Savoir et comprendre

Du constat aux premières solutions

31/07/2014

Le cristallin de l’œil est un tissu radiosensible qui peut être affecté par les rayonnements ionisants. Il développe alors des opacités pouvant conduire à une cataracte. Si le risque est connu de longue date, il est aujourd’hui au cœur de l’actualité.

En 2011, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) a revu drastiquement à la baisse ses recommandations pour les travailleurs, ramenant la limite annuelle d’exposition du cristallin de 150 à 20 mSv. Ce nouveau seuil a été repris dans les normes de base en radioprotection de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), puis dans la directive Euratom 2013/59, publiée le 5 décembre 2013. Cette dernière devra être transposée en droit français d’ici à 2017.

 

Les cardiologues interventionnels très exposés

Les professionnels de santé qui exercent en radiologie interventionnelle sont très exposés. Et pour cause : si le port d’équipements de protection corporelle est largement adopté, il n’en est pas de même pour les yeux.

« Les séquelles liées à une exposition non-contrôlée aux rayons X dont ont été victimes nos prédécesseurs, comme la cataracte radio-induite, sont présentes dans tous les esprits des jeunes praticiens », témoigne le Dr Frédéric Clarençon, neuroradiologue interventionnel à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

Au rythme de plusieurs interventions quotidiennes, au cours de dizaines d’années de carrière, les doses cumulées peuvent atteindre plusieurs centaines de millisieverts. Les cardiologues interventionnels présenteraient près de 3,8 fois plus d’opacités cristalliniennes que la population générale.

Ce résultat est tirée de travaux réalisés dans le cadre du projet Oramed (Optimization of RAdiation protection for MEDical staff - Optimisation de l’exposition radiologique des personnels médicaux), mené de 2008 à 2011 et piloté en France par l’IRSN. Cette étude européenne a mesuré les doses reçues aux yeux et aux extrémités (jambes et mains) des personnels médicaux lors d'actes de radiologie et cardiologie interventionnelle ou encore de médecine nucléaire, dans plus de 40 hôpitaux de six pays. Elle a mis en évidence que les plus fortes doses sont reçues par les doigts, les poignets et les yeux.

    

Port de lunettes recommandé

Le risque pour les praticiens est aujourd’hui bien identifié. Oramed a permis d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques pour la configuration du poste de travail : position du générateur, des protections, de l’opérateur…

Les manipulateurs qui travaillent à leurs côtés pourraient aussi être concernés, ainsi que les patients en radiothérapie et en neuroradiologie, qui subissent interventions et scanners à répétition au niveau de la tête. Des incidents de projections de produits radio-pharmaceutiques au niveau des yeux ont été signalés chez des manipulateurs en médecine nucléaire : scintigraphie, tomographie par émission de positons (TEP), radiothérapie…

Christelle Huet, experte en dosimétrie des rayonnements à l’IRSN, a étudié ces situations et conclu qu’il est délicat d’évaluer les doses reçues, tant les paramètres pouvant intervenir sont difficiles à connaître. Elle en conclut la nécessité de prévenir de tels événements indésirables en portant des lunettes de protection. En cas d’incident, il faut procéder à des lavages répétés de l’œil et réaliser rapidement un contrôle de contamination.

De leur côté, des professionnels réalisent des études de poste pour connaître la dosimétrie des travailleurs exposés. « Les praticiens et les manipulateurs radio ont porté un dosimètre pendant dix mois », explique Sophie Laffont, physicienne médicale au Centre de lutte contre le cancer Eugène-Marquis, à Rennes (Ille-et-Vilaine).  « À l’issue de cette période, nous avons opté pour le port de lunettes plombées pour un radiologue interventionnel. »

 

D’autres secteurs concernés

Autres travailleurs à surveiller : ceux du nucléaire. « Une limite de dose à 150 mSv au cristallin n’était pas contraignante pour la mise en œuvre des dispositions de prévention contre les rayonnements ionisants sur nos installations. Dès l’annonce des nouvelles recommandations de la CIPR, nous avons lancé une étude afin d’identifier les postes de travail qui pouvaient être concernés par la future limite de 20 mSv, à Melox (Gard) et La Hague (Cotentin) », rapporte Patrick Devin, responsable de la radioprotection chez Areva.

« Nous avons une approche dite ALARA (‘As Low As Reasonably Achievable’, soit ‘Aussi bas que raisonnablement possible’), qui consiste à optimiser les postes de travail concernés. Nous étudions le meilleur moyen de suivre la dosimétrie au cristallin à ces postes de travail. Nous recherchons avec nos fournisseurs, opticiens et ophtalmologistes, les meilleurs équipements pour protéger le cristallin tout en conservant une bonne ergonomie », explique-t-il. Comme le note aussi le Dr Clarençon, « des progrès dans l’ergonomie de ces dispositifs apparaissent nécessaires pour améliorer l’adhésion des opérateurs à ces contraintes ».

Le Dr Catherine Roy, spécialiste de la radioprotection vétérinaire au sein de la Société française de radioprotection, alerte sur l’exposition de ses confrères : « En pratique équine, on peut travailler avec des générateurs de rayons X puissants et à faisceau horizontal. On est souvent obligé de rester à côté des animaux ou de tenir le générateur à la main. Cela nous expose à des rayonnements. Il faut être vigilant et l’IRSN nous aide, en réalisant régulièrement des suivis dosimétriques sur le terrain. Éléments rassurants : 80 % des structures vétérinaires disposent d’une PCR et tous les jeunes vétérinaires sont formés à la radioprotection », rapporte-t-elle.

 

Retour sur l’étude de poste réalisée à Rennes

Modèle de dosimètre utilisé pour l’étude

« L’annonce de l’abaissement de la limite de dose au cristallin de 150 à 20 mSv par an, lors des Journées Françaises de Radiologie en octobre 2011, est à l’origine de l’étude de poste que nous avons réalisée », explique Sophie Laffont, physicienne médicale au Centre de lutte contre le cancer Eugène Marquis à Rennes (Ille-et-Vilaine).

Première étape : disposer d’un moyen de mesure. « Nous nous sommes tournés vers l’IRSN, seul établissement proposant un dispositif constitué d’un dosimètre thermoluminescent fixé sur un bandeau avec tour de tête ajustable », précise Olivier Henry, physicien médical impliqué dans cette étude. « Après une période de suivi de dix mois et une analyse réalisée par le Laboratoire de dosimétrie de l’IRSN, les doses étaient de 1,2 mSv/an au maximum pour les manipulateurs et de 12 mSv/an pour le radiologue. Ces chiffres montrent que l’exposition du personnel est en accord avec la nouvelle norme à 20 mSv/an. »

Le port d’un moyen de protection pour le praticien a été envisagé. « Dans les cas où il porte des verres correcteurs, nous avons fait des essais avec des casques et des sur-lunettes plombées. Ces derniers n’ont pas été concluants, car les verres sont trop lourds et pas adaptés à la pratique médicale. Nous nous sommes tournés vers des verres correctifs plombés (verres contenant du plomb pour protéger des rayonnements ionisants), onéreux et difficiles à trouver mais disponibles chez un fabricant français d’accessoires de radioprotection. »

Plusieurs mois ont été nécessaires pour mener cette étude mais son coût reste raisonnable : « Pour les quatre opérateurs, cela correspond à un budget d’environ 800 euros », précise Sophie Laffont.

 

 

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