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La maîtrise des risques engendrés par les accidents d’injection de réactivité (RIA) impose le respect de propriétés spécifiques de résistance aux combustibles utilisés dans les réacteurs nucléaires. En effet, ces accidents se traduisent par une augmentation rapide de la puissance générée par les réactions de fission qui, dans des conditions extrêmes, peut conduire la gaine du combustible à se
rompre. Or celle-ci est la première barrière qui confine les éléments radioactifs à l’intérieur du réacteur. Une des missions de l’IRSN est d’évaluer si les combustibles nucléaires répondent aux exigences de sûreté vis-à-vis de ces accidents. Pour estimer les risques de rupture, l’Institut a développé un logiciel qui modélise le comportement du combustible. Les modèles actuels sont construits avec des hypothèses et des approximations(1) que l’avancée
des connaissances permet d’affiner progressivement. L’IRSN a ainsi engagé, depuis plusieurs années, des travaux de modélisation multi-échelle de ces matériaux très hétérogènes. Ces travaux contribuent à réduire les incertitudes des modèles de comportement du combustible.
L’accident d’injection de réactivité ou RIA (Reactivity Initiated Accident), qui est pris en compte dans la conception des réacteurs(2), se traduit par une brutale génération d’énergie au sein du combustible. Elle y entraîne des transformations. D’une part, il gonfle, en raison des effets de dilatation, et en raison de l’expansion des gaz produits en fonctionnement normal par les fissions nucléaires (essentiellement Krypton et Xénon) qui restent
emprisonnés dans sa matrice. Ce gonflement induit une pression mécanique sur la gaine. D’autre part, une partie des gaz de fission est relâchée par le combustible et se répartit dans les interstices existant entre les pastilles de combustible et la gaine, contribuant à l’augmentation de la pression exercée sur cette dernière.
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Image du combustible irradié où sont visibles les petites bulles sphériques dans les grains du matériau et les bulles aplaties entre les grains.
© IRSN
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Expériences globales |
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Lors de l’étude du RIA, il est primordial d’évaluer quelles conditions entraîneraient la rupture de la gaine. Pour les connaître, l’IRSN réalise des programmes expérimentaux et développe le logiciel SCANAIR dont l’objectif est de prévoir le comportement thermomécanique des crayons de combustible en RIA. Les modèles utilisés dans le logiciel représentent les comportements thermiques et mécaniques des matériaux constituant le combustible. Ils prennent également en
compte la présence de gaz de fission. Ils ont été établis à partir d’approches théoriques, puis validés par des expériences globales simulant des accidents de RIA (notamment celles réalisées dans le réacteur CABRI). Cependant, aucun de ces modèles ne peut être validé indépendamment des autres, car il n’est techniquement pas possible de réaliser des expériences séparées individualisant chaque phénomène : on ne peut donc garantir l’absence de biais dans le couplage des
modèles, difficilement identifiable à partir d’une expérience globale.
Pour réduire les incertitudes des modèles et identifier les améliorations à y apporter, l’IRSN a de ce fait mis en œuvre des méthodes de modélisation dite avancée. L’une d’elles est l’homogénéisation multi-échelle. L’idée est de modéliser chaque phénomène élémentaire à l’échelle où il se produit, pour en déduire la loi de comportement global du matériau à l’échelle supérieure, tenant compte du phénomène élémentaire. Cette démarche est bien adaptée à la modélisation du
combustible irradié, matériau fortement hétérogène. Elle permet de tenir compte des détails de la structure des matériaux dans un modèle macroscopique, compatible avec le niveau de description de SCANAIR qui décrit le comportement moyen du combustible. Dans les modèles existants du logiciel, les incertitudes les plus importantes proviennent des modèles de gaz de fission dont le comportement n’est pas accessible à la mesure. La modélisation avancée a donc d’abord été
développée à l’IRSN pour cela.
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Du micro au macro |
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Le combustible nucléaire irradié contient des porosités, des gaz, des précipités de produits de fission. L’une des questions est de savoir quelle influence les bulles présentes dans le combustible ont sur son comportement mécanique global durant le RIA. Les chercheurs ont utilisé une méthode de modélisation multi-échelle. Ces bulles sont de deux types : des bulles sphériques de
quelques nanomètres contenues dans les grainsGLO du matériau ; et des bulles en forme de lentille de quelques micromètres localisées entre les grains. Pour modéliser le comportement global du combustible en prenant correctement en compte l’effet de ces bulles, deux étapes d’homogénéisation successives sont réalisées. La première étape vise à obtenir le modèle de comportement homogène
équivalent du grain contenant des bulles, à l’échelle intermédiaire (ou mésoscopique). Il faut représenter à l’échelle du micromètre le comportement d’une matrice (le grain) qui contient des bulles sphériques nanométriques. Le modèle a d’abord été réalisé avec des bulles vides de gaz, puis il a été modifié pour prendre en compte la pression interne des bulles. La seconde étape permet quant à elle de passer à l’échelle du matériau global (échelle macroscopique) :
on modélise le comportement d’une matrice possédant les propriétés équivalentes à celles déterminées à la première étape et qui contient des bulles lenticulaires à l’échelle du micromètre. La difficulté majeure à surmonter ici est la prise en compte de la forme particulière des bulles.
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Les trois échelles de modélisation du combustible contenant des bulles de gaz.
© IRSN
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Se pose ensuite la question de valider les modèles analytiques ainsi obtenus. La validation a été réalisée en calculant directement le comportement de volumes élémentaires du matériau en résolvant des équations de la mécanique des milieux continus (en utilisant ici des transformées de Fourier rapides). Dans ces volumes élémentaires, la porosité globale est imposée et tous les détails de la structure du
matériau (bulles intra et intergranulaires) sont représentés. Ces calculs directs sont inutilisables à l’échelle du réacteur car trop complexes et coûteux en temps de calcul. La comparaison entre les contraintes mécaniques déterminées par les calculs directs et celles issues de l’approche par homogénéisation prenant en compte les différentes échelles (multi-échelles) montre que les formules analytiques établies sont très précises.
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Résultat de la modélisation avancée pour des volumes élémentaires de combustible : champ de déformation équivalente en conditions de traction-compression illustrant la localisation des déformations.
© IRSN
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La pression des gaz de fission |
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Compte tenu de la très petite taille des bulles intragranulaires et de la forte pression qui y règne, il faut s’interroger sur la validité, à cette échelle, de la notion de pression. Pour déterminer l’équation qui la régit, les scientifiques ont choisi d’utiliser une méthode de modélisation avancée, dite approche atomistique, dans laquelle sont représentées les interactions individuelles entre
les atomes. Le modèle développé pour représenter le comportement des bulles de gaz piégées dans la structure cristalline du combustible repose sur la dynamique moléculaire, technique qui permet de simuler les mouvements d’un ensemble d’atomes au cours du temps. Les forces entre les atomes sont dérivées de potentiels interatomiques issus de la littérature et adaptés à ce type d’application. En premier lieu, l’impact de la bulle elle-même, sans gaz, a été étudié.
Ceci a permis de modéliser la distorsion de la matrice de dioxyde d’uranium (le matériau du combustible nucléaire) sous l’effet du voisinage de la bulle (effet de confinement). Puis des simulations comportant quelques centaines, voire quelques milliers d’atomes d’uranium et d’oxygène et quelques dizaines d’atomes de xénon ont été réalisées. La pression à l’intérieur de la bulle a été évaluée en prenant en compte non seulement les interactions entre atomes de
xénon, mais aussi les interactions xénon-uranium et xénon-oxygène. |
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Exemples de modèles utilisés dans les calculs de dynamique moléculaire : de gauche à droite, représentation de cavités d’un rayon de 4, 6 et 8 Å dans l’oxyde d’uranium (atomes d’U en gris, atomes d’O en rouge).
© IRSN
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Pression interne des bulles |
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La nécessité de déterminer la pression interne des bulles a soulevé la question de sa modélisation dans les deux étapes d’homogénéisation décrites plus haut. En effet, les développements initiaux considèrent l’hypothèse d’un comportement gazeux alors que l’approche atomistique montre qu’aux températures typiques du RIA, le xénon sous forte pression dans les plus petites bulles se comporte comme un matériau dense et non comme un gaz. De plus, les effets de
surface associés à la déformation du réseau cristallin ne peuvent pas être négligés. Ces résultats montrent que la modélisation habituelle reposant sur les lois d’état simples (loi des gaz parfaits, loi de Van Der Vaals) n’est pas adaptée au cas des bulles intragranulaires et qu’elle doit être revue. Ces travaux se poursuivent actuellement dans le cadre d’une thèse. Ces méthodes de modélisation avancée dans le domaine du RIA permettent d’élaborer, dans
une démarche structurée et rigoureuse, des modèles macroscopiques du combustible nucléaire dans lesquels les effets de la microstructure sont pris en compte. Ces modèles sont intégrés dans le logiciel SCANAIR. Cette approche permet, d’une part d’aborder avec une confiance accrue la question de la transposition des résultats expérimentaux à l’échelle du réacteur, d’autre part de capitaliser un savoir-faire en termes de modélisation qui s’accommodera mieux des
évolutions des combustibles qui sont susceptibles d’être proposées par les exploitants dans l’avenir.
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Laboratoire de mécanique et de génie civil (LMGC), Laboratoire de Micromécanique et intégrité des structures, laboratoire commun IRSN/LMGC/Univ. Montp. II (MIST), Laboratoire de mécanique et d’acoustique (LMA) Centre interdisciplinaire de nanoscience de Marseille (CINaM) |
Service de maîtrise des incidents et accidents (SEMIA) de l’IRSN.
(1) Lors de l’utilisation du logiciel Scanair dans le cadre d’évaluations de sûreté, des marges sont adoptées pour tenir compte des hypothèses de départ et des approximations.
(2)L’accident d’injection de réactivité, plus simplement appelé accident de réactivité ou encore RIA (Reactivity Initiated Accident), qui est pris en compte dans la conception des réacteurs, résulte de la défaillance d’un mécanisme pilotant une grappe de commande, qui contribue à la régulation de la réaction nucléaire. Il se traduit par une rapide et violente génération d’énergie au sein du combustible.
• Moal A. et al. « SCANAIR: A transient fuel performance code: Part One: General modelling description », Nuclear Engineering and Design, Volume 280, December 2014, Pages 150-171
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• Georgenthum V. et al. « SCANAIR a transient fuel performance code Part two: Assessment of modelling capabilities », Nuclear Engineering and Design, Volume 280, December 2014, Pages 172-180
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• Vincent P.-G. et al. « Effective flow surface of porous materials with two populations of voids under internal pressure: I. A GTN model », International Journal of Plasticity, Volume 56, May 2014, Pages 45-73
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• Vincent P.-G. et al. « Effective flow surface of porous materials with two populations of voids under internal pressure: II. Full-field simulations », International Journal of Plasticity, Volume 56, May 2014, Pages 74-98
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• Jelea A. et al. « An atomistic modeling of the xenon bubble behavior in the UO2 matrix », Journal of Nuclear Materials, Volume 444, Issues 1–3, January 2014, Pages 153- 160
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