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Avec 180 000 patients traités chaque année en France, la radiothérapie
est l’une des principales techniques de traitement du cancer. Son objectif est de délivrer des doses importantes au volume tumoral tout en épargnant au mieux les tissus sains présents dans le champ de l’irradiation. Néanmoins, des complications peuvent apparaître à plus ou moins long terme chez ces patients et affecter de manière importante leur qualité de vie. Un des objectifs du troisième plan cancer 2014-2019 est de réduire les risques de séquelles du traitement du cancer dans sa globalité. L’IRSN a lancé dès 2009 le programme de recherche Rosiris dont l’objectif est d’acquérir la capacité d’évaluer ce risque de complication. Il s’agit d’étudier et de modéliser les principaux mécanismes qui relient le dépôt initial d’énergie au niveau des structures cellulaires aux complications et lésions que peut développer le patient. Ce programme vise,
in fine, à améliorer la maîtrise de la dose délivrée et à identifier des indicateurs diagnostiques et pronostiques dont la mesure permettra d’adapter le suivi clinique des patients.
Le programme Rosiris cherche à identifier l’existence d’un lien entre les effets précoces et tardifs pour les organes à risque suite à une radiothérapie conventionnelle de la zone abdomino-pelvienne. Les travaux se concentrent sur le rôle du compartiment vasculaire, et notamment des micro-vaisseaux des tissus concernés. En effet, selon des travaux scientifiques de plus en plus nombreux, l’effet des rayonnements ionisants sur les micro-vaisseaux jouerait un rôle central dans les toxicités précoces et tardives au niveau des tissus sains et en particulier pour le tube digestif.
Le programme s’intéresse aux trois étapes du développement d’une lésion tissulaire induite après une irradiation : la phase initiale où le rayonnement dépose de l’énergie dans les cellules et endommage les molécules qui les composent (eau, protéines, ADN, lipides, principalement) ; la phase des modifications précoces générées par les mécanismes de réactions physiologiques des tissus concernés ; et la phase de développement des lésions tardives, par exemple de type fibrose.
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Figuration d’une particule ionisante
causant une cassure double brin dans l’ADN.
© www.nasa.gov/centers/ames/engineering/projects/ biosentinel.html
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Cassures double brin |
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Pour la phase initiale, une équipe de physiciens et une équipe de biologistes travaillent ensemble pour modéliser la répartition des dépôts d’énergie à l’échelle nanométrique et la corréler à celle des événements biologiques initiaux qui se produisent dans la cellule. L’un des événements biologiques radio-induits qu’il a été retenu d’étudier, car suffisamment stable et techniquement observable, est la signalisation, par la cellule, des cassures double brin de son ADN. Ces cassures sont définies par un minimum de deux cassures simples, chacune située sur un brin de l’ADN et distante de moins de 10 bases d’ADN, soit moins de 3,4 nanomètres.
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La simulation à l’échelle du nanomètre nécessite le développement de modèles complexes, et notamment d’ADN.
Schéma du modèle d’ADN implanté dans GEANT4 représentant les différents niveaux de compaction de la molécule d’ADN
(a) nucléosome (b) fibre de chromatine (c) boucle simple (d) boucle « en fleur » (e) espace du chromosome rempli de chromatine décondensée (f) espace du chromosome rempli de chromatine condensée.
© IRSN/Morgane Dos Santos |
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La tâche des physiciens est de définir la répartition des dépôts d’énergie à l’échelle du nanomètre ou structure de la trace. Ces dépôts correspondent à des collisions inélastiques entre les particules chargées générées par le rayonnement et les molécules cibles, provoquant leur ionisation ou, dans une moindre mesure, leur excitation. Chaque trace est unique car elle résulte d’un ensemble d’événements stochastiques. Le nombre et la répartition de ces dépôts variant selon le type d’irradiation, les physiciens simulent la structure de la trace pour un type d’irradiation donnée (particule/énergie) et en décrivent les dommages sur l’ADN désignés sous le terme d’interactions directes.
Afin de corréler cette structure de la trace aux cassures double brin, la simulation doit également prendre en compte d’autres phénomènes qui correspondent à la création de radicaux chimiques à partir de l’ionisation ou l’excitation des molécules d’eau. Lorsque ceux-ci sont suffisamment proches de l’ADN, ils peuvent l’attaquer chimiquement : c’est l’interaction indirecte. Enfin, il faut également intégrer dans cette simulation des paramètres biologiques qui sont matérialisés par la répartition de la cible étudiée dans la cellule, dans notre cas la molécule d’ADN dans le noyau cellulaire. Pour l’instant, les chercheurs ont simulé les effets directs associés à une description géométrique de la cible d’ADN, suffisante pour le calcul de ces effets. Ils travaillent actuellement à l’intégration des effets indirects. Ces travaux sont réalisés dans le cadre coopératif du programme européen BioQuaRT dédié à l’étude de l’efficacité biologique de l’hadronthérapie GLO et dont les objectifs sont complémentaires à ceux du programme Rosiris.
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Électrons
de très basse énergie |
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Les physiciens utilisent un code de calcul de type Monte Carlo, GEANT4-DNA, pour simuler le transport des particules dans la matière et ainsi définir la trace des particules incidentes du rayonnement et des électrons créés par leur passage. Ce type de simulation est basé sur la connaissance des sections efficaces qui représentent la probabilité d’interaction entre les particules et le milieu cible. Pour obtenir la précision nanométrique recherchée, les chercheurs ont participé à l’implémentation et à la validation dans le code des modèles physiques (basés sur des données expérimentales dans l’eau liquide) permettant de déterminer les sections efficaces pour des électrons de très basse énergie (énergies cinétiques inférieures au keV). Par ailleurs, pour simuler l’interaction avec l’ADN et prévoir les cassures, ils ont développé un modèle géométrique d’ADN adapté au logiciel. Pour évaluer le nombre et la localisation des cassures double brin de l’ADN, l’hypothèse retenue est que l’ionisation d’un sucre ou d’un phosphate sur la chaîne d’ADN (pas sur une base) donne lieu à une cassure simple brin (SSB). Un algorithme, dit de clusterisation, analyse ensuite les positions de chaque cassure simple brin dans l’ADN pour localiser les cassures double brin.
Plusieurs évolutions sont en cours. D’une part, les chercheurs travaillent à l’implantation de sections efficaces correspondant à l’interaction de particules chargées avec des molécules d’ADN réelles, car GEANT4-DNA ne disposait jusque-là que des sections efficaces de l’eau liquide. Par ailleurs, une nouvelle description géométrique de l’ADN au niveau moléculaire, permettant une meilleure localisation des cassures ainsi que son utilisation dans la simulation des effets indirects est en cours d’achèvement. |
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Repérer l’histone H2AX |
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Pour faire le lien entre cette simulation des conséquences de l’irradiation au sein des cellules et les dommages observés à l’ADN, la tâche des biologistes consiste à caractériser et quantifier les dommages à l’ADN réellement générés par une irradiation donnée.
Ces dommages sont repérés à l’aide des protéines cellulaires qui se modifient ou se relocalisent autour d’eux. Une des protéines utilisées par les biologistes de l’IRSN est l’histone H2AX qui est phosphorylée (H2AX-pSER139) lorsqu’elle se situe à proximité d’une cassure double brin de l’ADN et dont la modification peut être visualisée par immunofluorescence sous forme de plusieurs focus ou foci. Chaque foci observé au sein d’un noyau cellulaire correspond alors à une ou à un groupe de cassure(s) double brin de l’ADN.
Les foci sont dénombrés par l’analyse des images des noyaux cellulaires acquises par microscopie. L’équipe de biologistes a multiplié les données expérimentales afin de les croiser avec les données obtenues par simulations. Ainsi, les mesures de dommages à l’ADN ont été effectuées sur plusieurs milliers des cellules endothélialesGLO issues de cordon ombilical humain (HUVEC), un modèle de cellule commun à tout le programme Rosiris. Dans le cadre du programme BioQuaRT, des groupes de 2 000 à 3 000 cellules HUVEC ont été cultivés en monocouches pour être irradiés à l’aide du microfaisceau de protons et d’alphas du PTB (Physikalisch-Technische Bundesanstalt, Allemagne) à différentes énergies. Sur chaque noyau cellulaire, en forme de pièce ovale de 20 microns sur 10, pour 2 microns d’épaisseur, cinq particules sont tirées sur des points-cibles distincts. Les cellules ont ensuite été analysées pour en tirer la probabilité de dommages à l’ADN par particule. L’opération a été réalisée pour des protons et des alphas avec des TELGLO variant entre 18 KeV/µm et 160 keV/µm. Les scientifiques ont ainsi obtenu une probabilité de dommages en fonction de l’énergie déposée par micron (TEL).
Afin de mener la confrontation, la simulation réalisée dans la première partie est « moyennée » pour travailler sur des échelles comparables (tout en tenant compte de la physique la plus fine) à celles des résultats biologiques observés. Cette confrontation permet de proposer des hypothèses sur les paramètres intervenant dans la formation des cassures double brin de l’ADN et ainsi enrichir et affiner la simulation. La prise en compte dans la simulation des interactions indirectes des radicaux avec l’ADN sera une étape ultérieure importante dans cette amélioration. |
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425 gènes et 600 protéines |
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Si l’on se place au niveau plus global de l’organe à risque, il est probable que la réaction à l’irradiation soit le résultat d’un réseau d’interactions entre différents acteurs moléculaires. Quelle est la réaction précoce de l’organe à une irradiation ? Le programme Rosiris vise à identifier, au niveau de l’endothélium des vaisseaux sanguins, les réseaux de médiateurs moléculaires impliqués dans les modifications radio-induites précoces de l’intestin, et qui conditionnent les réponses tardives des tissus. Pour les identifier, l’IRSN a choisi d’utiliser notamment la protéomique et la transcriptomique, techniques globales qui permettent de quantifier respectivement un grand nombre de protéines, de gènes dans un échantillon. Dans un premier temps, des cellules endothéliales ont été irradiées à 2 et à 20 Gy. |
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Ces techniques ont permis d’identifier 425 gènes et environ 600 protéines impliqués dans la réponse de l’endothélium, à plusieurs temps entre 0,5 et 21 jours après l’irradiation. Une méthode mathématique spécifique a été développée (voir Aktis n° 15) qui permet de relier les points de mesure obtenus entre 0,5 et 21 jours pour chaque gène ou protéine mesuré (méthode Bayésienne). Une analyse statistique de la courbe obtenue permet d’identifier s’il existe des périodes, durant les 21 jours, où la concentration de ce gène ou de cette protéine a changé et peut être attribuée à l’irradiation. Une liste de gènes ou protéines sous-exprimés ou surexprimés dans la cellule endothéliale après l’irradiation a pu ainsi être dressée. |
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Régulateurs communs |
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Afin d’identifier des réseaux d’acteurs moléculaires impliqués dans les modifications des cellules endothéliales après l’irradiation, une autre méthode mathématique a été développée afin d’associer entre elles des entités (gènes, protéines, etc.) de la liste précédente qui présentent des profils d’expression similaires (méthodes de clusterisation et de bi-clusterisation). Cette étape de la recherche permet par ailleurs de singulariser des groupes de gènes ou de protéines régulés de la même façon, donc probablement par des régulateurs communs. En utilisant des logiciels de fouille de texte pour explorer la littérature scientifique, et des logiciels d’analyse des réseaux moléculaires, des liens entre les acteurs moléculaires identifiés sont en cours d’établissement. Ces travaux ont notamment confirmé le rôle important de la protéine P53 dans les processus post-irradiation. |
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Visualisation des réseaux de protéines impliquées
dans la réponse
à l’irradiation
d’une cellule HUVEC à 20 Gy.
© IRSN/Olivier Guipaud |
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Évolution vers la chronicité |
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Enfin, le programme Rosiris vise à mieux comprendre le développement des lésions tissulaires radio-induites, telles que les fibroses ou entérites. Celui-ci est aujourd’hui perçu comme la résultante d’une séquence de processus reliés entre eux, dans lesquels les vaisseaux sanguins, et plus particulièrement l’endothélium, semblent tenir une place centrale. Cependant, il existe peu d’éléments concrets qui étayent ce postulat. Les recherches menées dans le cadre de Rosiris visent à comprendre l’impact de ce compartiment et son rôle dans l’évolution des lésions radio-induites aux tissus sains. Parmi ces travaux, une thèse vient d’être soutenue dont l’objectif était de démontrer l’existence d’un lien, dépendant de l’endothélium, entre l’apparition des lésions intestinales dues aux rayonnements et leur évolution vers la chronicité. Pour ce faire, le parti pris était de modifier les caractéristiques de l’endothélium et d’étudier les conséquences de ce changement sur l’entérite radio-induite. Des résultats précédemment obtenus dans le laboratoire avaient montré que la protéine PAI-1 (Plasminogen Activator Inhibitor – Type 1 ou en français inhibiteur des activateurs du plasminogène de type 1) joue un rôle important dans le développement de ces lésions. Dans l’équilibre complexe des acteurs moléculaires impliqués dans un processus cicatriciel normal, son rôle est de limiter la dégradation de la fibrine. Mais son action semble avoir un rôle aggravant dans le cas des effets d’une radiothérapie. |
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PAI-1, cible thérapeutique potentielle |
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La doctorante a mis au point un modèle de souris transgénique, dont le gène codant la protéine PAI-1 a été inactivé spécifiquement dans l’endothélium (stratégie CreLox). Des souris n’exprimant plus la protéine PAI-1 dans l’endothélium et des souris témoins ont été irradiées à 19 Gy : 60 % des souris témoins meurent dans les deux semaines qui suivent l’irradiation, alors que 75 % des souris déficientes en PAI-1 survivent. De plus, ces dernières présentent des fibroses moins importantes que les souris témoins survivantes. La thèse a ainsi démontré que la délétion de PAI-1 protège les souris des lésions intestinales radio-induites. Ces résultats obtenus confirment que PAI-1 est une cible thérapeutique potentielle et démontrent in vivo que l’endothélium est un compartiment crucial dans l’évolution des dommages radio-induits aux tissus sains.
Ces différents travaux concourent à mieux comprendre les mécanismes fins des effets indésirables des radiothérapies, et à identifier des actions possibles pour développer des traitements. Ils montrent aussi que les progrès dans la connaissance des risques inhérents à l’utilisation des rayonnements ionisants dans le milieu médical ne peuvent être abordés qu’au travers d’une approche multidisciplinaire associant la radiobiologie, la radiopathologie et la dosimétrie. Une approche que l’IRSN développe depuis plusieurs années en s’appuyant sur ses propres plateformes expérimentales et via des collaborations fortes avec les cliniciens afin que cette recherche soit réaliste. |
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Comparaison des cellules de l’endothélium respectivement pour une souris témoin (en haut),
une souris irradiée à 19 Gy (centre) et une souris déficiente en PAI-1 irradiée à 19 Gy (en bas).
© IRSN/Émilie Rannou |
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Centre d’étude nucléaire de Bordeaux-Gradignan (CENBG-IN2P3), Laboratoire
de radiothérapie moléculaire -
Inserm U1030,
les partenaires
du projet BioQuart |
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• Modélisation de la topologie des dépôts d’énergie créés par un rayonnement ionisant à l’échelle nanométrique dans les noyaux cellulaires et relation avec les événements précoces radio-induits, thèse soutenue par Morgane Dos Santos le 2 octobre 2013 |
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• Bianco D. et al. « Multi-scale analysis of simulated proton and alpha irradiation » Radiation Protection Dosimetry (2014), pp. 1-5 |
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• Villagrasa C. et al. « RBE-LET relationship for proton and alpha irradiations studied with a nanodosimetric approach » Radiation Protection Dosimetry (2014), Vol. 161, No. 1-4, pp. 449-453 |
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• Dos Santos M. et al. « Influence of chromatin condensation on the number of direct DSB damages induced by ions studied using a Monte-Carlo code » Radiation Protection Dosimetry (2014), Vol. 161, No. 1-4, pp. 469-473 |
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• Heinonen M. et al. « Detecting time periods of differential gene expression using Gaussian processes: An application to endothelial cells exposed to radiotherapy dose fraction. » Bioinformatics, 28 octobre 2014 |
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• Conséquence de la délétion spécifique de PAI-1 dans l'endothélium sur la réponse radio-induite de l'intestin, thèse soutenue par Emilie Rannou le 17 mars 2015 à Fontenay-aux-Roses. |
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