Savoir et comprendre

Une surveillance pour répondre aux enjeux locaux : le Rhône

07/10/2021

​Contexte général

 
Les radionucléides d’origine naturelle ou artificielle présents dans les eaux sont suivis en continu par le réseau de surveillance de l’IRSN à l’aide d’échantillonneurs qui permettent de prélever l’eau et les matières en suspension présentes dans les fleuves sur lesquels sont implantés des centrales nucléaires, en aval des points de rejets des effluents radioactifs. 
 
 
Fleuve parmi les plus nucléarisés au monde, le Rhône a fait très tôt l’objet d’une surveillance, en particulier du fait de l’implantation du centre de retraitement du combustible irradié de Marcoule. De plus, les flux particulaires sont particulièrement suivis car le Rhône est l’un des principaux pourvoyeurs de matières en suspension à la Méditerranée : en moyenne, 95% des flux solides apportés à la Méditerranée par les bassins versants méditerranéens français sont issus du Rhône. Une bonne évaluation des flux du Rhône est donc primordiale en cas d’accidents, notamment en cas de retombées atmosphériques à grande échelle. A partir des années 1990, la baisse importante des rejets d’effluents radioactifs a contraint l’IRSN à se doter d’une installation capable de suivre l’évolution à la baisse des activités des radionucléides dans le Rhône. C’est en partenariat avec l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée et Corse que la Station Observatoire du Rhône à Arles (station SORA) a ainsi été inaugurée en 2002. Située à l’aval de toutes les installations rejetant des radionucléides artificiels et à l’aval du dernier affluent du Rhône, cette localisation de la station permet d’acquérir des données sur les concentrations des principales substances présentes dans le fleuve, juste avant son débouché en Mer Méditerranée. 
 
 

Fonctionnement

 
À Arles, le tritium présent dans le fleuve est estimé à environ 300 TBq/an
 
La station SORA est une installation qui permet de prélever des échantillons d’eau et de matières en suspension[1] représentatifs des eaux en transit dans le fleuve. 
 
 
Pour ce faire, l’eau du Rhône est pompée en continu à partir d’un bras de prélèvement mobile qui permet de prélever à 50 cm sous la surface de l’eau, quel que soit le débit du Rhône. Une fois dans la station, l’eau est dirigée vers un poste de prélèvement qui permet de constituer un échantillon mensuel à partir du cumul d’échantillons unitaires d’environ 12 litres réalisés toutes les heures. Chaque heure, l’eau prélevée dans le Rhône passe ainsi au travers d’un système de pièges à particules qui retient les matières en suspension dont la taille est comprise entre 0,45 µm et 2 mm. L’eau filtrée est ensuite dirigée vers un évaporateur sous-vide de grande capacité qui permet de concentrer les substances dissoutes[2] sans les dégrader en diminuant considérablement le volume d’eau prélevé au cours du mois. Ce sont ainsi environ 8000 litres qui sont prélevés, filtrés et évaporés chaque mois pour constituer un échantillon de matières en suspension et un échantillon de substances dissoutes.
 
 
Lorsque le fleuve passe en régime de crue, des échantillons supplémentaires sont collectés pour analyser les radionucléides présents sur la phase particulaire uniquement. En effet, le suivi des crues du Rhône est un paramètre important à réaliser car c’est à l’occasion de ce type d’évènement d’une durée de quelques jours (de 2 à 10% du temps de l’année) que l’essentiel du flux particulaire (80-90%) transite vers la Méditerranée. 
 
 
Ainsi, lorsque le niveau du Rhône atteint une cote définie, la station SORA change automatiquement de programme et bascule le prélèvement des échantillons sur une ligne spécifique dont le fonctionnement est assez proche du fonctionnement de routine : chaque heure, un échantillon d’environ 5 litres est réalisé et l’eau est filtrée au travers d’une cartouche de 0,45 µm de porosité qui retient les matières en suspension. Au bout de 24 heures (ou moins si le filtre est colmaté du fait de la présence de particules fines en trop grande quantité), l’eau du fleuve est dirigée vers une seconde cartouche et ainsi de suite jusqu’à la 5ème et dernière cartouche. L’eau filtrée n’est en revanche plus évaporée depuis que les premiers résultats avaient permis de démontrer que les activités des radionucléides présents dans la phase dissoute étaient identiques à celles acquises hors période de crue. Si la crue dure plus de 5 jours, le technicien d’exploitation se rend sur place pour récupérer les cartouches colmatées et remettre de nouvelles cartouches sur la ligne de prélèvement.
 
 
Un troisième poste dédié aux prélèvements d’eau brute pour le suivi des matières en suspension, des nutriments, des nitrates et des phosphates est piloté par l’Institut Méditerranéen d’Océanologie qui est partenaire scientifique de l’IRSN et de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée et Corse à la station SORA. Les données de concentrations des matières en suspension sont mises à disposition de l’IRSN pour calculer des flux particulaires de contaminants radioactifs (un flux étant la quantité de radionucléides associés aux matières en suspension qui transitent en un temps donné. On peut ainsi définir un flux journalier, un flux annuel ou un flux en période de crue).
 
 
Enfin, un dernier dispositif permet de piéger les particules par simple phénomène de décantation pour permettre l’analyse de matières en suspension qui ne peuvent être piégées dans des cartouches filtrantes (celles-ci étant ensuite calcinées pour ne garder que l’échantillon de matières en suspension). 
 
 
La station SORA est pilotable à distance, ce qui permet d’adapter si besoin les paramètres de prélèvements aux événements climatiques (suivre une crue plus longtemps qu’initialement prévu, suivre une période d’étiage, etc.) ou anthropiques (ex : suivre les effets d’une vidange de barrage sur le Rhône aval, déclencher un prélèvement en cas d’indicent sur une centrale nucléaire, etc.).
 

Bilan de la surveillance effectuée depuis 15 ans à la station SORA

 
L’exploitation de la station SORA contribue à la surveillance régulière de l’IRSN en permettant de :
 
  • Connaître les niveaux actuels de radioactivité du fleuve en phase dissoute et particulaire (données transmises au RNM) pour disposer de données de référence en cas d’accident affectant le bassin-versant du Rhône (rejets directs depuis une installation ou retombées atmosphériques),
  • Constituer des chroniques permettant de suivre l’évolution temporelle des niveaux de radioactivité dans le Rhône et montrer comment la modification des activités (ou des procédés) se traduit dans le fleuve,
  • ​Déceler une élévation de l’activité des radionucléides et pouvoir en expliquer l’origine.
 
Par ailleurs, la station SORA permet de :
 
  • Vérifier la compatibilité entre les flux de radionucléides d’origine artificielle déclarés par les exploitants et les flux mesurés à la station ; et, le cas échéant, expliquer les écarts,
  • Estimer les flux de radionucléides d’origine artificielle hérités des retombées atmosphériques anciennes et remobilisés à l’échelle du bassin versant rhodanien.
 
Depuis plus de 15 ans, la station SORA permet de déterminer les activités massiques et volumiques des principaux radionucléides présents dans le Rhône (émetteurs gamma, strontium 90, émetteurs alpha, tritium). Les chroniques constituées au fil des ans montrent l’évolution des niveaux d’activité dans le fleuve, en baisse faible mais continue depuis plusieurs années. 
 
Outre les niveaux d’activités mesurés à l’aide de ce dispositif, il est possible de déterminer les flux annuels totaux pour chaque radionucléide mesuré. Ces flux sortant du système fluvial rhodanien peuvent ainsi être comparés aux rejets effectués par les différents exploitants implantés sur les rives du fleuve. Les résultats obtenus, bien que très similaires d’année en année, permettent de mettre en avant des situations contrastées selon l’origine des radionucléides : 
 
  • Bilans des radionucléides issus uniquement des rejets actuels de l’industrie nucléaire. 
Pour cette famille de radionucléides, le flux mesuré à Arles est soit en équilibre, soit en léger déficit. Ceci suggère, pour les radionucléides transitant en phase dissoute, un export rapide depuis les points de rejets vers la Méditerranée. Pour les radionucléides transitant en phase particulaire, on peut envisager un léger stockage dans le fleuve lié à la sédimentation d’une partie des particules sur lesquelles les radionucléides sont fixés. Les bilans de masses du 60Co, quasi-systématiquement détecté, permettent de le démontrer. 
 
  • Bilans des radionucléides issus à la fois des rejets actuels de l’industrie nucléaire et hérités des retombées atmosphériques globales (tirs d’essais d’armes nucléaires et accident de Tchernobyl). 
Les flux mesurés à Arles sont en excès par rapport aux rejets des exploitants, permettant ainsi d’estimer l’apport de radionucléides depuis les sols du bassin versant.
 
  • ​Cas du tritium (triple origine : naturelle, rejets actuels et hérités des retombées globales). 
Le flux annuel de tritium libre, largement prédominant dans les eaux du Rhône, présente un bilan annuel équilibré entre les apports naturels, les apports hérités et les rejets déclarés par les exploitants et le flux mesuré à la station SORA. Le comportement de ce radionucléide, intimement et principalement lié au cycle de l’eau, explique son export rapide en Méditerranée.
 
Les données acquises à SORA sont disponibles sur le site du Réseau National de Mesures de la radioactivité de l'environnement. A ce jour, les résultats acquis n’ont jamais mis en évidence d’élévation anormale de radioactivité dans les eaux du Rhône. 
 

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​​​​[1] Matières en suspension : particules solides non solubles présentes dans l’eau. Quand on les prélève dans l’objectif de déterminer la présence et la quantité de substance chimique ou radioactive, on parle plutôt de fraction particulaire.

​​​​[2]​​ Substances dissoutes : on utilise aussi le terme de fraction dissoute et qui comprend toutes les substances solubles dans l’eau et les particules inférieures à 0,45 µm.

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