Communication de la commission d'éthique et de déontologie de l'IRSN

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15/02/2023

​​La commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN a souhaité s’exprimer suite au communiqué du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires en date du 8 février 2023 sur l’évolution de l'organisation du contrôle et de la recherche en radioprotection et sûreté nucléaire​


​"Fragiliser l’expertise nucléaire en démantelant l’IRSN ne contribuera pas à faciliter la transition énergétique et écologique.

La commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN exprime son profond désaccord avec le projet de démantelement de l’IRSN dont les valeurs sont exprimées dans sa Charte d’éthique et de déontologie. Ces valeurs concourrent à la confiance dans la radioprotection et la sûreté nucléaire qui repose sur deux caractéristiques offertes aujourd’hui par l’institut : le lien fort établi entre la recherche et l’expertise ainsi que la séparation entre l’expertise et la prise de décision. Le projet envisagé à ce stade conduirait irrémédiablement à la disparition de ces atouts. 

La commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN a pris connaissance le 10 février 2023 du message de la Présidente de l’Institut l’informant ainsi que le personnel de l’Institut, du projet de démantèlement de l’IRSN à brève échéance. Ce projet viserait à répondre à l’objectif d’accélération de la transition énergétique et écologique affiché par le gouvernement et la Présidence de la République, ainsi que l’attestent d’une part le communiqué présidentiel suivant la réunion du Comité de politique nucléaire du 3 février 2023, et d’autre part le positionnement des ministères concernés. La Commission considère que ce projet est de nature à remettre en cause les principes de la charte d’éthique et de déontologie de l’IRSN : excellence, indépendance, partage et anticipation. L’affaiblissement du lien entre expertise et recherche qui fait l’originalité de l’Institut fragiliserait ainsi toute l’expertise nucléaire française. De plus, la confusion entre expertise et prise de décision au sein d’une même entité constituerait un recul considérable puisqu’il priverait d’indépendance cette expertise. La Commission note que l’abandon de cette indépendance ne manquerait pas d’être très mal perçue au-delà de nos frontières.

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a été conçu aussi comme un élément central pour assurer la confiance que les citoyens peuvent mettre dans la sûreté de l’énergie électronucléaire. Les enjeux liés au renouvellement du parc électronucléaire français et à la prolongation de la durée de vie des centres d’exploitation électronucléaires, auraient dû conduire à renforcer les moyens alloués à l’indépendance et à la compétence du dispositif en charge de la radioprotection, l’Institut actuellement.

L’intérêt de regrouper radioprotection et sûreté dans une seule entité à l’origine de l’IRSN était de mettre en place un institut expert de l’ensemble des risques nucléaires, y compris ceux liés à la défense, indépendant des décideurs et des promoteurs des technologies nucléaires. L’Institut a su déployer une expertise pluraliste dont il garde la mémoire. Il est fortement impliqué dans le dialogue avec les parties prenantes et la société civile. Ces succès n’ont été possibles que du fait qu’il n’est pas l’entité décisionnelle en matière de sûreté nucléaire. La séparation de l’expertise et de la décision fonde la confiance des parties et explique notamment la réussite de la mise en œuvre de la charte d’ouverture à la société de l’Institut et la reconnaissance de son modèle au plan international.

La recherche participe de l’excellence de l’Institut

La recherche de l’IRSN est reconnue comme de très haut niveau. Ce lien avec la recherche, qui inclut l’ensemble des meilleurs spécialistes du domaine à l’échelle planétaire, lui permet d’alimenter son expertise par les éléments de connaissance et les technologies les plus actuelles. Il permet de développer des programmes pour résoudre les questions encore non ou mal résolues ou adapter les méthodes d’évaluation des risques aux nouveaux enjeux et à l’évolution des technologies nucléaires. L’IRSN accueille ainsi en son sein des experts de très haut niveau, issus de la recherche et désireux de poursuivre une carrière dans le domaine de l’expertise ou même en exerçant parallèlement les deux métiers d’expert et de chercheur.

L’IRSN participe à des actions de recherche communes avec les industriels strictement encadrées par des règles déontologiques. Il en est de même avec les agences et établissements publics en charge de la décision (ASN), du développement et la mise en œuvre des solutions pour la gestion des matières et déchets radioactifs (Andra), de la recherche sur les technologies nucléaires (CEA) ou des organismes chargés d’autres types de risques (Ineris, BRGM) et les agences de santé publique (Anses, Santé publique France).

L’indépendance de l’institut est une garantie pour la qualité de son expertise

Comme la compétence ou l’expertise, l’indépendance ne se décrète pas mais résulte d’une culture de l’organisation qui ne peut prospérer que dans un environnement institutionnel qui la favorise. L’expert de l’IRSN ne voit en effet pas son action gouvernée par son opinion sur l’intérêt de développer l’énergie nucléaire ou non. N’étant pas en situation de contribuer à la décision, il se concentre sur les risques. Son seul objectif est de les évaluer le plus précisément possible, en étant exhaustif et en s’appuyant sur des données précises et des faits avérés. Le principe de séparation de la décision et de l’expertise fonde la bonne gouvernance moderne telle qu’elle est mise en valeur par les agences intergouvernementales telles que l’OCDE, en éradiquant par construction les possibles conflits d’intérêt.

La confiance dans la sûreté nucléaire repose sur celle de l’expertise délivrée par l’institut

L’ouverture à la société amène l’IRSN à être en contact avec toutes les personnes physiques ou morales qui ont un lien avec le monde du nucléaire. Ainsi l’IRSN rencontre régulièrement toutes les associations qu’elles soient favorables ou opposées au nucléaire. Celles-ci lui font part de leurs questionnements et partagent leur expertise, auxquels l’IRSN apporte des réponses, souvent sous la forme de nouvelles investigations. L’IRSN est enfin un fournisseur de données indépendant et objectif. Il a par exemple rétabli la vérité sur les retombées du nuage de Tchernobyl, ce qui a considérablement accru sa crédibilité. Les deux exemples des risques de leucémie au voisinage de l’usine de la Hague et des  retombées de Tchernobyl illustrent le rôle de l’IRSN dans la « pacification » des crises permises grâce à la crédibilité de son expertise et son sens du dialogue. Les industriels viennent chercher auprès de l’Institut une connaissance des risques sans biais. Les associations peuvent s’exprimer librement sur leur vision des risques puisqu’elles savent pouvoir être écoutées, que leur opinion et leurs arguments peuvent être pris en compte pour l’évaluation des risques et qu’en aucun cas cela constitue une caution sur les résultats puisqu’il n’y a pas d’enjeu décisionnel.

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Alors que l’IRSN a réussi à développer au cours de son histoire une culture de l’expertise nucléaire indépendante et ouverte, le projet de démantèlement de l’Institut fait courir le risque de fragiliser considérablement cet acquis et donc la confiance qui lui est associée au moment même où la France fait le choix de développer l’énergie électronucléaire pour assurer la transition énergétique et écologique."

Délibéré le 14 février 2023 par Françoise ROURE, présidente de la Commission, Lionel BOURDON, Raja CHATILA, Marc CLEMENT, Alexandra LANGLAIS, Mauricette STEINFELDER et Eric VINDIMIAN, membres.