Savoir et comprendre

Résumé

Quel rôle demain pour l'IRSN sur le sujet radon ?

12/11/2012

​Source : Magazine Repères n°08, Janvier 2011

L’IRSN a largement contribué à la prise de conscience du risque lié au radon en France, notamment auprès des pouvoirs publics. Deux experts de l’Institut s’expriment sur ce qui fait encore débat.

 

Le risque de cancer du poumon lié au radon est reconnu par les instances internationales. En France, les pouvoirs publics réglementent le domaine. À ce stade, vous semble-t-il important de continuer d’investir dans la recherche ?

Margot Tirmarche : De mon point de vue, oui, bien sûr. Le risque de cancer du poumon est aujourd’hui relativement bien connu. Mais il reste encore des pistes à explorer. Le programme européen Alpha-Risk (qui rassemble les données issues des cohortes [1] de mineurs français, allemands et tchèques) soulève la question d’un risque de leucémie. D’autre part, si l’on considère la répartition des leucémies de l’enfant en France, on trouve une relation positive entre l’incidence par département et l’exposition moyenne au radon. Cette piste de recherche mérite d’être explorée à plus grande échelle, au niveau national et international, en tenant compte de l’ensemble des facteurs de risque de la leucémie infantile.

Alain Rannou : Je pense aussi qu’il faut essayer d’en savoir plus, qui plus est chez les enfants. En revanche, la porte d’entrée des travaux de recherche ne doit pas être le radon, mais la leucémie. Le radon est à étudier comme un facteur de risque, parmi de nombreux autres.

M. T. : C’est vrai, et c’est d’ailleurs le sens des nombreuses collaborations que l’IRSN met en place avec d’autres organismes de recherche. Pour reprendre l’exemple de la leucémie en pédiatrie, nous travaillons avec l’Inserm [2]. Sur le sujet du radon, nous ne pouvons pas travailler seuls, car les risques étudiés sont faibles : il faut donc des cohortes puissantes, de plusieurs dizaines de milliers de personnes suivies sur de longues périodes, pour mettre en évidence ce risque potentiel.

A. R. : C’est tout le problème de ce sujet. Pour obtenir des résultats robustes, il faut mener des études épidémiologiques compliquées, sur des cohortes de plus en plus importantes, et avec toujours plus de facteurs de risque à intégrer. En dehors des études sur les mineurs, qui disposent de données fiables, il est en plus très difficile d’estimer la dose individuelle effectivement reçue.
Tout cela me conduit à penser que, maintenant que la politique est en marche pour gérer le risque, l’IRSN n’a plus à être proactif sur le sujet. Rester en veille me semble suffisant. Nous avons déjà beaucoup œuvré pour améliorer les connaissances et faire naître les prises de conscience. Nous disposons d’une expertise pointue, et reconnue, du sujet. Mais les sujets de travail sont nombreux, et il y a des priorités. Pour moi, approfondir encore les connaissances du risque radon n’en est pas une. D’autres sujets me semblent bien plus préoccupants, comme les expositions médicales ou certaines situations professionnelles.

M. T. : C’est oublier, je trouve, notre mission de service public. On ne peut pas ne pas s’intéresser à ces sujets. Deux publications danoises récentes ont, par exemple, de nouveau soulevé le problème du risque lié à l’exposition au radon chez les enfants, en montrant qu’il existait même à des niveaux de 200-300 Bq/m3. Demain, il y en aura peut-être d’autres. Que répondrons-nous alors aux gens qui nous poseront des questions ? Qu’on a décidé de ne pas y prêter attention ? Je pense qu’il faut rester impliqué. Faire de la veille ne suffit pas. Par contre, je suis d’accord : l’IRSN ne doit pas travailler seul sur ce sujet.

 

​​À retenir​


D’un point de vue scientifique :​

  • il existe encore des incertitudes sur les risques liés au radon ;
  • le risque est lié à l’exposition cumulée dans le temps : il ne disparaît pas au-dessous d’un certain seuil.
     

D’un point de vue gestionnaire : 

  • les données actuelles sur le risque de cancer du poumon suffisent pour agir ;
  • la réglementation doit être simple pour être comprise, et donc appliquée.

 

Quid du risque lié au radon dans l’eau : faut-il s’y intéresser ou non ?

M. T. : C’est effectivement un autre risque sur lequel nous ne disposons pas de beaucoup d’éléments. Il existe des situations où le niveau de radon dans l’eau dépasse plusieurs centaines de becquerels par litre, et les doses d’exposition dépendent alors du temps qui s’est écoulé entre l’arrivée de l’eau et le moment de la consommation (permettant un dégazage du radon).

A. R. : Ce sujet me semble secondaire. À l’échelle collective, le risque est très faible. Et à l’échelle individuelle, là où la personne est exposée à de fortes doses de radon dans l’eau, elle est aussi généralement exposée à d’importantes concentrations dans l’air. Or le radon inhalé est plus grave que le radon ingéré. Au final, la gestion de la qualité de l’air intérieur reste prioritaire. Et on sait que pour réduire la teneur en radon de l’eau du robinet, il suffit de la faire dégazer pendant quelques heures à l’air libre.

 

Un décret sur le radon dans les établissements recevant du public (ERP) en 2002, un second sur les lieux de travail en 2008, et bientôt un décret sur l’habitat : la France légifère sur le radon. En fait-on trop ? Ou pas encore assez ?

A. R. : Face au consensus international, les pouvoirs publics légifèrent. C’est bien, mais attention à ne pas aller trop vite sur un sujet aussi compliqué. On est sur un risque à long terme, qui a, de plus, toujours existé. Il vaut mieux faire “lentement” et bien.

M. T. : Il faut faire, surtout. Et non pas continuer de différer, sur le seul argument que c’est compliqué. Comment agir sur le terrain ? Comment sensibiliser les gens ? Ce sont de vraies questions, mais pas une raison pour ne pas avancer.

 

Le décret sur l’habitat devrait proposer un seuil de 300 Bq/m3 comme objectif à atteindre chez les particuliers. Ce chiffre ne met-il pas en porte-à-faux celui de 400 Bq/m3 retenu jusqu’à présent pour les ERP et les lieux de travail ?

M. T. : À première vue, oui. Mais quand on y regarde de plus près, non. Le risque de cancer du poumon est en effet lié à l’exposition cumulée au radon. Or on passe plus de temps chez soi, qui plus est la nuit, quand les concentrations en radon sont parfois plus fortes. Il est logique que le seuil soit plus bas. D’une manière générale, parler d’un seuil prête selon moi à confusion, car le risque ne s’annule pas en dessous. Il ne fait que diminuer.

A. R. : C’est vrai, mais en même temps, donner plusieurs chiffres amène à compliquer un problème déjà complexe. Pour être pragmatique, la réglementation doit être le plus simple possible. C’est un art ô combien difficile d’arbitrer entre vérités scientifiques et considérations de gestionnaire…

Notes :

1- Groupe homogène d’individus suivi chronologiquement, à partir d’un temps donné, dans le cadre d’une étude épidémiologique.
2- Institut national de la santé et de la recherche médicale. www.inserm.fr

 

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