Mais pour ceux qui habitent en dehors de la zone interdite, la situation est très différente : c’est à eux que revient la décision. Rester ou partir ?
Rester signifie faire face à un ennemi intrusif, invisible et permanent, se trouver séparé de ceux – famille et voisins – qui ont fait le choix de partir. Mais cela veut dire également conserver ses points de repère, son travail, ses moyens de subsistance.
Partir, c’est mettre du champ entre soi et le danger lié à la radioactivité, pouvoir avoir confiance dans ce que l’on mange, recouvrer la maîtrise de sa vie, trouver un refuge. Mais la contrepartie, c’est de devoir laisser derrière soi ses proches, ses voisins, ses amis, sa propre histoire. C’est le sentiment d’avoir abandonné ceux qui sont restés tout en apparaissant comme un étranger aux yeux de ceux qui vivent dans cette « terre d’accueil ». C’est parfois – tout simplement – de trouver où aller !
Décider pour ses enfants : un déchirement
Certains resteront, d’autres partiront. Pour tous, la décision sera un crève-cœur. Et ce d’autant plus quand les enfants sont en jeu.
Mayumi Ootsuki, 39 ans à l’époque de l’accident, habite Ryozen, un coin de campagne à la périphérie de la ville de Date. Avec son mari et ses parents, elle décide de rester dans la maison familiale en compagnie de ses deux garçons, Seiya, 8 ans, élève à l’école primaire, et Shunya, 6 ans, élève à l’école maternelle.
Membre de l’association parents-enseignants locale, Mme Ootsuki s’implique beaucoup dans le fonctionnement de l’école primaire et de la maternelle, dans lesquelles elle voit l’avenir de son village : « Les gens du quartier d’Ishida, où se trouve notre école primaire, font tout pour préserver les traditions, ils attachent une grande importance à la culture, et aussi à notre petite école. On est à la campagne ici, l’école n’a pas beaucoup d’élèves… C’est pareil pour la maternelle. Nos habitudes de vie sont celles d’un hameau, d’un petit quartier, pas celles d’une ville ! », explique-t-elle.
Mayumi Ootsuki, résidente du village de Ryozen, ville de Date
Le 14 mars à midi, on m’a dit qu’il valait mieux que je fasse quelques préparatifs en vue d’une évacuation immédiate. Mais en même temps, de nombreuses personnes qui voulaient partir ne pouvaient le faire, d’abord et avant tout parce qu’elles n’avaient aucun endroit où aller.
Sanae Ito, âgée de 50 ans au moment de l’accident, habitait dans le quartier de Haramachi, à Minamisoma. Tout de suite après l’accident, elle décide de prendre la route avec sa mère et sa fille. Elle se souvient : « L’accident s’est produit le jour où ma fille a reçu son diplôme d’études du premier cycle au collège. La seule chose à laquelle j’ai pensé, c’était la protéger ! ». Un éprouvant périple la conduit dans un premier temps de Minamisoma à Tokyo, puis à Kyoto où elle vit encore aujourd’hui.
Mais sa fille ne partage pas son avis quant au bien-fondé de quitter la ville où elle est née et ses camarades de classe. Elle manifeste sa frustration en se disputant au quotidien avec sa mère et en refusant obstinément de travailler à l’école. Ces difficultés commencent à s’aplanir au fur et à mesure qu’elle se fait de nouveaux camarades et qu’elle développe un intérêt de plus en plus marqué pour les langues étrangères.
Sanae Ito, évacuée à Kyoto, ancienne habitante de Minamisoma
Je retourne à Minamisoma deux ou trois fois par an. Aujourd’hui, au bout de quatre ans, j’ai le sentiment que je serais heureuse d’y retourner, mais le sentiment d’impossibilité de le faire reste plus fort.
Retour à la maison
Tandis que Sanae Ito songe à rester dans sa ville d’accueil, Maiko Momma, 33 ans à l’époque de l’accident, est rentrée à Yotsukura, un quartier de la ville d’Iwaki. Située à tout juste 300 m de la côte, sa maison a été fort heureusement épargnée par le tsunami. Mais les images du déchaînement de l’océan envahissant la campagne, tandis qu’elle et ses enfants couraient se réfugier sur un point haut, resteront à jamais gravées dans sa mémoire comme une vision d’horreur. Mère d’une fille de 11 mois et d’un garçon de 2 ans à l’époque, Mme Momma décide d’évacuer Yotsukura avec ses enfants, laissant derrière elle son mari, qu’un départ eût contraint à renoncer à son activité de gérant d’une pharmacie et à licencier ses employés.
Guidée par le devoir de protéger ses enfants, elle se dirige vers Koriyama, distant d’une soixantaine de kilomètres, où elle s’installe un mois chez les parents de son mari. Pressée par ses propres parents de laisser plus de champ entre elle et les réacteurs endommagés, elle part pour Sendai, où elle est née. Cette ville de la préfecture Miyagi située à quelque 110 km de Koriyama lui est familière, car ses parents et sa sœur cadette y vivent.
La vie aurait pu y être presque normale, si Monsieur Momma y avait accompagné sa femme et ses enfants. Leur séparation devient de plus en plus pesante, car ils ne peuvent pas se voir aussi souvent qu’ils le souhaiteraient – loin de là ! – en raison des trois à quatre heures de détour entre Minamisoma et Iwaki dû à l’accident de la centrale. « Au printemps 2013, j’ai entendu dire par une connaissance qu’on pouvait obtenir des autorisations permettant de se rendre directement de Minamisoma à Iwaki par la nationale 6, se souvient Maiko Momma. Alors je me suis dit que si les choses avaient évolué à ce point, pourquoi ne pas retourner à la maison ? C’est comme ça que je me suis décidée à y revenir au mois d’août. »
Maiko Momma, conseillère en radioprotection auprès des habitants, ville d’Iwaki
Je me faisais du souci à l’idée de revenir près de la côte. Et puis mes enfants sont encore petits. J’avais vraiment peur.