Savoir et comprendre

Les grands incendies dans la région de Tchernobyl

23/04/2021

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Depuis l’accident nucléaire survenu sur le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl le 26 avril 1986, l’environnement proche de cette installation est très fortement contaminé dans un périmètre encore aujourd’hui interdit (zones d’exclusion) d’environ 2600 km2 en Ukraine et  2400 km2 en Biélorussie. Ces zones, qui étaient à l’origine partiellement cultivées ou couvertes de forêts, ont été laissées en grande partie à l’abandon.

 

De ce fait, la végétation et les forêts ont continué de croître et à se développer au détriment des zones cultivées. En dépit des efforts réalisés par les pays les plus affectés par les retombées de l’accident pour limiter ce phénomène, l’état de la forêt se dégrade, laissant place à l’accumulation de végétaux morts et la densification de la biomasse. Ce délabrement de la forêt auquel s’ajoute le changement climatique marqué par une saison sèche plus intense et plus précoce, aggrave le risque incendie. De fait, au printemps, certaines pratiques agricoles (brulis) destinées à éliminer la végétation morte, provoque régulièrement des incendies. Les actes de pyromanie, les accidents électriques et la foudre (bien que dans une moindre mesure), sont les autres causes principales de départ de feu.

 

Les incendies locaux et régionaux et la propagation des panaches

 

L'écosystème proche de la centrale de Tchernobyl a ainsi régulièrement souffert d'incendies majeurs : une dizaine depuis 1992. L’ampleur de ces incendies dépend de plusieurs facteurs dont, ainsi qu’il vient d’être évoqué, la densité de la végétation, les espèces d'arbustes et d'arbres (bruyère, pin, bouleau, chêne, tremble, aulne, hêtre…), l'utilisation des sols, les conditions climatiques et météorologiques (humidité, sécheresse, vent et précipitations) mais aussi les capacités de lutte contre leur développement. Les surfaces concernées varient d’un épisode à l’autre (de quelques dizaines de km2 à près de 900 km2 comme en 2020).

 

L'année 2002 a été particulièrement préjudiciable pour les zones de nature sauvage (forêts et tourbières) dans la région de Moscou et surtout en Ukraine. Ainsi, au cours de l’été 2002, plus de 60000 points chauds ont été détectés dans une vaste région englobant l’Europe orientale, la Biélorussie, l’Ukraine et la partie occidentale de la Fédération de Russie. Le premier trimestre de 2020 a, quant à lui, été caractérisé par une augmentation de 30% du nombre et de la gravité des incendies, selon le Service d'Urgence de l'État d'Ukraine (SESU). C’est justement en avril 2020 que ce sont produits les pires incendies de forêt jamais enregistrés dans la partie Ukrainienne autour de la centrale de Tchernobyl.

 

Dans les régions tempérées de l’hémisphère nord (latitudes comprises entre 30 et 60°), la circulation générale des masses d’air troposphériques est organisée selon un flux d’ouest en est. Par conséquent, les panaches des incendies qui se développement dans la partie est de l’Europe ont généralement tendance à se disperser vers l’est et le continent eurasien. Toutefois, lors de situations anticycloniques, des masses d’air continentales peuvent se déplacer vers l’Europe de l’ouest. La combinaison d’une situation anticyclonique et d’un incendie majeur dans les territoires contaminés reste relativement rare mais a provoqué à plusieurs reprises la dispersion d’un panache de cendres contenant des éléments radioactifs artificiels détectables à l’état de traces dans plusieurs pays européens et jusqu’en France. Ce fut le cas en août et septembre 2002, mars 2003, début août 2010 et plus récemment en avril 2020.

 

Le grand incendie d'avril 2020

 

Début avril 2020, des incendies de forêt ont commencé à faire rage dans le nord de l'Ukraine, notamment dans la zone la plus contaminée par les retombées de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl,  évacuée en 1986 et délimitée par une zone oblongue de 2600 km2 englobant le site de la centrale. Les incendies se sont propagés pendant environ 4 semaines, pénétrant dans la zone d'exclusion de Tchernobyl (CEZ) jusqu’à proximité de la centrale et des installations de stockage des déchets radioactifs. Les incendies ont finalement été éteints par des précipitations soutenues qui ont considérablement aidé les pompiers à maîtriser le feu. Selon l'Institut hydrométéorologique ukrainien (UHMI), environ 870 km2 (87 000 ha) ont été détruits dont 65 km2 à proximité immédiate de la centrale et 20 autres km2 sur la rive est de la rivière Pripyat. Les incendies de forêt peuvent émettre dans l’air des quantités importantes de radionucléides artificiels (137Cs, 90Sr, isotopes du plutonium et 241Am) ou naturels (210Po). Ces radionucléides sont contenus principalement dans les couches de terre superficielles, dans la litière forestière et dans une moindre mesure dans la biomasse.

 

Image satellite feu 9_04_2020 Tchernobyl.png

Figure 1 : Image satellite des feux du 9 avril 2020 dans la région de Tchernobyl. Crédit photo: NASA Earth Observatory images, Lauren Dauphin. Utilisation des données MODIS data de la NASA, EOSDIS/LANCE et GIBS/Worldview. https://earthobservatoryr.nasa.gov/images/146561/fires-burn-in-northern-ukraine.

 

Détections feux actifs Tchernobyl.png

Figure 2: Représentation cumulée des détections de feux actifs à partir des données satellites  MODIS et VIIRS entre le 1er avril  et le 1er mai 1 2020. Source des données: NASA/FIRMS (Fire Information for Resource Management System). La centrale de Tchernobyl est signalée par une étoile jaune.

 

Estimation des quantités de radionucléides remobilisées

 

La durée de l’épisode (> 4 semaines)  a provoqué d’abondants panaches qui se sont propagés tantôt vers l’est mais aussi à plusieurs reprises  en direction du sud et de l’ouest de  l’Europe. La radioactivité de ces panaches a pu faire l’objet de nombreuses mesures, notamment celles du césium-137 qui émet un rayonnement plus facilement détectable que les autres radionucléides artificiels remis en suspension (Pu, Sr, Am). Ainsi, à partir de 1200 résultats de mesure de la concentration de 137Cs dans l’air en Europe communiqués par 19 pays, l’IRSN a pu évaluer en utilisant des modèles de dispersion atmosphérique (modélisation dite « inverse »), la quantité de 137Cs émise par les incendies (terme source). Celle-ci a été estimée être de l’ordre de 0,7 à 1,2 TBq pour l’ensemble des foyers. Aucune concentration de 90Sr ou de plutonium dans l'air n'ayant été mesurée en dehors de l'Ukraine, il n’a pas été possible d’utiliser la même méthodologie pour estimer le terme source de ces radionucléides. Cependant, une quarantaine de mesures d’activités volumiques de 90Sr et une trentaine de plutonium dans l'air, effectuées  dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, ont été rapportées. Le rapport de ces concentrations à celles du Cs-137 mesurées dans la même zone ainsi que l’utilisation de rapports caractéristiques des retombées de l’accident a permis d’extrapoler les ordres de grandeur des activités de Sr, Pu et Am remobilisées par les incendies. Ainsi, un terme source en 90Sr 2 fois plus faible que celui du 137Cs a été estimé, soit de l’ordre de  480 GBq (plage comprise entre 345 et 612 GBq). Pour les isotopes du plutonium et l’241Am, les termes sources estimés par l’IRSN sont, respectivement de 1.5 GBq pour le 238Pu et le 239Pu, 2.2 GBq pour le 240Pu, 59.0 GBq pour le 241Pu et 21.7 GBq pour l’241Am.

 

Evaluation des conséquences radiologiques

 

L’IRSN a réalisé une évaluation dosimétrique sur deux catégories de personnes: les pompiers ayant participé à la lutte contre les incendies dans la zone d’exclusion et les habitants de Kiev (à environ 100 km au sud). L’évaluation de la dose par inhalation a été réalisée en tenant compte d'une approche volontairement majorante incluant les hypothèses suivantes :

  1. les pompiers n'avaient pas de protection respiratoire ;
  2. un temps de travail total dans la zone d'exclusion d'une centaine d'heures pour chacun d'eux (10 jours à raison de 10 heures de travail par jour) ;
  3. un débit respiratoire de 3 m3/h correspondant à un effort physique très intense lors de la lutte contre les incendies (CIPR 66).

 

Les concentrations atmosphériques considérées ont été estimées principalement à partir des résultats de mesures obtenus sur des  filtres prélevés sur le terrain pour lesquels le 137Cs, le 90Sr, le 238Pu et le 239+240Pu ont été mesurés simultanément. Les estimations des activités volumiques de 241Pu et 241Am ont été quant à elles déduites du rapport 241Pu/239+240Pu caractéristique des retombées de l’accident de Tchernobyl, tiré de la littérature[1] en tenant compte de la filiation radioactive entre 241Pu  et 241Am.

 

A partir des concentrations dans l’air les plus élevées mesurées (de l’ordre de 1 Bq.m-3 pour 137Cs et 90Sr, 1 mBq.m-3 pour le 238Pu), la dose potentiellement reçue par un pompier du fait de l’inhalation de fumées radioactives aurait été d'au plus 170 microSievert (µSv) au total, dont environ 80% uniquement dû à l’241Am. Ce résultat est probablement très majorant puisque que l’on a également supposé pour les besoins du calcul que les concentrations maximales observées sur de très courtes périodes (une demi-heure par exemple) ont perduré 100  heures. Une évaluation plus réaliste de la dose peut être établie sur la base des concentrations moyennées dans l'espace et dans le temps, relevées à l’intérieur de la zone d’exclusion pendant les incendies. Dans ce cas, la dose résultante induite par l'inhalation de tous les radionucléides artificiels considérés dans cette étude sur une période de 100 heures serait de 1,3 µSv (soit encore 0,0013 mSv).

 

Malgré l’importance relative de la concentration maximale en 137Cs mesurée au voisinage des incendies (0,2 Bq/m3), les évaluations dosimétriques indiquent que la contribution du 137Cs à la dose par inhalation reste négligeable en regard de celle due au 90Sr, aux isotopes du Pu et surtout à l’241Am. De plus, l’essentiel de la dose (toutes voies d’exposition confondues) est imputable à l’exposition externe par les radionucléides déposés en avril et mai 1986 dans l’environnement proche de la centrale de Tchernobyl. Cette exposition externe résulte du temps de présence des pompiers sur ce territoire très contaminé, et n’est pas directement liée aux incendies. A partir de données publiées dans la littérature, l’exposition externe due à l’environnement contaminé serait comprise entre 0,1 et 1 mSv pour une présence d’une centaine d’heure dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.. A titre de comparaison, la limite actuelle imposée par la réglementation Ukrainienne pour le personnel travaillant dans la zone d’exclusion de Tchernobyl est de 3 mSv/an.

 

L’impact dosimétrique des incendies pour les habitants de Kiev prenant en compte l’inhalation de particules et la consommation de denrées alimentaires contaminées par les dépôts atmosphériques des particules radioactive, est resté très faible. La dose efficace pour un adulte a en effet été estimée à 0,150 µSv résultant principalement de l’inhalation (0,1 µSv pour l'inhalation du 1er au 22 avril 2020 et 0,050 µSv pour l’ingestion sur une période de 1 an après le dépôt). L’américium 241 aurait contribué à lui seul à environ 75% de cette dose par inhalation, suivi des isotopes du plutonium (~25%), la contribution du 137Cs et du 90Sr étant de l’ordre de 1%. Pour le calcul de la dose par ingestion, les principaux produits agricoles considérés comprenaient les légumes de saison (avril), les produits laitiers et la viande. La consommation quotidienne de 500 g de légumes à feuilles a été utilisée comme scénario le plus pénalisant. Comme confirmé par Talerko et al. (2021), la dose induite par l'exposition externe au panache des incendies (immersion) a été négligeable par rapport à l'exposition interne par inhalation. L'exposition totale est donc restée très inférieure à la limite d'exposition publique annuelle de 1 mSv selon les normes ukrainiennes de radioprotection pour le public en tant que dose efficace ajoutée (NRBU-97, 2000) ou par rapport à l'exposition mondiale annuelle moyenne de 2,4 mSv induit par le rayonnement naturel (UNSCEAR, 2000).

 

Dans le reste de l’Europe et notamment en France, l’impact dosimétrique par inhalation et par ingestion de denrées sur lesquelles des dépôts infimes de radionucléides issus de ces incendies ont pu se déposer, a été négligeable.

 

 

Notes :

  1. Les activités volumiques ainsi obtenues sont les suivantes : 1 mBq/m3 pour le 239Pu, 1,5 mBq/m3 pour le 240Pu, 44 mBq/m3 pour le 241Pu et 12 mBq/m3 pour l’241Am.