Savoir et comprendre

Des modèles pour évaluer les risques en sûreté et en radioprotection

30/07/2012

La Hague, les experts de l’IRSN

Pour évaluer les conséquences d’une perte de réfrigérant dans un réacteur à eau sous pression, prédire la progression d’un accident de fusion ou prévenir le début d’une réaction en chaîne dans du combustible en route pour La Hague, les experts de l’IRSN s’appuient sur nombre d’outils d’expertise en sûreté.
 

C’est une évidence : on ne peut pas provoquer un accident grandeur réelle pour tester la bonne marche des systèmes de sécurité d’une centrale nucléaire ou observer les conséquences d’une fusion de cœur. Des modèles sont donc développés à partir d’expériences à plus petite échelle pour bâtir des outils de simulation. En cas d’accident, ces outils permettent de prédire la dispersion de la radioactivité et de prendre les mesures de protection des populations qui s’imposent. Une palette de logiciels est codéveloppée par l’IRSN pour répondre à une multitude de situations.
 

Sofia : simuler des accidents
 

Que se passerait-il en cas de fuite d’eau du circuit primaire de refroidissement du réacteur d’une centrale ? Le système d’injection d’eau de sécurité serait-il efficace quels que soient la taille de la brèche ou son emplacement ?
 

Pour tester ces scénarios, des centrales virtuelles, répliques informatiques des différents types de réacteurs du parc français, ont été créées grâce au simulateur Sofia. Ce dernier est développé par l’IRSN et Areva sur la base du code de calcul Cathare [1], qui reproduit l’écoulement des fluides dans les circuits.
 

« Sofia permet à l’IRSN de réaliser des contre-expertises pour vérifier que l’exploitant a imaginé le pire », explique Franck Dubois, responsable de l’équipe qui gère, développe et utilise les outils Cathare et Sofia à l’IRSN. « Sofia est aussi utilisé pour l’étude des situations de crise ou la formation des experts. Un accident est simulé et les conséquences des actions des opérateurs sont calculées, comme si la catastrophe avait lieu. »
 

Mais ce n’est pas un outil de crise. Cependant, en cas de crise, le simulateur peut permettre un retour d’expérience a posteriori : « Nous avons testé le scénario de Fukushima sur les réacteurs français. La modélisation montre qu'en cas de perte électrique, la vapeur produite par le réacteur peut être utilisée comme source d’énergie pour maintenir les injections d’eau dans les circuits, comme prévu lors de la conception. Cette étude a aussi illustré l’intérêt d’un noyau dur de moyens complémentaires, qui devra être ajouté. »
 

 En savoir plus : Le simulateur Sofia

 

Astec : évaluer les radioéléments relâchés lors d’un accident grave
 

Imaginons cette fois que le cœur du réacteur entre en fusion, formant un magma appelé corium, dont une fraction franchirait la gaine du combustible, le fond de la cuve et l’enceinte de béton. Quelles seraient les quantités de radioéléments susceptibles d’être relâchés dans l’environnement ? Réponse avec Astec (Accident Source Terme Evaluation Code) qui évalue ce que les experts appellent le "terme source".
 

« Astec calcule les espèces mais aussi les formes physico-chimiques des produits de fission. Cela est déterminant pour apprécier la quantité qui s’échapperait de l’enceinte en cas de dépressurisation volontaire, car un aérosol est bien plus facile à piéger dans un filtre qu’un gaz », explique Jean-Michel Bonnet, responsable des accidents graves à l’IRSN. « L’Institut et son homologue allemand GRS (Gesellschaft für Anlagen- und Reaktorsicherheit) co-développent ce code. Chacun apporte son expertise : refroidissement du cœur et dégradation du corium côté français, confinement des aérosols et des produits de fission côté allemand », poursuit le Dr Nils Reinke, chargé du programme Astec à la GRS. « Nous participons aussi à la validation d’Astec par des expériences. »
 

Astec repose sur des connaissances acquises sur la phénoménologie des accidents graves, dont la modélisation progresse par confrontation aux données existantes ou grâce à de nouvelles expérimentations. Le programme Phébus PF [2], mené par l’IRSN dans le cadre d’une collaboration internationale, a apporté des éléments fondamentaux pour sa validation, concernant la dégradation du combustible irradié et le comportement des produits de fission dans le réacteur et l’enceinte de confinement.

 

« Quatre thèmes expérimentaux destinés à enrichir Astec ont été identifiés par le réseau Sarnet [3] de mutualisation des connaissances en matière d’accident grave sur les réacteurs », illustre Michel Hugon, responsable scientifique de Sarnet à la Commission européenne. « Le refroidissement du corium et des débris, l’interaction entre le corium et le béton, l’évaluation de la capacité de la cuve à retenir le corium et la quantification du terme source. »
 

Au fil des recherches, les hypothèses conservatives sont remplacées par des modèles plus réalistes. « Astec a été conçu pour les réacteurs à eau sous pression du parc français », ajoute Jean-Michel Bonnet. « Depuis quelques années, nous cherchons à le décliner sur d’autres réacteurs présents en Europe, comme les réacteurs à eau bouillante. » Sa capacité multifilière devrait le conforter sur la scène mondiale, même s’il est déjà reconnu par l’autorité de sûreté américaine NRC (Nuclear Regulatory Commission) comme le meilleur outil sur le plan de la chimie des produits de fission.
 

 En savoir plus : le code Astec

 

Cristal : prévenir les réactions en chaîne
 

Alors que l’on cherche à démarrer et à entretenir une réaction en chaîne au sein d’un réacteur, on tente par tous les moyens de l’éviter quand il s’agit de fabriquer, transporter ou entreposer du combustible, afin d’empêcher l’émission des rayonnements mortels.
 

« L’outil Cristal a été conçu pour prévenir ce risque. Il calcule les conditions dans lesquelles la réaction démarrerait et permet d’en déduire des règles : soit limiter la quantité de matière manipulée, soit modifier la géométrie du contenant pour laisser les neutrons s’échapper, soit limiter la quantité de matière contenant de l’hydrogène, qui favorise la réaction », explique Patrick Cousinou, initiateur du projet à l’Institut. Oeuvre commune de l’IRSN, du CEA et des partenaires financiers Areva et EDF, « l’outil a gagné en précision. Il utilise les données mondiales les plus récentes et la finesse du traitement de l’énergie des neutrons s’est accrue de plus d’un facteur 10 depuis 1995. »
 

En ce qui concerne son application, Cristal a été validé expérimentalement, sur un champ très large, « de l’enrichissement au retraitement du combustible, en passant par le transport », précise Michel Doucet, expert en neutronique et criticité d’Areva et membre du comité de pilotage de la nouvelle version de Cristal. « Cette nouvelle version va être mise à la disposition des membres de l’OCDE [4], fin 2013, sur le site Internet de l’organisation. Cela facilitera la reconnaissance dans le monde entier de cet outil performant, jusque-là limité à des utilisateurs nationaux. »
 

 En savoir plus : l'outil Cristal

 

Des outils de crise pour évaluer les rejets radiologiques
 

En cas de rejet, des experts de l’Institut comme Alain Thomassin ou Emmanuelle Arial, chargés de l’évaluation des conséquences radiologiques, seraient immédiatement sollicités au Centre technique de crise de l’IRSN pour estimer le risque encouru par les personnes exposées.

 

Leur mission est d’évaluer, d’après le terme source calculé par leurs collègues à l’aide des outils du système Sesame, l’exposition du public aux rayonnements en suivant le cheminement des radioéléments dans l’air, l’eau et les productions agricoles. « Cela suppose de prendre en compte des données relatives au mode de vie et de consommation alimentaire vraisemblable de la personne, précise Alain Thomassin. On en déduit alors une dose, en additionnant les différentes voies d’exposition [air, eau, légumes, viande…]. »
 

Pour parvenir à ces résultats, les experts s’appuient sur des modules de la plate-forme C3X développés par leurs collègues du service des situations d’urgence et d’organisation de crise de l’IRSN. « Un premier module, KrX, calcule, à partir d’un rejet et des conditions météorologiques, les transferts dans l’environnement et estime les doses reçues par la population. Cela permet de décider de mesures d’évacuation ou de prise d’iode par exemple, poursuit Emmanuelle Arial. Un deuxième, CartX, dessine une carte des zones impactées. »
 

Au fil des retours d’expérience des exercices de crise, les outils ont évolué vers des versions « plus ergonomiques, avec des fonctionnalités ajoutées comme la réalisation plus simple des cartes de dose reçue, de contamination et de dépôts », soulignent ces deux experts, qui gagnent ainsi du temps en situation de crise, amplifié par la rapidité de calcul de ces nouveaux outils.

Notes :

1- Code de thermohydraulique développé au CEA de Grenoble et financé par les quatre partenaires : Areva, le CEA, EDF et l’IRSN.
2- Cinq essais ont été réalisés de 1993 à 2004 dans un dispositif expérimental représentatif d’un réacteur à eau sous pression et implanté dans le réacteur Phébus. Ils visaient à reproduire les phénomènes physiques majeurs qui gouvernent la fusion d’un cœur de réacteur à eau légère, le transfert des produits de fission depuis le combustible jusqu’à l’enceinte de confinement et leur devenir dans celle-ci. Plus d'information sur le programme de recherche Phebus PF.
3- Réseau d’excellence européen regroupant 43 organisations de l’Union européenne, de la Suisse, du Canada, des États-Unis, de la Corée du Sud et de l’Inde. Plus d'information sur le réseau SARNET.
4- Organisation de coopération et de développement économiques, qui compte 34 pays membres. 

 

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