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Bulle Aktis N° 15 Application de la Recherche Bulle Aktis N° 15 Avancées de la Recherche Bulle Aktis N° 15 Formation par la Recherche Bulle Aktis N° 15



Dans ce numéro, Focus sur
Métabolomique : de nouvelles perspectives en radiotoxicologie des faibles doses


Dispositif de récupération des urines dans l'élevage de rats.

Les interrogations du public à l'égard des effets sur l'homme d'expositions chroniques aux faibles doses de rayonnements ionisants sont récurrentes. Ce questionnement devient encore plus pressant lorsque des sources possibles de ces expositions se précisent : par exemple, la présence d'anciennes mines, l'exploitation d'installations nucléaires ou le stockage de déchets radioactifs, les rejets accidentels des installations du cycle du combustible ou l'éventuel retour sur des territoires contaminés suite à un accident de réacteur comme Fukushima. En cohérence avec les orientations de l'agenda stratégique de recherche européen de Melodi(1), l'IRSN mène un important programme de recherche à forte composante expérimentale, pour répondre par l'acquisition de données scientifiques. Il a déjà montré que l'ingestion chronique de césium 137 ou d'uranium entraîne des modifications métaboliques subtiles et multiples, généralement de faible amplitude, dont il reste à étudier les conséquences biologiques globales. Afin de préciser ces modifications métaboliques, une technique récente d'analyse à large spectre, la métabolomiqueGLO, a été utilisée.


 
 
Les outils « omiques » accélèrent la recherche en radioprotection
Matthieu Schuler, Directeur de la stratégie, du développement et des partenariats


Mieux comprendre les effets biologiques d'expositions chroniques aux faibles doses de rayonnements ionisants pour mieux évaluer l'éventuel risque sanitaire ; développer des techniques de thérapie régénérative après une irradiation : ces deux objectifs majeurs de recherche de l'IRSN visent à améliorer le système de radioprotection en repoussant les limites de la connaissance scientifique.

Relever ces défis nécessite de nouvelles approches stratégiques. Parmi celles qui paraissent prometteuses, l'IRSN a choisi de recourir aux méthodes « omiques », techniques à large spectre récentes en biologie. Comme l'illustrent deux articles de ce numéro, les « omiques » permettent d'identifier l'ensemble des signaux biologiques caractérisant la réponse d'un organisme à une sollicitation. Les vastes quantités de données ainsi recueillies sont à travailler pour identifier des corrélations, confronter des hypothèses. La métabolomique ou la protéomique fournissent d'ores et déjà des pistes intéressantes.

Pour mettre en oeuvre ces techniques au carrefour de la biologie, des mathématiques et des statistiques, l'IRSN s'appuie sur un laboratoire et une plateforme universitaire, qui bénéficient d'ores et déjà d'une solide expérience acquise à travers d'autres applications. Les premiers résultats obtenus illustrent combien la pluridisciplinarité est nécessaire pour progresser dans la compréhension des mécanismes à l'oeuvre dans toute la complexité des régulations du vivant.

Matthieu Schuler,
Directeur de la stratégie,
du développement et des partenariats
Radioécologie
Les diatomées, un bioindicateur aquatique de la pollution autour des mines d'uranium

Autour des anciennes mines d'uranium, l'IRSN a exploré la possibilité d'utiliser des microalgues, les diatomées, comme indicateur biologique de la qualité des eaux. En effet, suivre la qualité des milieux et quantifier l'impact éventuel des substances radioactives et chimiques dans le contexte de « l'après-mines » fait partie des missions de l'IRSN.

En France, l'industrie minière de l'uranium a concerné jusqu'en 2001 plus de 210 sites, aujourd'hui réaménagés, sécurisés, et surveillés. En effet, les eaux de pluie et de ruissellement, ainsi que les eaux transitant dans la mine, entrainent une partie des substances présentes dans les résidus miniers ou utilisées pour traiter ces eaux, vers les écosystèmes aquatiques récepteurs. L'IRSN a étudié le potentiel de microalgues benthiques (fond de cours d'eau), principalement des diatoméesGLO, pour rendre compte de l'état écologique des hydrosystèmes autour de ces anciennes mines(1), en complément des mesures réalisées pour la surveillance de l'environnement.

L'espèce Cymbella aspera,
inventoriée dans le cadre de ce travail,
grossie 1000 fois.
Préparation des plaques de verre qui ont été immergées dans la rivière pendant plusieurs semaines. Elles ont été ensuite grattées et rincées pour collecter toutes les diatomées.

Préparation des plaques de verre qui ont été immergées dans la rivière pendant plusieurs semaines. Elles ont été ensuite grattées et rincées pour collecter toutes les diatomées.


[ Petit cours d'eau du Limousin ]

Durant son post-doctorat, Olivier Herlory a mené une étude de terrain pendant sept mois sur un cours d'eau du Limousin : le Ritord, situé sous l'influence d'anciennes mines d'uranium. L'analyse de la qualité physico-chimique de ses eaux montre qu'il n'y a pas de pollution organique mais un marquage caractéristique par des éléments issus des eaux de drainage des mines et du traitement chimique(2) qui leur est appliqué. Le suivi en parallèle de la communauté de diatomées a permis d'examiner si le marquage des eaux en lien avec l'impact minier était également répercuté sur les diatomées, afin d'examiner leur potentiel de bioindication de la qualité des milieux.


[ Communautés de diatomées ]

Le chercheur a ainsi comparé, en amont et en aval des rejets, les communautés des 166 espèces de diatomées qu'il a identifiées dans le Ritord. Conformément aux résultats connus pour d'autres types de mines, les rejets des mines d'uranium favorisent la dominance de diatomées acidophiles et tolérantes aux métaux, alors que d'autres espèces plus sensibles deviennent nettement moins abondantes, voire absentes. En revanche, il n'a noté aucun impact sur la biomasse ou l'activité photosynthétique des microalgues.

En menant une analyse statistique de l'abondance et de la diversité des espèces de diatomées en fonction de 22 variables physico-chimiques, il a ensuite corrélé les changements de communauté aux éléments caractéristiques des effluents miniers et de leur traitement, en particulier l'uranium et le baryum.

Ces premiers résultats, très encourageants, montrent la pertinence des diatomées en tant qu'indicateur biologique de la qualité des eaux en aval des sites uranifères. La même étude doit maintenant être réalisée sur d'autres sites et cours d'eau afin de les confirmer, et de pouvoir utiliser les diatomées comme bioindicateurs de la qualité environnementale près des mines.

Collaboration Unité de recherche réseaux, épuration et qualité des eaux, Irstea, Cestas ; Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale, Université Aix-Marseille.

Contacts :
Jean-Marc Bonzom
(Laboratoire d'écotoxicologie
des radionucléides - Leco)
Rodolphe Gilbin
(Laboratoire de biogéochimie, biodisponibilité
et transfert des radionucléides - L2BT)
(1) Les diatomées sont déjà couramment utilisées comme indicateur biologique de la qualité des eaux vis-à-vis d'autres types de polluants.
(2) Les eaux de drainage des sites uranifères sont traitées au chlorure de baryum et/ou au sulfate d'alumine avant rejet dans le milieu naturel.
 
CELLULES ENDOTHÉLIALES

Elles constituent l'endothélium vasculaire, c'est-à-dire la paroi interne des vaisseaux sanguins, en contact avec le sang.

CONTAMINATION INTERNE

On parle de contamination interne lorsque des radioéléments entrent dans un corps vivant, que ce soit par inhalation (poussières, gaz, nanoparticules...), ingestion, ou lorsqu'une plaie cutanée est souillée par des produits radioactifs.

DIATOMÉES

Algues unicellulaires (100 000 espèces connues à ce jour) d'eaux salées et douces qui peuvent vivre isolées ou en colonies.
De formes très variées, elles mesurent de quelques micromètres à un millimètre de long. Elles jouent un rôle capital dans le bon fonctionnement de plusieurs écosystèmes.


FAIBLES DOSES

On parle de faible dose de rayonnements ionisants lorsque la dose reçue par un organisme est inférieure à 100 mSv.
Cette limite a été définie par les études épidémiologiques menées chez les survivants des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, études qui ont corrélé avec certitude la dose reçue au risque de développer un cancer. En-dessous de 100 mSv, les recherches n'ont pas encore permis de conclure sur l'existence ou la nature du lien entre la dose de rayonnements et le risque de pathologie.


KRIGEAGE

Mot traduit de l'anglais « kriging », issu du nom de l'ingénieur minier sud-africain Daniel Gerhardus Krige qui a inventé la méthode. Le krigeage se base sur le calcul, l'interprétation et la modélisation du variogramme, qui est une appréciation de la variance en fonction de la distance entre données (ici, d'origine numérique).


MÉTABOLOME

Ensemble des métabolites, molécules organiques de petite taille
(masse < 1000g.mol-1) produites par des voies métaboliques ou cascades enzymatiques (glucose, acides aminées acides gras...) contenus dans un organisme.
 

MÉTABOLOMIQUE

Analyse globale de l'ensemble des métabolites mesurables dans un milieu biologique.
 

PCR QUANTITATIVE EN TEMPS RÉEL

Technique qui utilise une amplification cyclique d'un fragment d'ADN, basée sur une réaction enzymologique, où l'amplification est mesurée tout au long de la réaction, donc en temps réel.
 

PROTÉOMIQUE

Étude de l'ensemble des protéines d'un organisme, d'un fluide biologique, d'un organe, d'une cellule ou même d'un compartiment cellulaire.
 

ROBUSTESSE D'UN LOGICIEL OU D'UN OUTIL

Capacité à fonctionner correctement au-delà de son domaine de conception.
 

TRANSCRIPTOMIQUE

Étude quantitative de l'ensemble des ARN messagers produits lors du processus de transcription d'un génome.

 
PUBLICATIONS

Les accidents de fusion de coeur des réacteurs nucléaires de puissance.
La recherche sur les accidents de fusion

L'IRSN vient de publier un ouvrage rassemblant les connaissances dans le domaine des accidents de fusion de coeur de réacteurs nucléaires de puissance, acquises par l'Institut notamment grâce à la réalisation de programmes expérimentaux importants ou la coordination du réseau Sarnet. Le livre tire également les enseignements des accidents graves survenus dans le monde pour la prévention et la réduction des conséquences de tels accidents, sans aborder ceux encore trop partiels de l'accident de Fukushima. Coordonné par Didier Jacquemain, le livre a été rédigé par des experts de l'IRSN, du CEA et d'EDF.

+++ Télécharger le livre Les accidents de fusion du coeur des réacteurs nucléaires de puissance : état de connaissances.


Mémoires de HDR

Les accidents de fusion de coeur des réacteurs nucléaires de puissance.   Les accidents de fusion de coeur des réacteurs nucléaires de puissance.

Deux nouveaux ouvrages sont venus enrichir la collection IRSN des mémoires d'habilitation à diriger des recherches : celui de Yann Monerie, intitulé Micromécanique du combustible : homogénéisation, fissuration, milieux granulaires, et celui de Denis Maro, intitulé Transfert des radionucléides sous forme de gaz et d'aérosols dans les environnements complexes : études expérimentales de dispersion atmosphérique et d'échanges aux interfaces.

+++ Télécharger les mémoires.


COLLABORATIONS

Roadmap Nugenia parue en octobre 2013
Roadmap Nugenia parue en octobre 2013

Nugenia, la plateforme européenne de recherche sur les réacteurs nucléaires de 2ème et 3ème génération, vient de publier sa « roadmap » : ce document de référence définit, à partir de l'agenda stratégique, l'échelonnement des priorités de recherche et développement. Élaborée avec une forte participation de l'IRSN, elle constitue la référence pour le premier appel à projets du volet d'Horizon 2020 Euratom.

+++ Téléchargeable sur www.nugenia.org


Réunions de lancement pour deux projets ANR au titre des investissements d'avenir

Sélectionné avec ses partenaires dans le cadre de l'appel à projets piloté par l'ANR, « Recherches en sûreté nucléaire et radioprotection », l'IRSN a organisé le lancement de deux projets dont il assure le pilotage : le 7 novembre 2013, il a lancé le projet Mithygène (Amélioration de la connaissance du risque hydrogène et de sa gestion en situation d'accident grave), et le 17 janvier 2014, le projet Amorad (Amélioration des modèles de prévision de la dispersion et d'évaluation de l'impact des radionucléides au sein de l'environnement).

+++ En savoir plus.


SOUTENANCES

HDR

Pascal Bailly-du-Bois a soutenu le 11 octobre 2013 son habilitation à diriger des recherches sur le thème suivant : Dispersion des radionucléides dans les mers du nord-ouest de l'Europe : observations et modélisation.

+++ En savoir plus.


Thèses

20 doctorants de l'IRSN ont soutenu leur thèse depuis l'été.

En sûreté :
Nawfal Blal (12/09/2013), Clément Chevalier (18/09/2013), Xuan Dung Vu (27/09/2013), Loïc Coquelin (04/10/2013), Marina Lasserre (17/12/2013), Adrien Cartonnet (17/12/2013), Romain Vandeputte (18/12/2013).

En radioprotection de l'homme :
Julien Taforeau (39/09/2013), Morgane Dos Santos (02/10/2013), Adrien Cheminet (10/10/2013), Ingrid Nosel (21/11/2013), Clémentine Poisson (20/12/2013).

En radioprotection de l'environnement :
Céline Roux (18/10/2013), Alexandre Devos (05/11/2013), Guillaume Bucher (22/11/2013), Benoît Goussen (27/11/2013), Névénick Calec (02/12/2013), Camille Chautard (04/12/2013), Guillaume Depuydt (09/12/2013), Nicolas Theodorakopoulos (20/12/2013).

+++ En savoir plus sur les soutenances de thèses récentes.

Radioécologie
Modèles de courants et de dispersion en Manche

L'une des missions de l'IRSN est d'évaluer les conséquences de rejets contrôlés de substances radioactives dans l'environnement, notamment en mer. Pour cela, les modèles de dispersion des radionucléides doivent avoir une résolution spatio-temporelle adaptée. Les recherches de l'IRSN ont pour objectif d'améliorer ces modèles et d'en assurer la validation.

Pour reconstituer et prévoir les concentrations de substances radioactives dans tous les compartiments de l'écosystème marin (eaux, sédiments et espèces vivantes), l'IRSN dispose d'outils associant des modèles de courants et de dispersion des radionucléides à des modèles de transfert. Ils fournissent des estimations précises qui permettent de connaître l'évolution en mer de rejets chroniques ou accidentels venant d'usines ou de navires, dans les heures, les jours ou les mois qui suivent.


[ Résolutions adaptées ]

Développés initialement par l'Ifremer, ces modèles ont été modifiés par l'Institut pour ses propres besoins. Ainsi, celui réalisé pour la Manche a été décliné avec des résolutions de 50 à 1500 mètres. Les modèles adaptés ont ensuite été validés à l'aide de prélèvements effectués au large de l'émissaire de l'usine Areva-NC de La Hague. Les rejets de l'usine contiennent en effet du tritium, un radionucléide dont l'IRSN maitrise la mesure en routine. Associé à la molécule d'eau sous la forme HTO, il a servi de traceur des courants et de la dispersion.


[ Fréquence de 30 s ]

Près de 15 000 prélèvements ont été effectués en surface dans le panache des rejets de l'usine lors de huit campagnes en mer, avec une haute fréquence d'échantillonnage (de 30 secondes) et un quadrillage d'une centaine de mètres. Confrontée à ces données, la simulation des rejets par les modèles a montré une bonne cohérence avec les mesures de la dispersion des radionucléides au-delà de deux kilomètres de l'émissaire.

Le laboratoire a rassemblé ces mesures de tritium dans une base de données, qui a été mise à la disposition de la communauté scientifique. Elle permet de valider des modèles de dispersion pour une mer dite mégatidale, c'est-à-dire peu profonde avec de forts courants de marées.



En haut, représentation des mesures de concentration du tritium (en Bq/L) selon le chemin suivi par le bateau (image carrée encadrée) à la perpendiculaire de l'axe de propagation du panache. En ordonnées : la profondeur ; en abscisse : la distance à l'axe de propagation. Chaque coupe correspond à un ensemble d'échantillons prélevés à une heure donnée. En bas, le résultat des simulations correspondantes avec un modèle à 50 m de résolution, et un modèle à 10 m de résolution. L'échelle verticale = 3 X l'échelle horizontale En haut, représentation des mesures de concentration du tritium (en Bq/L) selon le chemin suivi par le bateau (image carrée encadrée) à la perpendiculaire de l'axe de propagation du panache. En ordonnées : la profondeur ; en abscisse : la distance à l'axe de propagation. Chaque coupe correspond à un ensemble d'échantillons prélevés à une heure donnée. En bas, le résultat des simulations correspondantes avec un modèle à 50 m de résolution, et un modèle à 10 m de résolution. L'échelle verticale = 3 X l'échelle horizontale

En haut, représentation des mesures de concentration du tritium (en Bq/L) selon le chemin suivi par le bateau (image carrée encadrée) à la perpendiculaire de l'axe de propagation du panache. En ordonnées : la profondeur ; en abscisse : la distance à l'axe de propagation. Chaque coupe correspond à un ensemble d'échantillons prélevés à une heure donnée. En bas, le résultat des simulations correspondantes avec un modèle à 50 m de résolution, et un modèle à 10 m de résolution. L'échelle verticale = 3 X l'échelle horizontale


[ Mers mégatidales ]

Après cette première amélioration du modèle en deux dimensions (les concentrations sont moyennées sur la verticale), les travaux se sont poursuivis pour prendre en compte les gradients en profondeur. Un nouveau système a permis d'effectuer des prélèvements à haute fréquence (également toutes les 30 s) simultanément à dix profondeurs différentes. La description du modèle peut être affinée en tenant compte de la dispersion verticale du panache, en particulier des turbulences locales mesurées près du fond. Une fois validés par les mesures de tritium, ces modèles peuvent être appliqués à l'ensemble de la Manche et dans les autres mers mégatidales de faible profondeur (côtes du golfe de Gascogne, mer du Nord). Ils contribuent à améliorer la capacité d'évaluation et d'analyse de l'IRSN utile pour gérer des situations de crise qui auraient une emprise sur l'espace marin.

Collaboration Ifremer/Dyneco/Physed.

Contact :
Pascal Bailly du Bois
(Laboratoire de radioécologie de Cherbourg-Octeville - LRC)
Irradiation - Modélisation
Modéliser l'expression des gènes et des protéines après irradiation thérapeutique

Une radiothérapie dans la zone abdomino-pelvienne peut générer une altération durable des tissus sains du tractus digestif présents dans le champ de l'irradiation. Mettre au point un traitement de ces effets secondaires indésirables nécessite de comprendre les processus qui président à cette altération. Comme en radiotoxicologie (voir Focus), l'IRSN utilise des techniques « omiques » pour décrypter les réseaux moléculaires mis en jeu.

Liste des gènes qui ont évolué à une période donnée après l’irradiation à 2 Grays des cellules endothéliales (en abscisse le nombre de jours). Les couleurs représentent leur degré de surexpression (dégradé de rouge) ou de sous-expression (dégradé de vert).

Liste des gènes qui ont évolué à une période donnée après l'irradiation à 2 Grays des cellules endothéliales (en abscisse le nombre de jours). Les couleurs représentent leur degré de sur-expression (dégradé de rouge) ou de sous-expression (dégradé de vert).


Plusieurs études, notamment de l'IRSN, ont montré que les cellules endothélialesGLO jouent un rôle central dans la réponse des tissus après une radiothérapie. Il est probable que la réaction à l'irradiation est le résultat d'un réseau d'interactions entre différents acteurs(1) moléculaires (gènes et protéines) de l'endothélium. Pour les identifier, l'IRSN a choisi d'utiliser la protéomiqueGLO et la transcriptomiqueGLO, techniques globales qui permettent de quantifier respectivement un grand nombre de protéines et de gènes dans un échantillon. Associées à une modélisation mathématique, elles conduisent à identifier les gènes et les protéines dont les quantités ont été modifiées après l'irradiation. Aujourd'hui, un premier modèle concernant les gènes a été établi par un post-doctorant mathématicien du laboratoire Ibisc en collaboration avec l'IRSN, travail qui lui a valu un « Best presentation award » à la conférence ISMB'2013.


[ 500 gènes mesurés ]

Pour la partie expérimentale, l'IRSN a cultivé trois boites de cellules endothéliales humaines non irradiées, trois boites irradiées à 2 Grays et trois autres à 20 Grays pour chacun des 8 temps d'étude compris entre 12 heures et 21 jours(2) afin d'évaluer la réponse précoce et la réponse tardive à l'irradiation. Dans ces cellules, l'expression de quelque 500 gènes identifiés a ensuite été quantifiée grâce à la PCR quantitative en temps réelGLO. Le post-doctorant a développé un algorithme(3) qui permet de relier pour chaque gène les points de mesure obtenus entre 12h et 21 jours. Le modèle ainsi établi fournit pour chaque gène une courbe d'évolution de son expression après l'irradiation, associée à des intervalles d'incertitude. Une analyse statistique complète l'algorithme pour identifier les périodes où l'expression de ce gène a changé et où, compte tenu des incertitudes, elle peut être attribuée à l'irradiation. Cet algorithme fournit ainsi une liste des gènes sous-exprimés ou sur-exprimés dans la cellule endothéliale après l'irradiation.


[ Nouvelles cibles thérapeutiques ]

Un travail similaire est prévu sur les protéines. En exploitant la littérature scientifique à l'aide de logiciels dédiés de fouille de textes (text mining), l'IRSN pourra établir des liens entre les acteurs moléculaires identifiés. L'objectif est de pouvoir de cette façon décrire le réseau d'interactions entre les gènes et les protéines impliqués dans le processus de réponse à l'irradiation. D'où de nouvelles cibles thérapeutiques possibles pour prévenir ou guérir les lésions générées par la radiothérapie et améliorer la compréhension du lien entre la dose et les effets biologiques.

Collaboration Laboratoire Informatique de biologie intégrative des systèmes complexes (Ibisc) EA 4526, équipe Arobas (Algorithmique, recherche opérationnelle, bioinformatique et apprentissage statistique) de l'Université d'Évry-Val d'Essonne.

Contact :
Olivier Guipaud
(Laboratoire de recherche en radiobiologie et en radiopathologie - L3R)
(1) Certains ont déjà été identifiés, notamment à l'IRSN.
(2) 0,5 jour, 1 j, 2 j, 3 j, 4 j, 7j, 14j, et 21j.
(3) Régression sur les processus gaussiens pour l'analyse des données temporelles discrètes et espacées.
Criticité
Un calcul robuste et plus efficace de l'espace sur-critique

Dans les installations nucléaires et les emballages de transport de combustible nucléaire, les matières fissiles présentent le risque d'amorcer une réaction de fission en chaîne auto-entretenue et non contrôlée. Pour mieux évaluer ce risque, dit de criticité, l'IRSN améliore ses outils de simulation numérique par des recherches, telles que celles réalisées par Alexis Jinaphanh et Clément Chevalier (voir article suivant) durant leurs thèses.

Le coefficient de multiplication effectif des neutrons (ou Keff), qui caractérise l'écart à l'atteinte de l'état critique (criticité), est calculé à l'aide d'un logiciel de simulation numérique tel que le code Monte Carlo Moret développé par l'IRSN.

Pour éviter d'atteindre l'état critique (caractérisé par Keff =1), une des dispositions consiste à garantir que les paramètres pertinents(1) ne peuvent en aucun cas, y compris dans des situations accidentelles, prendre des valeurs qui conduiraient à un Keff supérieur ou égal à 1.


[ Inversion et méta-modèles ]

Pour prévenir ce risque, il est nécessaire de déterminer les valeurs pour lesquelles ces paramètres conduisent à un Keff supérieur à 1. Définir numériquement cet espace « sur-critique » est, au sens mathématique, un problème inverse. Pour le résoudre, une méthode consiste à construire un méta-modèle, c'est-à-dire une surface de réponse donnant de manière approchée la valeur du Keff pour l'ensemble des valeurs possibles des paramètres considérés. Ce méta-modèle se construit sur la base d'un « plan d'expériences » (ensemble de jeux de paramètres pour lesquels le logiciel Moret estime les valeurs du Keff) et à l'aide de techniques d'interpolation(2). Ce plan d'expérience est progressivement amélioré, par ajouts de nouveaux points de calcul, choisis de manière à réduire l'incertitude sur les zones à risque (i.e. : où le Keff dépasse 1).


[ Efficacité et robustesse ]

La thèse de Clément Chevalier a notamment consisté à améliorer l'efficacité de ce type de méthode. Ainsi, au lieu de suggérer l'ajout point par point dans le plan d'expériences, l'algorithme dit SUR (Stepwise Uncertainty Reduction) a été adapté et mis au point afin de pouvoir proposer simultanément plusieurs points de calculs devant minimiser l'incertitude sur la définition de l'espace sur-critique. Ceci permet de paralléliser les calculs et rend la méthode de résolution inverse plus efficace pour répondre aux besoins opérationnels des évaluations de sûreté concernées.

Identification de l’espace sur-critique en fonction de la masse d’U235 dans un cylindre, sous humidité non contrôlée.

Identification de l'espace sur-critique en fonction de la masse d'U235 dans un cylindre, sous humidité non contrôlée.

Cette problématique d'inversion peut dans la pratique être compliquée par des variables non contrôlées influençant la criticité, par exemple les produits hydrogénés utilisés en cas d'incendie. La méthode mise au point prend en compte cette éventualité : les valeurs pénalisantes (valeurs enveloppes au regard du risque de criticité) de ces variables sont identifiées et intégrées dans le méta-modèle, ce qui lui donne un caractère original et « robuste »GLO. Cette méthode est intégrée dans l'interface Prométhée(3), couramment utilisée par les experts de l'IRSN.

Collaboration Consortium ReDice, qui regroupe l'IRSN, EDF, le CEA, Renault, l'Ifpen, l'Inria, les Universités de Berne, Grenoble, Nice, Toulouse, et l'École des Mines de Saint-Étienne.

Contact :
Yann Richet
(Service de neutronique et des risques de criticité - SNC)
(1) L'occurrence d'un tel accident dépend notamment des caractéristiques de la matière fissile (masse, concentration, géométrie) et de la présence de produits hydrogénés qui influencent les réactions de fission.
(2) L'interpolation obtenue ici par la technique du krigeageGLO.
(3) Prométhée est un environnement de calcul distribué, qui utilise des algorithmes pour paramétrer les simulations numériques.
Criticité
Accélération et maîtrise accrue de la convergence des calculs de criticité

L'IRSN développe le logiciel de simulation numérique Moret pour évaluer le risque de criticité. Cet outil simule, en trois dimensions, la propagation de neutrons dans un système donné. Il utilise une approche probabiliste, dite de Monte Carlo, qui consiste à calculer, à partir d'une répartition initiale de neutrons dans le système étudié, la propagation de plusieurs générations successives de neutrons.

Ces générations sont simulées jusqu'à ce que la convergence du coefficient(1) de multiplication effectif des neutrons (ou Keff) – qui permet de caractériser l'écart à l'atteinte de l'état critique – soit considérée comme atteinte.

Si la convergence est insuffisante, la valeur obtenue du Keff peut être sous-estimée, et le risque de criticité sous-évalué. Pour améliorer la fiabilité des valeurs obtenues, A. Jinaphanh a, durant sa thèse, mis au point une nouvelle méthode d'initialisation de ces calculs, ainsi qu'un critère qui permet de définir de manière fiable l'atteinte de la convergence.


[ Pré-calcul déterministe ]

Différentes méthodes, qui ont leurs avantages et leurs limites, existent déjà dans le logiciel Moret pour améliorer la vitesse de convergence. A. Jinaphanh en a mis au point une nouvelle, qui consiste à initialiser le calcul à partir de la résolution (à l'aide du logiciel Dragon(2)) des équations déterministes du problème, appliquées à une modélisation simplifiée du système.

Cette méthode permet d'initialiser les calculs probabilistes Moret avec une distribution plus réaliste de neutrons, réduisant ainsi de manière significative le nombre de générations de neutrons à calculer pour atteindre la convergence. La mise en oeuvre de cette méthode novatrice reste cependant encore lourde en regard des besoins opérationnels des évaluations de sûreté, et des améliorations devront lui être apportées.

Taux de production de neutrons dans le volume 1 (S1) rapporté au taux de production global (S1 + S2) en fonction des générations. En noir, une initialisation uniforme de la répartition des neutrons ; en rouge, une distribution initiale modifiée par un pré-calcul déterministe. Cette figure montre clairement une réduction importante de la phase de convergence avec le précalcul, où seules quelques étapes sont nécessaires, alors qu’une initialisation uniforme nécessite une centaine d’étapes avant d’atteindre la convergence.

Taux de production de neutrons dans le volume 1 (S1) rapporté au taux de production global (S1 + S2) en fonction des générations.

En noir, une initialisation uniforme de la répartition des neutrons ; en rouge, une distribution initiale modifiée par un pré-calcul déterministe.

Cette figure montre clairement une réduction importante de la phase de convergence avec le précalcul, où seules quelques étapes sont nécessaires, alors qu'une initialisation uniforme nécessite une centaine d'étapes avant d'atteindre la convergence.


[ Détection automatisée ]

Il est crucial pour le calcul probabiliste du Keff de bien estimer l'atteinte de la convergence. À cette fin, A. Jinaphanh a mis au point un algorithme qui permet de contrôler de manière fiable cette convergence. Dans son principe, l'algorithme consiste à déterminer si les valeurs successives du Keff et de l'entropie de Shannon (Hsrc(3)) calculées à chaque génération restent statistiquement équivalentes. Si tel est le cas, la série des Keff est considérée comme ayant convergé.

Cette méthode a été intégrée à la version de production du logiciel Moret qui dispose ainsi d'une méthode de détection automatisée de la convergence et d'un indicateur caractérisant la fiabilité du calcul de la criticité.

Collaboration École polytechnique de Montréal.

Contact :
Alexis Jinaphanh
(Laboratoire de recherche et de développement
en neutronique du cycle - LNC)
(1) Le facteur de multiplication effectif Keff est défini comme le rapport du nombre de neutrons produits au sein du système sur le nombre de neutrons perdus (par fuite hors du système ou absorption). Un Keff supérieur à 1 correspond à un emballement de la production de neutrons.
(2) Le code Dragon est un code de calcul déterministe développé à l'École polytechnique de Montréal.
(3) L'entropie de Shannon est une grandeur locale permettant de caractériser la distribution des neutrons dans le système.
 
Dispositif de récupération des urines dans l'élevage de rats.
Radiotoxicologie
Métabolomique : de nouvelles perspectives en radiotoxicologie des faibles doses

Les interrogations du public à l'égard des effets sur l'homme d'expositions chroniques aux faibles doses de rayonnements ionisants sont récurrentes. Ce questionnement devient encore plus pressant lorsque des sources possibles de ces expositions se précisent : par exemple, la présence d'anciennes mines, l'exploitation d'installations nucléaires ou le stockage de déchets radioactifs, les rejets accidentels des installations du cycle du combustible ou l'éventuel retour sur des territoires contaminés suite à un accident de réacteur comme Fukushima. En cohérence avec les orientations de l'agenda stratégique de recherche européen de Melodi(1), l'IRSN mène un important programme de recherche à forte composante expérimentale, pour répondre par l'acquisition de données scientifiques. Il a déjà montré que l'ingestion chronique de césium 137 ou d'uranium entraîne des modifications métaboliques subtiles et multiples, généralement de faible amplitude, dont il reste à étudier les conséquences biologiques globales. Afin de préciser ces modifications métaboliques, une technique récente d'analyse à large spectre, la métabolomiqueGLO, a été utilisée.

Il apparaît clairement aujourd'hui que des réponses scientifiques doivent être apportées face aux inquiétudes exprimées par le public sur l'effet d'une exposition chronique à de faibles doses de rayonnements ionisants. L'absence de consensus international sur les conséquences sanitaires et environnementales des accidents de Tchernobyl et de Fukushima ou les polémiques autour des installations du cycle électronucléaire alimentent ces inquiétudes. Le rejet accidentel de molécules radioactives (notamment le césium 137, 137Cs, ou l'uranium 238, 238U) dans l'environnement peut, à long terme, contaminer la chaîne alimentaire ainsi que des eaux destinées à la consommation humaine, et par conséquent contribuer à l'augmentation de l'exposition de la population aux radionucléides. L'IRSN porte la volonté de faire émerger des connaissances scientifiquement établies sur ce sujet, en cohérence avec l'agenda stratégique de recherche de la plateforme européenne Melodi. Pour y répondre, les équipes de l'Institut mettent en place des expérimentations mobilisant de nouvelles approches scientifiques. Ainsi, la métabolomique, technique « omique » de pointe et très prometteuse, est utilisée à l'IRSN pour analyser finement les effets biologiques résultant de contaminations de l'environnement par l'uranium (naturel ou issu d'installations du cycle du combustible) ou par le césium 137 (consécutif aux retombées des accidents nucléaires).

Schéma de principe de la métabolomique.
Schéma de principe de la métabolomique.


[ Effets biologiques significatifs ]

Des études expérimentales menées à l'IRSN ont montré qu'une contamination interneGLO chronique par le césium 137 ou par l'uranium induit chez l'animal des effets biologiques significatifs dans différents systèmes métaboliques (cholestérol, vitamine D, fer, xénobiotiques) et physiologiques. Ces modifications ne s'accompagnent cependant pas de symptômes cliniques ou de pathologies observables. La question se pose donc de savoir si d'autres systèmes métaboliques sont impactés par une contamination chronique. Pour avoir « une image » globale et exhaustive du système métabolique d'un individu, une technique - jusqu'alors utilisée dans différents domaines de la recherche - a été appliquée pour la première fois à la radiotoxicologie par l'IRSN en collaboration avec l'Université d'Aix-Marseille : la métabolomique.


[ Vision globale ]

Très sensible et à large spectre, la métabolomique (apparue au début des années 2000) est de plus en plus utilisée en médecine, en toxicologie, en pharmacologie et en épidémiologie moléculaire pour identifier des biomarqueurs précoces de toxicité, voire d'apparition de pathologies. Elle fournit une description exhaustive et précise de la composition en métabolites (sucre, lipides, acides aminés et autres petites molécules organiques) mesurables dans un fluide biologique (sang, urine, salive, liquide céphalo-rachidien, etc.). Les échantillons de ces fluides sont analysés par chromatographie liquide ou gazeuse couplée à de la spectrométrie de masse ou par résonance magnétique nucléaire. Les milliers de signaux (pics) constituant les spectres obtenus sont ensuite traités par les mathématiques pour en soustraire le bruit de fond ; cette étape préalable est nécessaire pour pouvoir ensuite révéler les signaux d'intérêt les plus discriminants (biomarqueurs) par le biais d'analyses statistiques multivariées. La structure moléculaire correspondant à ces signaux pourra ensuite être identifiée soit en s'appuyant sur des bases de données spectrales disponibles, soit par de nouvelles analyses spectrales plus poussées afin de rendre possible l'identification des métabolites dont les taux sont modifiés.

Cette approche analytique donne une vision globale du métabolisme et permet d'identifier les biomarqueurs d'un stress, c'est-à-dire les métabolites caractéristiques d'états biologiques donnés (phénotype physiologique) et modifiés par une exposition à un contaminant (stress).

Deux études ont ainsi été récemment menées par l'IRSN sur des rats contaminés de façon chronique à de faibles doses de radionucléides. Elles ont permis de définir un ensemble de métabolites modifiés par ces contaminations, ce qui correspond à la signature métabolique de la contamination.


Analyse en regroupement hiérarchique des 26 métabolites* ayant le plus de poids dans la discrimination entre les rats contrôles (Ct) et contaminés au césium 137 (Cs 137). Lorsque cela est possible, l’identité des métabolites est proposée après recherche dans les banques de données. La palette de couleur indique si le métabolite correspondant est détecté en concentration plus importante (en rouge) ou moins importante (en vert) dans le plasma des rats contrôles (notés Ct) ou des rats exposés au Cs 137 (notés Cs). *M : masse de la variable en Da, T : temps de rétention en secondes.  

Analyse en regroupement hiérarchique des 26 métabolites* ayant le plus de poids dans la discrimination entre les rats contrôles (Ct) et contaminés au césium 137 (
137Cs). Lorsque cela est possible, l'identité des métabolites est proposée après recherche dans les banques de données. La palette de couleur indique si le métabolite correspondant est détecté en concentration plus importante (en rouge) ou moins importante (en vert) dans le plasma des rats contrôles (notés Ct) ou des rats exposés au 137Cs (notés Cs).
*M : masse de la variable en Da, T : temps de rétention en secondes.

 
[ Par le césium 137 ]

La première étude s'est intéressée aux effets biologiques induits par une exposition chronique de 137Cs. Les rats ont été contaminés par l'eau de boisson : 6 500 Bq.l-1 de 137Cs, soit 150 Bq par jour et par rat, soit des niveaux de contamination comparables à ceux présents dans certains territoires contaminés par l'accident de Tchernobyl. Les analyses biologiques ont montré que les taux de marqueurs cliniques de dysfonctionnement tissulaire (mesurés par un bilan biologique classique) n'étaient pas affectés. Le sang et les urines ont été analysés par spectrométrie de masse : 742 signaux significatifs ont été détectés dans les urines et 1309 signaux au total dans le plasma. L'analyse statistique de ces signaux a permis d'en identifier 26 (2 urinaires, 4 plasmatiques non-polaires et 20 plasmatiques polaires) capables de discriminer les rats contaminés de ceux qui ne le sont pas. Les bases de données spectrales ont permis d'identifier les métabolites correspondant à ces signaux : des phospholipides (sang), des acides biliaires (sang), des dérivés de stérols (sang) ainsi que des produits de dégradation d'acides aminés (urines).

Ces 26 signaux constituent ainsi une « signature métabolique » caractéristique de la contamination des rats par le 137Cs. Ce résultat désigne par ailleurs les voies métaboliques qui pourraient être des cibles biologiques pour le 137Cs, et favorise la caractérisation des propriétés radiotoxicologiques du 137Cs.


[ Par l'uranium naturel ]

La seconde étude s'est intéressée aux effets d'une contamination interne par l'uranium naturel chez l'animal à un niveau non toxique, en particulier pour le rein. Les animaux ont été contaminés via l'eau de boisson à une concentration de 40 mg.l-1 pour l'uranium, soit le double de la concentration environnementale maximale observée en Finlande. Comme précédemment, la métabolomique a permis d'identifier les animaux contaminés alors que des mesures biochimiques classiques dans le sang et les urines ne révélaient pas de différences notables entre les animaux.

Carte factorielle (analyse discriminante PLS-DA) représentant les rats contaminés à l’uranium et les rats non contaminés. Chaque point représente un rat caractérisé par l’ensemble de ses métabolites dans l’urine dont les teneurs sont modifiées par la contamination (n = 95). La distance entre les deux nuages de points sur l’axe horizontal est significative (variabilité de la réponse biologique attribuable à la contamination). L’axe vertical exprime les différences de réponse entre les rats d’un même groupe (variabilité biologique inter-individuelle).

Carte factorielle (analyse discriminante PLS-DA) représentant les rats contaminés à l'uranium et les rats non contaminés. Chaque point représente un rat caractérisé par l'ensemble de ses métabolites dans l'urine dont les teneurs sont modifiées par la contamination (n = 95). La distance entre les deux nuages de points sur l'axe horizontal est significative (variabilité de la réponse biologique attribuable à la contamination). L'axe vertical exprime les différences de réponse entre les rats d'un même groupe (variabilité biologique inter-individuelle).


Sur 1376 signaux détectés dans les urines, 90 permettent de faire une discrimination statistique entre le groupe contaminé et le groupe non contaminé.

Parmi les signaux les plus discriminants on retrouve des métabolites urinaires impliqués dans le métabolisme du tryptophane, du nicotinate, du nicotinamide, et plus particulièrement le N-méthylnicotinamide, marqueur qui pourrait être associé à une modification de la fonction rénale. Ce dernier a été quantifié à un niveau 7 fois moins élevé dans les urines du groupe des animaux contaminés (chez tous les animaux exposés), et possède le plus fort pouvoir discriminant dans cette étude. Ce résultat particulier sur le métabolomeGLO urinaire des rats exposés à de faibles concentrations d'uranium (40 mg.l-1) suggère que l'uranium pourrait agir de façon ciblée sur la fonctionnalité des reins dès cette concentration, alors qu'aucun marqueur urinaire classique de dysfonctionnement rénal n'a été observé.


[ Signature métabolique ]

Les résultats de ces deux études expérimentales réalisées in vivo, montrent que la métabolomique permet d'accéder à une signature métabolique caractéristique d'une exposition par des radionucléides. Cette signature pourrait être utilisée comme biomarqueur d'exposition, une piste intéressante pour aider à identifier les individus exposés à ces radioéléments. De plus, elle permettrait de définir des indicateurs précoces de déséquilibre physiologique liés à une contamination. Elle pourrait ainsi contribuer à identifier les voies métaboliques les plus sensibles à l'exposition interne par de faibles quantités de radionucléides, et donc aider au diagnostic voire au pronostic de pathologies suite à une contamination. Enfin et surtout, cette signature contribue, par l'identification des métabolismes modifiés au cours de l'exposition, à progresser dans la compréhension du chemin qui va de la dose aux effets.

L'IRSN poursuit ces recherches encourageantes, et dans cette optique s'engage en 2014 dans une convention de partenariat avec la plateforme Cribiom de criblage biologique de l'Université d'Aix-Marseille. Ce qui complète une palette déjà étendue de travaux menés avec cette Université, tant en radioprotection qu'en sûreté.

Collaboration Plateforme de criblage biologique de l'Université d'Aix-Marseille.

Contacts :
Maâmar Souidi
(Laboratoire de radiotoxicologie expérimentale - LRTox)
Stéphane Grison
(Laboratoire de radiotoxicologie expérimentale - LRTox)
(1) Melodi (Multidisciplinary European Low Dose Initiative) est la plateforme européenne pour la recherche sur les faibles doses de rayonnements ionisants.
 
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