Savoir et comprendre

Accident de réactivité

21/05/2012

​​​​(Mise à jour) Pour un bilan actualisé en 2021, lire notre dossier « Tchernobyl, 35 ans ​après »​​

Dans un réacteur en fonctionnement normal, une réaction en chaîne stabilisée est entretenue. Un accident peut être généré par une accélération brutale de cette réaction : c'est l'accident de réactivité. Cette accélération (on parle d’excursion de puissance) entraîne un accroissement rapide de l’énergie thermique, si élevé qu’il conduit à un endommagement des assemblages combustibles. 

Les barres de commande permettent de réguler la puissance d’un réacteur nucléaire, et d’arrêter le réacteur en cas d’évolution dangereuse de certains paramètres. Constituées d’un matériau absorbant qui capture les neutrons (par exemple, argent – indium – cadmium pour les centrales de 900 MWe), elles se présentent sous forme de crayons, qui s’insèrent automatiquement dans les assemblages combustibles formant le cœur du réacteur. En fonctionnement normal l’insertion ou l’extraction de ces barres permet de contrôler la température et le niveau de puissance du réacteur. En cas de dépassement d’un seuil de protection ou sur action de l’opérateur, l’insertion de ces barres intervient dans un délai extrêmement court, de l’ordre de 2 secondes, par chute gravitaire.

L’éjection brutale d’une barre (ou grappe) de commande d’un réacteur à eau sous pression était, avant l’accident de Tchernobyl, le phénomène initiateur d’accident de réactivité le plus grave considéré dans les rapports de sûreté.

Après l’accident de Tchernobyl, un autre type d’accident de réactivité a été étudié de façon approfondie : le bouchon d’eau « claire » (c'est-à-dire d’eau non borée). La dilution lente du bore était déjà envisagée dans les rapports de sûreté. Dans le cas du bouchon d’eau « claire », on considère la possibilité de créer un bouchon d’eau non borée et de l’envoyer brutalement dans le cœur du réacteur.

Une volonté de tirer les leçons de Tchernobyl pour les réacteurs occidentaux

En France et plus largement dans la communauté nucléaire mondiale, on a voulu tirer tous les enseignements de l’accident de Tchernobyl. Cependant, pour beaucoup les différences de conception et de culture de sûreté étaient telles que la sûreté des réacteurs occidentaux ne paraissait pas remise en cause. 

En effet, les caractéristiques de sûreté des Réacteurs à Eau Pressurisée (REP) sont nettement plus favorables que celles des RBMK de l’époque.

  • Toute augmentation de puissance ou de température entraîne une baisse de réactivité qui tend à freiner la montée en puissance.
  • L'insertion des grappes de contrôle et d'arrêt a toujours pour effet de réduire la réactivité du cœur. Leur temps de chute est beaucoup plus court (2 secondes).

 

De plus, il existe une culture de sûreté forte sur les réacteurs français. Il n'est pas dans la pratique de by passer des sécurités pour des motifs de production ou pour la réussite d'un essai.

Cependant, après un accident aussi important, il était nécessaire de réexaminer la sûreté des réacteurs français et, en particulier, d'évaluer les conséquences possibles d’une violation des règles d’exploitation.
Les variations de tous les paramètres ont été étudiées pour leur impact sur la réactivité. Cet examen n'a mis en évidence aucune séquence accidentelle issue du non respect des spécifications techniques d'exploitation et conduisant à des situations inacceptables. La robustesse de la démonstration de sûreté des REP et, en particulier, l'importance du système d'arrêt d'urgence ont ainsi été confirmés.

Un groupe d’ingénieurs (Framatome, EDF, IPSN) a recherché les possibilités d’accidents de réactivité sur les REP, même si compte tenu des différences de conception les conséquences ne pouvaient être aussi importantes que sur un réacteur RBMK.

 

L’identification des scénarios avec bouchon d’eau « claire »

L'objectif de l'IPSN était de déterminer dans quelles conditions des situations de ce type pouvaient se produire et ceci indépendamment du caractère plausible ou non du scénario. Le souci était d'identifier les situations à risques de façon à comprendre les limites physiques, la discussion sur la nécessité ou non de prendre des dispositions complémentaires à l’égard de ces situations ne pouvant intervenir qu’ultérieurement.

L'IPSN a ainsi mis en évidence les scénarios dits de « bouchon d’eau claire » (c'est-à-dire d’eau non borée ou insuffisamment borée) où la dilution du bore est à l'origine d'accidents de réactivité.

Sur les Réacteurs à Eau Pressurisée (REP), la réactivité du cœur est contrôlée à l'aide des grappes de crayons absorbants et par du bore en solution dans le fluide primaire.

En général, la concentration en bore est homogène dans tout le circuit primaire de par la circulation forcée obtenue à l'aide des pompes.

  • Les concepteurs se sont, dès le départ, préoccupés des risques en cas de dilution du bore (par de l'eau pure injectée volontairement ou intempestivement dans le circuit primaire). Mais les études réalisées portaient sur des situations où les pompes de circulation étant en fonctionnement ; la concentration en bore restait alors homogène dans le circuit primaire.
  • Les études physiques ont montré qu'en cas d'injection d'eau non borée dans le circuit primaire alors que les pompes de circulation sont arrêtées, il est possible de former une poche d'eau froide, à concentration en bore faible voire nulle, dans une partie du circuit. Celle-ci pourrait, au redémarrage des pompes de circulation, être transférée brutalement dans le cœur et conduire à une accélération importante de la réaction en chaîne (cf. les accidents de réactivité).

 

Dès cette découverte, des instructions ont été données pour que les exploitants interdisent toute injection d'eau dans le circuit primaire lorsque les pompes de circulation sont à l'arrêt. Dans un deuxième temps, il a été décidé d'ajouter des automatismes pour empêcher toute possibilité d'arrivée d'eau dans ces conditions. Les modifications correspondantes ont été rapidement mises en place sur tous les REP en France.

Compte tenu des conséquences possibles de ce type de scénario, des règles très strictes pour l'utilisation d'eau pure dans les composants du circuit primaire ou dans les circuits connectés au circuit primaire ont été imposées aux exploitants.

  • Enfin, il a été montré que, dans certains scénarios de brèches dans le circuit primaire, dits scénario de dilution inhérente, il pouvait y avoir création, dans les boucles primaires, de poches d'eau à faible concentration de bore résultant de la condensation de la vapeur issue du coeur dans les tubes des générateurs de vapeur. Dans cette situation le redémarrage d'une pompe primaire est interdit, mais on peut se demander comment ces poches pourraient être résorbées en cas de reprise de la circulation d’eau dans les boucles primaires.

 

Un programme d'essais sur la Boucle PKL exploitée en Allemagne par Framatome est en cours actuellement pour lever cette interrogation.


Ces situations ont été mises en évidence par les études physiques initiées par l'IPSN. La portée du risque a été discutée avec l'exploitant EdF et le fabricant Framatome. Les études probabilistes de sûreté ont confirmé l’intérêt de mesures complémentaires.

C'est parce que l'IPSN a pu, dans le cadre des analyses de sûreté post-Tchernobyl, mener par lui-même des études physiques d'accident et évaluer les probabilités des séquences qu'une discussion équilibrée a pu s'établir avec le fabricant et l'exploitant des REP. Cette affaire illustre la spécificité de l'IRSN qui, parallèlement aux analyses de sûreté, poursuit ses propres programmes d'études sur la sûreté et développe des codes de calcul indépendamment des concepteurs des technologies.

 

Reconnaissance internationale de ce type d’accident

La prise en compte des risques liés à l'hétérogénéité du bore en solution lorsque les pompes de circulation sont arrêtées, est aujourd'hui une exigence en France et elle est devenue obligatoire dans tous les pays exploitant des réacteurs à eau pressurisée.

Par exemple, les risques liés aux dilutions hétérogènes (par front d'eau), qui n'étaient pas étudiés jusqu'alors sont pris en compte dans les règles de sûreté françaises. En particulier les « Technical Guidelines for the design and construction of the next generation of nuclear power plants with pressurized water reactors » adoptés durant la réunion commune du Groupe Permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires et d’experts allemands des 19 et 20 octobre 2000 demandent que :

  • La prévention par des dispositions de conception, des accidents de réactivité résultant d'une introduction rapide d'eau froide ou déborée, doit être telle qu'ils puissent être « exclus ».
  • Les accidents de réactivité résultant de l’introduction rapide d’eau froide ou non borée doivent être empêchés par des dispositions de conception de telle sorte qu’ils puissent être « exclus ».

 

Dès le départ des actions post-Tchernobyl, l'IPSN a souhaité débattre de ses positions sur les accidents de réactivité avec la communauté nucléaire internationale.

Ces échanges ont eu lieu au cours de plusieurs réunions internationales.

Tout d'abord dans le cadre de l'AIEA lors du « Technical Committee meeting on reactivity transients accidents » en novembre 1987. Dans le relevé de conclusions, le comité encourageait les pays membres à revoir les études d'accidents de réactivité de dimensionnement, mais aussi ceux hors dimensionnement, à la lumière de l’accident de Tchernobyl. Mais au-delà de cette recommandation générale, beaucoup de pays étaient sceptiques sur l'intérêt des études lancées par l'IPSN. Les Etats-Unis avaient lancé des réflexions préliminaires sur le sujet. Une deuxième conférence deux ans plus tard en octobre 1989 permettra de confirmer la position de l'IPSN et de faire le point sur l'avancement des études (Ref: Analyse des accidents de réactivité dans les REP, Vienne, 14-17 octobre 1989).

L'IPSN a présenté l'avancement de ses réflexions dans le cadre d'une réunion sur les risques d'accidents en période d'arrêt organisée par l'OCDE/CNRA en juin 1991. A cette date, la NRC avait lancé un programme ambitieux d'études sur tous les risques à l’arrêt à froid. La NRC pour le compte de l'OCDE organisera en 1995 une réunion aux USA consacrée aux accidents de réactivité. Le compte rendu établi par la NRC montre que tous les organismes de sûreté se sont lancés dans l'étude des dilutions hétérogènes. (Ref. Rapport NUREG/CP-0158 Proceeding of the OECD/CSNI Specialists meeting on boron dilution reactivity transients October 18-20, 1995).

  • Diverses présentations ont été faites dans des congrès internationaux, en particulier au Japon, en novembre 1990, à Kiev, en septembre 1992, et plus récemment lors des congrès suivants :
  • OCDE/ SETH/PKL de Barcelone en 2003.
  • EUROSAFE de Berlín en 2004.
  • NURETH 11 des 2 – 7 octobre 2005 en Avignon.
  • ICONE 14 des 17-20 juillet 2006 à Miami.