Savoir et comprendre

Le réseau européen d’experts Ring of Five

19/08/2015

Dès que des traces anormales de radioactivité sont détectées dans l’air quelque part en Europe, un réseau informel d’experts, appartenant à des organismes publics tels que l’IRSN, se mobilise pour en localiser l’origine et évaluer les risques pour la population.

Infographie: Bilan 2014 de l'exposition des travailleurs
Station de prélèvement d'aérosols du réseau OPERA-Air installée à La Seyne-sur-Mer

Le 18 mars 2015, une station de mesure de la radioactivité de l’Agence suédoise de recherche pour la Défense (FOI) détecte des traces inhabituelles d’iode 131 dans la région de Stockholm. La concentration ne présente pas de risque pour la population, mais elle interroge. D’où provient cette pollution ? Concerne-t-elle d’autres pays ? Va-t-elle s’amplifier ? Pour le savoir, le responsable de la station suédoise contacte des collègues européens, membres comme lui du réseau informel Ring of Five (Ro5). 

L’IRSN a dès lors apporté son expertise pour reconstituer les trajectoires de masse d’air. « L’iode 131 détecté en Suède puis en Finlande venait de l’Est, explique Olivier Masson, spécialiste de la surveillance atmosphérique à l’IRSN.  La zone concernée, qui s’étendait de la Pologne à la Lituanie et à l’ensemble de la Scandinavie, témoigne d’une source lointaine, vraisemblablement quelque part en Russie. Avec les stations de filtration d’air à très grand débit de l’Institut et les spectromètres gamma, nous avons mesuré en France des microtraces, inférieures à 0,8  micro-becquerel par mètre cube (µBq/m3). »

 

Reconstruire la trajectoire d’une pollution

 

La naissance de Ro5 remonte à 1983 quand des scientifiques du nord de l’Europe détectent occasionnellement dans l’air des produits de fission ou d’activation récemment produits.  Et ce malgré la fin des essais nucléaires atmosphériques.

 

Cinq d’entre eux – un Allemand, un Suédois, un Norvégien, un Finlandais et un Danois – décident alors que, à la moindre trace de radionucléides mesurée dans un pays, tous les autres doivent en être immédiatement avertis. Seule condition pour adhérer à ce nouveau réseau : disposer de stations capables de mesurer de très faibles concentrations dans l’atmosphère, de l’ordre du dixième de µBq/m3. C’est le cas de l’IRSN et de son Observatoire permanent de la radioactivité de l’air (Opera-Air).

 

Ro5 s’est beaucoup développé à l’occasion de l’accident de Tchernobyl de 1986, en Ukraine. Aujourd’hui, le réseau regroupe 110 sites de collecte d’aérosols à travers l’Europe et près de 90 experts, dont quatre de l’IRSN. Par ailleurs, il a su garder son caractère informel voulu à l’origine : il fonctionne sur l’échange entre pairs. 

 

« À partir de l’alerte, nous reportons les données recueillies par les membres sur une carte de l’Europe. Nous comparons nos hypothèses avec des outils de modélisation des dispersions de masses d’air pour remonter la piste des rejets », explique Olivier Masson.

 

La dimension internationale du réseau est indispensable, en particulier pour reconstruire la trajectoire d’une pollution. Ro5 réunit ainsi une vingtaine de pays européens, auxquels s’ajoutent des correspondants aux États-Unis et au Canada.

 

Suivi d'une traînée d'iode radioactif par le réseau d'experts Ring of Five

 

Un réseau activé trois à quatre fois par an

 

Les membres du Ro5 vantent sa rapidité, fruit de son caractère informel.  « Même s’il existe des réseaux constitués, le ‘Ring’ est plus réactif, souligne Sybille Estier, spécialiste en radioprotection de l’Office fédéral de la santé publique en Suisse. Cela s’est vu en 2011 avec l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon. »

 

De nombreux laboratoires européens ont “vu” le panache d’iode 131 et de césium 134, et ils ont immédiatement mis leurs données à disposition. « Nous avons pu accéder en quelques jours à un grand nombre de mesures », note Damien Didier, expert de la dispersion atmosphérique des radionucléides à l’IRSN. 

 

Et Olivier Masson de préciser : « Nous avons regroupé ces données dans un document qui fait la chronique de l’événement. Même si l’impact a été minime en Europe, notre publication fait référence. C’est la deuxième plus citée sur l’accident. »

 

Avec le perfectionnement des instruments de mesure, comme ceux mis en place à l’IRSN par le Laboratoire de mesure de la radioactivité de l’environnement, les mobilisations du réseau se multiplient. Le réseau est ainsi activé environ trois à quatre fois par an.

 

Certains radioéléments doivent alerter

 

L’objectif du Ro5 est de comprendre l’origine des pollutions. La détection d’iode 131, par exemple, ne peut résulter que d’un rejet relativement récent car sa durée de vie est très courte. Le césium 134 a une période radioactive de deux ans et il a tendance à retomber sur le sol. S’il apparaît, c’est qu’un nouvel accident est survenu dans une centrale. Quant au xénon radioactif, il peut indiquer la réalisation d’un essai atmosphérique d’armes nucléaires.

 

Quand le réseau est activé, les experts ont également pour mission d’évaluer les risques sanitaires. Damien Didier calcule les doses reçues par les populations ou les ressortissants français qui se trouvaient dans la zone où les concentrations mesurées ont été les plus élevées pendant les périodes de détection.


De l’alerte au brevet

 

Le Ro5 n’a jamais été confronté à une situation d’urgence sanitaire. En revanche, l’expérience acquise par le réseau a permis de faire avancer les techniques de surveillance atmosphérique.

 

En août 2008, en Belgique, l’Institut des radioéléments de Fleurus, qui fabrique des isotopes à usage médical, constate un rejet anormal d’iode 131. Si l’incident s’est révélé sans risque pour la population et l’environnement, il a servi à améliorer les pièges à iode gazeux, souligne Olivier Masson.

 

A Fleurus, les pièges à iode gazeux français ne détectaient rien, alors que l’iode 131 est retrouvé dans des végétaux juste de l’autre côté de la frontière belge. « Plusieurs hypothèses sont évoquées. Parmi elles, la pluie qui a pu saturer les filtres en humidité. En mars 2014, l’IRSN a déposé un brevet pour un dispositif qui réduit l’influence de l’humidité sur les prélèvements de ses stations. »

 

Le Ro5 arrive aujourd’hui à un tournant. Sa mission première reste inchangée. Mais, avec l’appui de l’Union internationale de radioécologie, un site web et un forum de discussion vont être créés. Le premier colloque du réseau a été organisé en septembre 2014, un autre le sera en septembre 2015. Objectif : « faire le point sur les derniers événements et, surtout, faire émerger des axes d’évolution ».

 

 

Olivier Masson (IRSN) : Aller au-delà du rôle d’alerte

 

Comment va évoluer le Ring of Five ?

Nous voulons lui donner plus de poids, dans son rôle d’alerte et d’information, et aller au-delà de cette mission. Il est nécessaire de se structurer sur des sujets communs. Il faut proposer des projets de recherche à la Commission européenne, monter, et mutualiser des études et des campagnes de mesure.

Sur quels thèmes pensez-vous travailler ?

Il existe des sujets fédérateurs : l’influence de la neige ou du brouillard sur le dépôt des radionucléides au sol, leur remise en suspension par le vent ou l’amélioration du piégeage de l’iode gazeux.

Quels sont les premiers projets à voir le jour ?

Nous avons ajouté un volet « atmosphère » au projet de recherche European Radioecology Alliance. Avec les Tchèques, nous allons rassembler notre parc de granulomètres sur un site commun pour étudier la répartition de la radioactivité en fonction de la taille des particules atmosphériques.