Savoir et comprendre

La contamination des produits agricoles

25/01/2013

​​​Les radionucléides déposés atteignent diversement la chaîne alimentaire

Transférés à toutes les composantes de l’environnement (air, eau, sols, denrées), l'Iode 131, le Césium 137 et le Strontium 90 constituent l’essentiel de la contamination de la chaîne alimentaire. Pour la plupart des autres radionucléides, moins mobiles dans l’environnement, l’atteinte a été limitée aux légumes à feuilles : salades, épinards, etc.

 

La contamination de la chaîne alimentaire par un radionucléide dépend de sa concentration, mais également de sa durée de vie et de sa « mobilité ». La mobilité d’un radionucléide détermine sa capacité à être transféré d'un élément à l'autre de la chaîne alimentaire (par exemple de l’herbe à la vache, puis de la vache à la viande ou au lait). Elle est essentiellement liée aux caractéristiques chimiques de l'élément.

 

Transfert des principaux radionucléides dans les différents compartiments de l'environnement.L. Stefano – IRSN  

Transfert des principaux radionucléides dans les différents compartiments de l'environnement

 

 

Contamination de la chaîne alimentaire : 

Si tous les radionucléides se déposent sur les feuilles des végétaux, seuls l'Iode 131, le Césium 137 et le Strontium 90 sont significativement transférés aux parties consommables : racines (pommes de terre, carottes, etc.), graines de céréales ou fruits. Bien assimilés par les animaux après ingestion de fourrages contaminés, ces radionucléides constituent également l’essentiel de la radioactivité du lait et de la viande.

 

Les radionucléides à vie longue comme le Césium 137, le Strontium 90 et les isotopes du Plutonium (238, 239, 240, 241) s'accumulent dans les sols, constituant ainsi une source secondaire de contamination de l’environnement. Le Césium 137 et le Strontium 90 sont transférés aux végétaux par absorption racinaire. Ce transfert est très faible pour le plutonium. Le lessivage des sols par les pluies contribue à diminuer le stock et à alimenter les cours d’eau.

 

Des activités plus élevées dans les légumes à feuilles : 

La contamination par les éléments peu mobiles dans l’environnement, comme le zirconium, le ruthénium ou le cérium, se limite principalement aux légumes à feuilles.

Les dépôts importants de ces radionucléides, notamment au début des années 1960, ont conduit à des activités comprises entre 10 et 100 Bq/kg de salade fraîche, comme le montre le graphique ci-dessous pour le Zirconium 95 dans les salades. Peu mobiles dans la plante, ces radionucléides sont faiblement transférés aux autres parties consommées (fruits, racines ou grains) dont la contamination est 5 à 10 fois plus faible que celle des feuilles de salade. Par ailleurs, en raison de leurs courtes périodes (inférieures ou égales à 1 an), ils ne s’accumulent pas dans les sols et sont très faiblement absorbés par les racines des plantes. Enfin, ces radionucléides ne sont pratiquement pas transférés au lait ou à la viande.

 

Activité des salades en 95Zr en Région parisienne (Bq/kg frais).L. Stefano – IRSN  

Activité des salades en Zirconium 95 en Région parisienne (Bq/kg frais)

Les « pics d’activité » des salades au cours des années 1970 montrent qu'entre les phases de dépôts consécutives aux différents essais chinois, la contamination disparaît en quelques semaines.

 

Les radionucléides à vie courte ne contaminent la chaîne alimentaire que par épisodes successifs

Si les dépôts des radionucléides à vie très courte comme l’Iode 131 sont les plus importants, la contamination de la chaîne alimentaire qui en résulte disparaît en quelques jours.

 

A partir de 1945, l'évolution de la contamination des denrées par les radionucléides à vie courte, comme l'Iode 131, le Baryum 140 ou le Ruthénium 103, montre des épisodes successifs correspondant aux différents essais. Cette évolution va de pair avec les dépôts, l'activité atteignant rapidement un maximum et disparaissant dans les jours suivants.

 

Au début des années 1960, les essais sont si fréquents qu’ils entretiennent une contamination prolongée du lait par ces radionucléides à vie courte.

 

Au cours des années 1970, les essais chinois, moins fréquents, ne conduisent qu’à des « pics » sporadiques de radioactivité. Suivant l’importance des dépôts liés aux conditions météorologiques locales (pluies, persistance des masses d’air) et aux pratiques alimentaires des animaux, les niveaux de contamination lors de ces épisodes peuvent varier considérablement. Les activités inférieures à 0,1 Bq/l ne pouvant pas être mesurées directement dans le lait, sont déduites des mesures effectuées sur des thyroïdes de bovins. En effet, cette glande concentre l'Iode 131 aussi bien chez l’animal que chez l’homme.

 

Activité du lait en 131I (en Bq/l).L. Stefano – IRSN

Activité du lait en Iode 131 (en Bq/l)

 

Activité du lait en Iode 131 après le tir chinois du 17 septembre 1976 : 

 

Vue du dessus du pôle Nord : la trajectoire troposphérique du panache radioactif.L. Stefano – IRSN
Vue du dessus du pôle Nord : la trajectoire troposphérique du panache radioactif consécutif à l’essai chinois
du 17 septembre 1976, atteint la France le 28 septembre.

 

Activité du lait en 131I (en Bq/l) au cours du mois d’octobre 1976.L. Stefano – IRSN
Activité du lait en Iode 131 (en Bq/l) au cours du mois d’octobre 1976.

 

Dès le 2 octobre 1976, l’activité en Iode 131 du lait produit en Bourgogne (VI ménil), en région parisienne et en Normandie (Cléville), augmente en relation avec les dépôts de ce radionucléide sur l'herbe ingérée par les vaches. Le maximum est atteint entre le 8 et le 12 octobre 1976. En raison de la courte période de l'Iode 131 (8 jours), cette activité disparaît au bout de quelques jours.

 

Tous les aliments sont atteints de manière continue et durable par le Césium 137 et le Strontium 90

Le Césium 137 et le Strontium 90 sont détectés dans quasiment tous les compartiments de la chaîne alimentaire à cause de leur mobilité élevée et de leur accumulation progressive dans les sols. Leur longue période et leur mobilité entretiennent une contamination qui ne diminue que lentement depuis le milieu des années 1960.

 

Activité du lait : 

Les longues périodes du Césium 137 (30 ans) et du Strontium 90 (28 ans) prolongent les effets des retombées de chacun des essais nucléaires. Leurs activités dans les produits alimentaires, proportionnelles aux dépôts durant les années 1960, ont diminué lentement au cours des décennies suivantes, régulièrement réalimentées par les essais chinois des années 1970 et par les stocks de ces radionucléides dans les sols.

 

De 1962 à 1964, l’activité du lait de vache normand dépasse 1 Bq/l en Strontium 90 et atteint certains mois 10 Bq/l en Césium 137. Au cours des années 1970, le Césium 137 n’est mesuré au-dessus de 0,1 Bq/l que durant les mois suivant les principaux essais chinois. En revanche, le stock de Strontium 90 dans le sol et son transfert à l’herbe, plus élevé que celui du Césium, maintiennent des activités en Strontium dans les fourrages à un niveau suffisant pour que l’activité du lait reste mesurable tout au long de l’année. Aujourd’hui encore, l’activité en Strontium 90 du lait français reste comprise entre 0,01 et 0,1 Bq/l.

 

Activité du lait en Normandie (en Bq/l).L. Stefano – IRSN
Activité du lait en Normandie (en Bq/l)

 

Activité des autres produits alimentaires : 

Les activités en Césium 137 des autres produits alimentaires suivent la même évolution que celle du lait. De l’ordre de 10 Bq/kg en moyenne au début des années 1960, elles diminuent régulièrement jusqu’à 0,1 Bq/kg au début des années 1980. Pour les productions continues tout au long de l'année, comme la viande et les légumes, ces valeurs moyennes annuelles cachent des fluctuations mensuelles semblables à celles du lait.

 

Après une brutale augmentation en 1986, à la suite de l'accident de Tchernobyl, les activités en Césium 137 des produits alimentaires sont revenues aujourd'hui (2008) au niveau, voire en dessous de celles des années 1980.

 

Activité de différents produits en 137Cs (en Bq/l ou Bq/kg).L. Stefano – IRSN
Activité de différents produits en Césium 137 (en Bq/l ou Bq/kg)

 

La contamination de certaines denrées varie d’une région à l’autre

Le lait, la viande et les légumes produits dans les régions les plus arrosées peuvent être jusqu’à 5 fois plus contaminés que les denrées provenant des régions où les précipitations sont faibles. Cet écart se retrouve dans l’assiette des consommateurs : jusqu'au début des années 80, les enfants d’Auvergne ou des Vosges ingèrent en moyenne 2,5 fois plus de Césium 137 que ceux de la éégion parisienne.

 

Lait et viande : 

La variabilité des dépôts liée à la pluviométrie explique en grande partie la variabilité régionale des niveaux de contamination du lait et de la viande. Le lait produit à Vioménil dans les Vosges (1200 mm de précipitations moyennes annuelles) présente 5 fois plus de Strontium 90 que celui produit près de Sauveterre dans la basse Vallée du Rhône (640 mm). D'autres facteurs comme la qualité des sols, les pratiques de culture ou d’affouragement des animaux, peuvent atténuer ou renforcer l’influence des dépôts. Ainsi, des dépôts 2 à 3 fois plus importants en Auvergne qu’en Région parisienne se traduisent ponctuellement par une viande de bœuf 10 fois plus contaminée.

 

Activité du lait en 90Sr (Bq/l).L. Stefano – IRSN
Activité du lait en Strontium 90 (Bq/l)

 

 

Activité de la viande en 137Cs (Bq/kg).L. Stefano – IRSN
Activité de la viande en Césium 137 (Bq/kg)

 

Céréales : 

En revanche, les mesures de céréales ne montrent pas de différences régionales significatives. Les céréales sont le plus souvent produites en plaine dans de grands bassins de production soumis à des pluviométries moyennes et donc à des dépôts moyens similaires, spatialement comme temporellement.

 

Activité des céréales en 137Cs (Bq/kg).L. Stefano – IRSN

 

Activité des céréales en Césium 137 (Bq/kg)

 

Rations alimentaires :

La variabilité régionale observée dans le lait et la viande suffit à influencer l’activité ingérée par la population. Ainsi, les activités en Césium 137 et Strontium 90 mesurées dans les plateaux-repas des cantines de Clermont- Ferrand sont en moyenne 2,5 fois supérieures à celles mesurées au Vésinet en région parisienne. Ces activités sont cohérentes avec les valeurs calculées à partir des dépôts et de la contamination mesurée dans la chaîne alimentaire, ce qui permet de déduire qu’au début des années 1960, l’ingestion se situait autour de 10 Bq/jour et par personne pour le Césium 137 et 3 Bq/jour et par personne pour le Strontium 90.

 

Activité des rations alimentaires en 137Cs (Bq/jour).L. Stefano – IRSN

Activité des rations alimentaires en Césium 137 (Bq/jour)