Savoir et comprendre

Arrêt de tranche : Prendre le temps de la réflexion

29/07/2014

IRSN recommande qu’EDF prenne davantage de temps pour s’améliorer

 


​Ne pas tout changer simultanément, utiliser la période entre deux arrêts de tranche pour mieux les préparer, renforcer le retour d’expérience... 

« Dans la lettre adressée à EDF le 18 avril 2014 sur le management de la sûreté et de la radioprotection dans les réacteurs à eau sous pression pendant les arrêts de tranche, nous avons repris les recommandations de l’IRSN. Nous y avons ajouté une demande envers EDF sur la maîtrise de la programmation des arrêts », indique Anaïs Nouailles-Mayeur, spécialiste des facteurs organisationnels et humains à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
 

L’Institut avait présenté un rapport sur le sujet devant le groupe permanent pour les réacteurs (GPR), réuni par l’ASN le 13 juin 2013. Il s’agissait, entre autres, d’examiner de nouvelles dispositions mises en œuvre par EDF suite à une première instruction en 2008, consacrée au management de la sûreté des réacteurs à eau sous pression dans un contexte de compétitivité.
 

« L’exploitant avait alors demandé à chaque direction de centrale de mettre en place un centre opérationnel de pilotage en continu des arrêts de tranche (Copat), composé d’une douzaine de postes dont la responsabilité est assurée principalement par les coordonnateurs du projet », explique Nicolas Dechy, spécialiste des facteurs organisationnels et humains à l’IRSN.
 

« Cette solution ne faisait pas, à proprement parler, partie de nos préconisations, mais cela pouvait répondre sur le principe à trois d’entre elles. Nous avions recommandé que les échéanciers soient allégés, notamment la nuit, et qu’il y ait moins de déséquilibre entre le niveau d’information des pilotes de l’arrêt et celui des équipes chargées de l’exploitation sur le terrain. Nous avions aussi relevé des effectifs aux limites dans les équipes d’exploitation, au regard de certaines situations pour lesquelles il convient de disposer de réserve en termes de disponibilité de personnel – la survenue d’un incendie, par exemple. »

 

Un bilan en demi-teinte
 

Le Copat devait aider à résoudre les difficultés rencontrées lors des arrêts de tranche en améliorant le partage des informations. Lorsque cette solution a été proposée par EDF, l’IRSN l’avait jugée positive, mais avait émis des réserves. Aujourd’hui, le bilan est en demi-teinte.
 

« Les difficultés d’EDF à maîtriser ses arrêts de tranche se sont accentuées », constate Nicolas Dechy. « Les conditions de réussite du Copat ne sont pas réunies. D’une part, le volume de maintenance a augmenté sur la période 2006-2012. D’autre part, il y a eu des départs massifs de salariés à la retraite et une montée en compétences trop lente de leurs remplaçants.
 

Faute de moyens humains, le centre de pilotage ne peut pas être mis en place dans toutes les centrales. Il n’est opérationnel que pendant certaines phases de réalisation des arrêts. Les retards se cumulent. Ils laissent de moins en moins de temps aux équipes pour préparer les arrêts suivants et faire le retour d’expérience. C’est un cercle vicieux. Cela ne permet pas à l’exploitant de maintenir ses performances à un haut niveau ou de les améliorer. »


Un bon point, toutefois : les services centraux d’EDF ont progressé dans l’écoute des difficultés des équipes locales. À titre d’exemple, la direction du parc nucléaire a constitué une équipe d’appui et de conseil, composée de 20 personnes expérimentées dans les arrêts de tranche. Elle vient, si besoin, en renfort pour épauler les sites dans le diagnostic de leurs difficultés et dans la mise en œuvre de bonnes pratiques.
 

« Mais il reste des progrès à faire, comme ralentir le rythme des évolutions organisationnelles et technologiques que s’impose EDF – mise en place du Copat, installation de nouveaux systèmes d’information, harmonisation des procédures entre les sites, etc. », indique Nicolas Dechy. « Cela déstabilise les organisations locales, d’autant plus que les nouveaux embauchés n’ont pas assez de temps pour s’approprier les compétences inhérentes à leurs métiers. »

 

«jus avons recommandé qu’EDF renforce ses capacités d’arbitrage, notamment pour mieux stabiliser le programme des chantiers de maintenance. L’objectif est de réguler la charge des travaux à réaliser et de laisser un temps suffisant à la préparation des prochains arrêts. Du point de vue de la sûreté, aux côtés des risques techniques, il convient de prendre en compte les risques organisationnels. »
 

Les experts ont aussi recommandé de renforcer la coordination par la présence sur le terrain des équipes en charge du pilotage de l’arrêt. Ceci afin d’assurer une meilleure qualité de la maîtrise d’ouvrage d’interventions de maintenance, majoritairement confiées à des sous-traitants. L’atteinte de meilleures performances suppose un renforcement des capacités d’anticipation et de traitement réactif des aléas.

 

Maîtriser les volumes de travaux
 

Quand l’Institut a présenté son rapport, EDF s’est engagé à mettre en œuvre des actions correctives dès la campagne d’arrêts de tranche 2014 et à définir des actions de progrès pour les campagnes suivantes. Parmi ces résolutions : la maîtrise des volumes de travaux de maintenance à réaliser, la stabilisation du programme des opérations et la préservation des ressources nécessaires à la préparation du chantier (temps et disponibilité des préparateurs).
 

L’exploitant s’est engagé à effectuer des études, par exemple sur le pilotage des arrêts. « L’ASN va suivre la mise en œuvre de ces résolutions, à travers son contrôle au quotidien, en saisissant directement l’IRSN ou en convoquant ultérieurement un nouveau GPR », conclut Anaïs Nouailles-Mayeur.
 

« L’Autorité suivra les réponses d’EDF à ses demandes concernant la programmation des arrêts, les retards dans la montée en compétences, la stabilisation des modes d’organisation pour piloter les arrêts, les arbitrages sur la sûreté, la surveillance des interventions sous-traitées, ainsi que la maîtrise du cumul et de la simultanéité des changements organisationnels. »


 

​Une programmation d’arrêt de tranche pluriannuelle

Un arrêt de tranche est planifié dix ans auparavant. Sa préparation peut être initiée jusqu’à trois à cinq ans avant sa réalisation. L’équipe du projet d’arrêt de tranche (jusqu’à 50 personnes détachées des services de maintenance et d’exploitation) est définie un an à l’avance. Les activités à effectuer (plusieurs milliers) sont préparées pendant quatre à huit mois. Le chantier sera réalisé par des centaines de sous-traitants en lien avec les équipes d’exploitation et de maintenance.