TRACY, la cohorte française des travailleurs du cycle de l’uranium

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01/10/2013

Dernière mise à jour en Février 2021

Contexte


La cohorte TRACY a été initiée en 2008, dans le cadre d'une collaboration avec AREVA (Orano depuis 2018). Elle inclut les travailleurs des principales entreprises impliquées dans le cycle français du combustible. Les objectifs de cette étude épidémiologique menée par les chercheurs du Laboratoire d'épidémiologie des rayonnements ionisants (LEPID) de l'IRSN, sont d'une part, de mieux caractériser les effets de contaminations internes par l'uranium sur la santé, et d'autre part, de réaliser un bilan de mortalité au sein des entreprises incluses. Cette étude s'inscrit également dans une perspective internationale, dans le cadre projets de recherche collaboratifs européens Alpha-Risk et CURE (pour Concerted Uranium Research in Europe) coordonnés par le LEPID et d'un projet international iPAUW (pour international Pooled Analysis of Uranium Workers).


Objectif : Mieux connaître les risques de pathologies liées à des incorporations d'émetteurs alpha


Les études réalisées au sein de cette cohorte visent à améliorer la connaissance des risques potentiels de pathologies susceptibles de se développer à long terme suite à des incorporations répétées d'émetteurs alpha, en particulier d'uranium. Elles visent à caractériser le risque potentiel de mortalité par différentes pathologies, en particulier cancer et maladies cardiovasculaires, en fonction de l'exposition aux rayonnements ionisants (contamination interne et irradiation externe), tout en prenant également en compte l'exposition à des produits chimiques classés CMR[1] et certaines contraintes physiques comme le bruit ou la chaleur. Cette étude épidémiologique étant conduite à des fins scientifiques, elle a fait l'objet d'une déclaration spécifique auprès de la CNIL[2], demande d'autorisation n°911399 et décision DR-2012-611 du 17 décembre 2012.


Description


La cohorte est constituée de 12 700 travailleurs (88 % d'hommes) statutaires des principales entreprises impliquées dans le cycle du combustible : sociétés Orano Cycle (sites de Pierrelatte et Malvési), Melox (filiale d'Orano Cycle sur le site de Marcoule), Framatome (FBFC Romans) et du CEA (site de Pierrelatte) et employés au moins 6 mois entre 1958 et 2006. Elle couvre les activités de purification, conversion chimique et enrichissement de l'uranium, la fabrication du combustible à partir d'uranium enrichi ainsi que de MOX. Les travailleurs impliqués dans les activités de stockage des fûts (Uranium appauvri, uranium issu du retraitement) et de décontamination (matériel et effluents) sont également inclus.  Les données administratives (périodes d'emploi, affectations et postes occupés), le statut vital et, le cas échéant, les causes de décès sont recueillis pour chaque travailleur. La reconstitution des expositions (radiologiques, chimiques et physiques) et le recueil des facteurs de risques (tabac, indice de masse corporelle, hypertension, cholestérol…) s'effectuent à partir des données individuelles enregistrées dans le dossier médical du travailleur et également à partir de matrices emplois-expositions spécifiques de chaque établissement (estimation pour chaque poste de travail des niveaux d'exposition potentielle à chaque nuisance). C'est à partir de ces informations anonymisées que sont réalisées les analyses statistiques.


Principaux résultats


Au cours de la période de suivi (1968 à 2013), 23 % des travailleurs de la cohorte TRACY sont décédés. La durée moyenne du suivi individuel est de 32 ans. L'analyse de la mortalité de la cohorte TRACY met en évidence un fort effet du travailleur sain, statistiquement significatif, avec une sous-mortalité de 30 % par comparaison avec la population nationale. Une seule localisation présente un excès significatif, le cancer de la plèvre (18 cas observés au lieu de 11 attendus), pour lequel un effet d'exposition à l'amiante est suspecté (Samson et al., 2016). D'autres analyses ont été effectuées dans des sous-groupes de la cohorte TRACY pour lesquels les expositions ont d'ores et déjà pu être reconstituées, au moins pour partie. Des analyses ont été conduites chez les travailleurs impliqués dans l'enrichissement de l'uranium (2 500 travailleurs). L'étude n'a pas mis en évidence de lien entre l'exposition à l'uranium (reconstituée par une matrice emplois-expositions), l'exposition externe (valeurs des dosimètres portés par les travailleurs) et la mortalité de ces travailleurs (Zhivin S et al., 2016). Une étude cas-témoins s'intéressant à la mortalité par maladies de l'appareil circulatoire a été réalisée sur le périmètre des travailleurs Orano de Pierrelatte (3 000 travailleurs). Les expositions ont été estimées par l'approche mixte, données individuelles et matrice emplois-expositions, permettant un calcul des doses aux organes. Après prise en compte des facteurs de risque classiques de ces maladies (tabac, tension, indice de masse corporelle, cholestérol, glycémie), une augmentation du risque de décès par maladies de l'appareil circulatoire en lien avec l'exposition à l'uranium a été observée (thèse de S. Zhivin 2015).

Dans un autre sous-ensemble de la cohorte TRACY composé des étapes de conversion chimique, fabrication du combustible et décontamination, les relations entre expositions radiologiques et mortalité ont été étudiées dans le cadre d'une thèse (S. Bouet-Rivoal 2018). Si les associations observées dans ces analyses ne sont pas statistiquement significatives, ce résultat doit être interprété avec précaution car basé sur un bilan intermédiaire. L'analyse de l'ensemble de la cohorte TRACY, ainsi que des études conjointe internationales, permettront d'apporter des conclusions consolidées.


Perspectives


Aujourd'hui, sur la cohorte TRACY, l'effort est porté sur la suite du recueil des données individuelles (dont les données autres que l'exposition aux rayonnements ionisants, déjà disponibles pour environ 60 % de la cohorte) et sur la construction de nouvelles matrices emplois-expositions (quatre sont déjà disponibles). La collaboration étroite entre épidémiologistes, dosimétristes et statisticiens de l'IRSN permet de calculer les doses aux organes des travailleurs, prenant en compte les incertitudes associées à l'estimation des doses. De plus, cette cohorte sera élargie avec l'inclusion de nouvelles entreprises du cycle du combustible et son suivi sera étendu. Ces travaux, une fois achevés, permettront des analyses de risque sur l'ensemble du périmètre de la cohorte et fera de TRACY une des cohortes les plus informatives au niveau international.

Au niveau international, l'intérêt pour les études portant sur la contamination interne par l'uranium est important, les connaissances actuelles n'étant que très parcellaires. Des collaborations internationales ont été mises en place lors de projets de recherche coordonnés par l'IRSN dont récemment le projet CURE. Ce projet visait à proposer un protocole pour une approche multidisciplinaire (épidémiologie, dosimétrie, biologie) dans le but d'améliorer la compréhension des effets biologiques de l'uranium et la quantification d'éventuels effets sanitaires associés par une approche d'épidémiologie moléculaire (Laurent et al., 2016). Suite à ce projet, des échanges réguliers ont été mis en place avec des équipes de recherche à travers le monde.

Une étude internationale de cohortes de travailleurs de l'uranium nommée iPAUW (pour international Pooled Analysis of Uranium Workers) a démarré en 2019 pour une durée de cinq ans sous la coordination de l'Université de Californie à San Francisco (UCSF). L'IRSN est fortement impliqué dans le développement du protocole. Les travailleurs de l'uranium de plusieurs pays seront inclus : France, Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis, Canada, et probablement Russie et Kazakhstan, afin de constituer une cohorte de près de 100 000 travailleurs de l'uranium. Les cohortes incluses couvriront les principales étapes du cycle de l'uranium : traitement du minerai (millers), conversion chimique, enrichissement et fabrication des crayons de combustible. La première étape consistera à étudier les profils de mortalité à chaque étape du cycle, y compris en incluant les cohortes ne disposant pas d'estimations de doses (c'est le cas de la plupart des cohortes de millers). La seconde étape étudiera les associations entre exposition à l'uranium et mortalité, dans les cohortes pour lesquelles des reconstitutions de dose de bonne qualité auront pu être réalisées.

 

Financement : conjoint entre IRSN et Orano, dans le cadre d'un Programme d'Intérêt Commun en Epidémiologie


Information CNIL pour les personnes incluses dans l'étude TRACY


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Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de l'IRSN à l'adresse e-mail : donnees.personnelles@irsn.fr


[1] Cancérogène Mutagène Reprotoxique

[2] Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés


Références


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  • Laurent O, Gomolka M, Haylock R, Atkinson W, Giussani A, Bingham D, Baatout S, Tomasek L, Cardis E, Hall J, Blanchardon E, Ancelet C, Badie C, Bethel G, Bertho J-M, Bouet S, Bull R, Challeton De Vathaire C, Cockerill R, Davesne E, Ebrahimian T, Engels H, Gillies M, Grellier J, Grison S, Gueguen Y, Hornhardt S, Ibanez C, Kabacik S, Kotik L, Kreuzer M, Lebacq AL, Marsh J, Nosske D, O'Hagan J, Pernot Eileen, Puncher M, Rage E, Riddell T, Roy L, Samson E, Souidi , Turner MC, Zhivin S, Laurier D. Concerted Uranium Research in Europe (CURE): toward a research project on uranium related health effects integrating dosimetry, epidemiology and radiobiology. J Radiol Prot  2016; 36(2):319-345.
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Laboratoire IRSN impliqué