pourraient entraîner, à l'échelle de la roche, des déformations et donc conduire à la propagation des fissures le long des strates, qui sont ses zones de faiblesse.

Schéma illustrant la thèse sur le "Transport à travers les fissures dans les milieux endommagés" de Majda Bouzid.

Second type de mécanisme : les transitions de phase, qui font passer une solution porale d'un état stable à l'état métastable. Ce phénomène se produit avec l'évaporation de l'eau porale, qui génère un phénomène de capillarité par la formation de bouchons de sels. Ceux-ci isolent partiellement les pores et peuvent conduire à une instabilité thermodynamique de l'eau piégée, qui passe à l'état surchauffé avec l'apparition de bulles de gaz. La précipitation des sels peut donc modifier les caractéristiques des pores et leur organisation entre eux, tout en changeant les propriétés de transport. Ces transitions de phase montrent également que cette apparition de sels modifie drastiquement les propriétés thermodynamiques de l'eau porale.

[ Transport par diffusion moléculaire ]

Schéma illustrant la thèse sur le "Transport par diffusion moléculaire" de Fethi Bensenouci.En l'absence de fissure, la diffusion moléculaire est le mode de transport supposé dominant des radioéléments dans l'argilite. Elle est provoquée par un gradient de concentration qui tend à homogénéiser la répartition de toutes les espèces chimiques dissoutes dans les pores de la roche. Pour étudier la diffusion dans les formations argileuses compactées de Tournemire et de l'Est du Bassin de Paris, Fethi Bensenouci a, pendant sa thèse, observé les traceurs naturels mobiles dans l'eau porale d'échantillons d'argilite.

Plus précisément, il en a établi les profils, c'est-à-dire les courbes de concentration obtenues selon l'axe vertical du forage dont sont issus les échantillons. Ces profils sont considérés comme des expériences naturelles sur des échelles de temps et d'espace comparables à celles d'un stockage géologique de déchets radioactifs, et qui permettent de préciser les propriétés et modes de transport les ayant affectés.

En pratique, Fethi Bensenouci a observé les isotopes stables de l'eau, les anions mobiles (chlorures, bromures et dans une certaine mesure les sulfates) et enfin les gaz rares (e.g. hélium). Les chlorures se distinguent comme les traceurs les plus productifs en termes d'information sur le transport des espèces dissoutes et leur histoire dans les formations argileuses. À un degré moindre, les isotopes stables de la molécule de l'eau, surtout le deutérium, constituent aussi une source d'information sur son transport, mais dont les incertitudes augmentent proportionnellement à l'âge de la formation étudiée. En effet, l'évolution complexe des teneurs en isotopes stables de l'eau dans les aquifèresGLO et dans la formation argileuse limite l'étude de ces isotopes aux périodes les plus récentes de l'âge de la formation. Quant à l'hélium, il ne s'est pas révélé être un bon chronomètre, mais il a permis de vérifier que la diffusion reste le mode de transport dominant dans des formations comme celles de Tournemire.

[ Transport par osmoses chimique et thermique ]

Photographie du dispositif expérimental in situ de test thermo-osmotique mis en place en forage à Tournemire.Les autres mécanismes qui peuvent affecter le transport de l'eau et des radionucléides sont les échanges osmotiques, phénomènes peu investigués jusqu'alors et étudiés par Joachim Tremosa durant sa thèse. L'osmose chimique et l'osmose thermique sont des mouvements d'eau respectivement dus à un gradient de potentiels chimique et thermique.

L'osmose chimique est liée au mécanisme d'exclusion anionique (les charges négatives des particules d'argile repoussent les anions vers le centre des pores) et à la taille des pores. Plus grande est la concentration d'anions, plus forte est l'osmose chimique. Pour quantifier ce processus dans l'argilite, Joachim Tremosa a amélioré un modèle électrique d'interactions existant, le modèle triple couche, pour qu'il rende compte de l'impact de solutions multi-ioniques sur l'osmose chimique. En effet, ce type de solution est proche de la composition des eaux porales à Tournemire, qu'il a également modélisées.

L'osmose thermique est quant à elle due au gradient de température qui crée un flux d'eau du milieu le plus chaud vers le milieu le plus froid. Peu d'informations existaient sur ce phénomène, et un modèle théorique de la thermo-osmose a donc été créé. Il est fondé sur la modification des liaisons hydrogène autour des molécules d'eau proches de la surface des pores de la roche ; il dépend de paramètres tels que la température, la salinité, la porosité et les interactions fluides-solides du milieu.

Les modèles des deux processus osmotiques ont été validés au cours d'expériences en laboratoire et in situ à Tournemire, premières expériences au monde sur une roche argileuse naturelle pour la thermo-osmose.

Ces travaux ont permis à Joachim Tremosa d'estimer l'effet de l'advection et des deux types d'osmose à l'échelle de la couche argileuse. Alors que le phénomène d'osmose chimique, tout comme celui de l'advection, crée un flux descendant, l'osmose thermique produit un flux ascendant qui s'oppose aux autres flux et peut contribuer à transférer des radionucléides vers la biosphère. Ce phénomène n'a, jusqu'à présent, pas fait l'objet d'études approfondies sur les sites potentiels de stockage de déchets radioactifs en couche argileuse, y compris celui de l'Andra. Son étude sera donc poursuivie.

Images tirées d'un schéma animé illustrant dispositif expérimental in situ de test thermo-osmotique mis en place en forage à Tournemire.

Collaboration Les universités d'Orsay et d'Orléans (thèse de Majda Bouzid), le CNRS dans le cadre du GNR Trasse, les universités d'Orsay et de Bern (Suisse) et le programme national TAPSS2000 (thèse de Fethi Bensenouci), Amphos XXI (Barcelone, Espagne) et le BRGM (thèse de Joachim Trémosa).

Contact :
Jean-Michel Matray
(Laboratoire de recherche sur le stockage géologique des déchets
et les transferts dans les sols - LR2S)
 
AbonnementModification d'abonnementArchivesRSSDésabonnement
 
Aktis est une publication trimestrielle de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Éditeur IRSN – standard : +33 (0)1 58 35 88 88 – http://www.irsn.fr - Directeur de la publication : Jacques Repussard - Directeur de la rédaction : Matthieu Schuler - Rédactrice en chef : Sandrine Marano – Comité de lecture : Michel Schwarz, Sylvie Supervil - Comité éditorial : Jean-Luc Chambon, Aleth Delattre, Alain Dubouchet, Dominique Franquard, Jean-Michel Frison, Christine Goudedranche, Pascale Monti, Emmanuelle Mur, Michel Schwarz, Sylvie Supervil – Rédaction : Stéphane Fay / Aphania – Conception et réalisation : Aphania – ISSN : 2110-588X - Droits de reproduction sous réserve d'accord de notre part et de mention de la source. Conformément à la loi No 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi No 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, tout utilisateur ayant déposé des informations directement ou indirectement nominatives, peut demander la communication de ces informations et les faire rectifier le cas échéant.