Effets sanitaires de l'exposition aux faibles doses de radiations ionisantes : position de l'IRSN sur le rapport du CERI et recommandations

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28/11/2005

 

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Contaminations internes : des phénomènes complexes

 

Les phénomènes de contaminations internes par les radionucléides impliquent de nombreux mécanismes physico-chimiques, biochimiques et physiologiques insuffisamment connus et donc complexes à modéliser. Il est ainsi difficile d’établir précisément une relation entre la dose délivrée par les radionucléides et les conséquences sanitaires observées. Ceci a conduit les spécialistes de la radioprotection à utiliser le plus souvent les relations dose/risques établies à partir de l’étude des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, exposés dans des conditions différentes de celles rencontrées dans des cas de contaminations internes.

 

Le CERI (European Commitee on Radiation Risks) [1] a tenté de répondre à ces insuffisances en proposant de modifier le système de protection de la CIPR. Il estime en effet que les expositions internes sont plus dangereuses que les expositions externes en raison de l’incorporation des produits radioactifs au sein même des cellules et des constituants cellulaires. Considérant que les évaluations actuelles du risque après contamination sont sous-estimées, il propose de nouveaux coefficients de risque et des limites de doses très inférieures à celles adoptées dans le cadre des dispositions législatives et des recommandations internationales de la CIPR.

 

Rapport CERI : l’analyse de l’IRSN

 

L’IRSN a créé un groupe d’experts chargés de décrire la complexité des phénomènes de contamination interne et de réaliser une analyse scientifique et technique du rapport du CERI. D’après ces travaux, si les questions soulevées par le CERI sont pertinentes, les arguments présentés pour justifier du changement du système de radioprotection ne sont pas convaincants car la démonstration dans son ensemble ne répond pas aux critères d’une démarche scientifique rigoureuse et cohérente.

 

La question de fond est de savoir si le système actuel de radioprotection offre une protection appropriée, avec une marge de sécurité suffisante, au regard du risque d’exposition chronique de faible niveau par contamination interne. Les dernières études menées sur les personnes exposées au radon-222, au thorium-232 et au plutonium-239, ont permis de calculer des coefficients de risque et de les confronter à ceux prédits par le modèle actuel Hiroshima/Nagasaki. Les résultats semblent rassurants car ils montrent que le modèle en vigueur aurait tendance au contraire à légèrement surestimer le risque d’apparition de certains cancers (leucémies et cancers osseux) après contamination interne par des émetteurs alpha. Par contre, ces travaux ne traitent pas de l’ensemble des radionucléides susceptibles de poser des problèmes sanitaires, notamment certains produits de fission tels que le strontium (90Sr) retrouvés sur des sites industriels ou d’autres émetteurs alpha ou électrons Auger. Par ailleurs, le CERRIE (Committee Examining Radiation Risks of International Emitters), comité anglais chargé d’étudier ces risques, estime que les estimations de doses et de risques doivent être fournies avec un exposé des incertitudes associées, ces dernières pouvant être importantes. Or, si ces incertitudes sont reconnues, elles sont difficilement quantifiables.

 

L’IRSN considère que la structure et le fondement du système de radioprotection ne doivent pas être modifiés dans le contexte actuel car ce système constitue le meilleur outil actuellement disponible pour protéger l’homme des effets délétères des rayonnements ionisants. Néanmoins, certains composants de ce système pourraient probablement être améliorés en s’intéressant de façon plus explicite et systématique aux incertitudes liées à la détermination de la dose après contamination interne.

 

Recommandations pour de nouvelles recherches

 

Une amélioration du système de radioprotection impose de nouvelles recherches afin de mieux quantifier les incertitudes associées à l’estimation des risques consécutifs aux contaminations internes chroniques.

 

L’IRSN recommande en premier lieu d’initier des recherches afin de répondre aux interrogations des populations vivant sur les territoires contaminés de l’Europe de l’Est. Dans ces régions ont été observées des pathologies cardiovasculaires, baisses de fertilité et troubles comportementaux qui seraient, selon certains chercheurs, directement liés à l’accident de Tchernobyl. Le problème réside dans l’absence de données fiables pour déterminer s’il y a une causalité directe entre le niveau de contamination interne de ces populations et ces pathologies. Des recherches spécifiques doivent donc être conduites afin d’apporter des éléments de réponse.

 

L’IRSN recommande ensuite d’initier des recherches de fond afin d’améliorer les connaissances dans le domaine des conséquences sanitaires des contaminations internes chroniques et de réduire les incertitudes associées. Ces recherches doivent porter sur trois aspects :

  • les cinétiques des radionucléides dans l’organisme après exposition chronique. L’objectif est de déterminer la localisation et le temps de résidence des éléments et de vérifier si les cinétiques d’accumulation et d’excrétion sont sensibles à la durée des expositions. Ces données sont essentielles pour déterminer la dose délivrée aux tissus et à l’organisme entier et ainsi définir les coefficients de risque. Les recherches doivent être menées en priorité sur des radioéléments connus pour se concentrer dans certaines structures tissulaires ou cellulaires (uranium, éléments transuraniens, strontium…) car ces interactions avec la matière vivante sont susceptibles d’être modifiées lors des expositions de longue durée.
  • la toxicité des radionucléides. L’objectif est de s’intéresser à tous les effets et tous les tissus, et pas seulement aux cancers. En effet, le système actuel est fondé sur la notion de détriment qui est lié à la probabilité d’apparition de cancer et d’effets héréditaires graves. Il est donc important de tenir compte d’autres pathologies en décrivant l’ensemble des effets biologiques et sanitaires pouvant survenir après contamination chronique par des radionucléides.
  • les études épidémiologiques de type analytique. La majorité des études discutées dans le rapport CERI se limite à des études descriptives, comparant des taux d’incidence pour différents niveaux de contamination environnementale. Or face à des expositions chroniques, variables dans le temps et avec une distribution non homogène au niveau des populations considérées, les études dites descriptives ou écologiques ont peu de chances de mettre en évidence un risque, notamment un risque de cancer, après un temps de latence important. Des études épidémiologiques de type analytique permettraient de mieux estimer le risque de cancer en fonction de la dose au niveau de l’organe cible. Ainsi, dans le cadre d’un programme soutenu par l’Union Européenne, de nouvelles études vont être lancées sur d’autres cohortes de travailleurs en Europe, plus spécifiquement exposés à certains radioéléments comme l’uranium. L’objectif est de cibler des populations dont l’exposition interne a été estimée correctement, de les suivre sur plus de 20 ans et d’enregistrer un ensemble d’indicateurs de santé : cancer, leucémies, maladies chroniques rénales, pulmonaires, cardio-vasculaires…

 

Les axes de recherche recommandés par l’IRSN permettraient de mieux appréhender les phénomènes de contamination interne et leurs conséquences sanitaires. Ils devraient apporter les données de base pour améliorer le système de radioprotection. Ces recherches nécessitent toutefois un effort soutenu pendant de nombreuses années et un plateau technique développé et très diversifié, impliquant une mise en commun de moyens humains considérables. Elles doivent donc être menées dans un cadre international sous forme d’actions concertées au niveau européen ou mondial.

 

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Note :

  1. Le CERI, qui comprend près de 50 membres, a été créé en 1997, en marge des travaux du Parlement Européen, pour discuter du contenu de la directive européenne 96/29 qui fixe les normes de base en matière de radioprotection.