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La thérapie cellulaire a depuis dix ans révolutionné le traitement des brûlures de la peau occasionnées par une surexposition localisée aux rayonnements ionisants. Une collaboration très étroite entre les équipes de l'IRSN et celles de l'hôpital Percy (Clamart, Hauts-de-Seine) a, en effet, démontré l'efficacité de l'injection de cellules stromales mésenchymateuses (CSM) sur une dizaine de
patients, en complément de la chirurgie. Cependant, l'utilisation des CSM comporte des limites, notamment pour l'accès au prélèvement et la durée de la mise en culture des cellules. Les chercheurs de l'IRSN continuent à explorer la possibilité d'utiliser d'autres types de cellules souches. Plusieurs pistes sont prometteuses pour le cas d'accident radiologique ou dans celui de complications des radiothérapies.
Une personne exposée accidentellement à de très fortes doses de rayonnements ionisants (20-25 Grays) développe de très graves lésions sur la peau. Il y a encore quelques années, leur cicatrisation était un défi majeur. Les rayonnements ionisants produisent des effets à la fois aigus et retardés touchant la peau et les tissus sous-cutanés pouvant conduire à la nécrose. De plus, ces lésions sont accompagnées de douleurs intenses. Les traitements classiquement utilisés pour
des brûlures thermiques (exérèse GLO et chirurgie reconstructrice) sont insuffisants pour circonscrire leur évolution (1). Une autre voie devait donc être recherchée.
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Les CSM, des propriétés immunomodulatrices |
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À la fin des années 1990, les chercheurs de l'IRSN ont exploré les possibilités des cellules stromales mésenchymateuses (CSM) extraites de la moelle osseuse pour traiter les lésions cutanées radio-induites. En effet, ces cellules (2) ont des propriétés immunomodulatrices GLO et avaient déjà montré un bénéfice en médecine régénérative, elles sont faciles à isoler et à mettre en culture.
Les chercheurs de l'IRSN ont démontré par des études expérimentales réalisées chez la souris et le porc que l'injection de CSM dans les lésions radio-induites favorise la régénération des tissus irradiés. En 2005, un premier patient, victime au Chili d'un accident d'irradiation localisée, a été traité par injections de CSM autologues GLO en complément de l'exérèse des zones lésées. Cette
exérèse s'est appuyée sur une cartographie des doses reçues en surface et en profondeur réalisée par l'IRSN à partir du scénario de l'accident ; il était important d'enlever les tissus ayant reçu plus de 20-25 Gy, doses à partir desquelles les tissus vont nécroser. Le protocole d'injection et l'exérèse, réalisés grâce à la collaboration des équipes de l'IRSN et de celles de l'hôpital Percy (Clamart, Hauts-de-Seine), ont conduit à un succès qui a été une première
mondiale : les douleurs ont été fortement réduites, les lésions ont cessé de s'étendre et ont cicatrisé ; le suivi médical à long terme de ce patient a confirmé ce résultat. Dix autres personnes victimes d'accidents de gravités similaires depuis 2005 ont bénéficié du même traitement avec le même résultat.
Cependant, l'utilisation des CSM comporte des limites. En premier lieu, le protocole de production des CSM d'une qualité utilisable en clinique nécessite 15 jours de culture et donc autant de temps d'attente avant d'intervenir sur la lésion. Ensuite, les CSM sont obtenues à partir d'un prélèvement invasif et douloureux de moelle osseuse. Troisième limite : à l'issue de la culture, les cellules obtenues peuvent être écartées par les contrôles de qualité en raison
d'anomalies du caryotype, ou parce que la zone de prélèvement de la moelle osseuse s'avère avoir été dans le champ d'irradiation. Enfin, en fonction de l'âge du donneur, le prélèvement de moelle osseuse peut être pauvre en CSM, et celles-ci peuvent avoir perdu une partie de leur fonctionnalité. Ces limites nécessitent de chercher d'autres sources de cellules souches pour amplifier le recours à ce traitement et le rendre plus opérationnel. Les chercheurs de l'IRSN
explorent plusieurs voies.
La première option est l'injection directe des cellules issues de la moelle osseuse au niveau de la lésion, ce qui évite l'étape de mise en culture. L'étude expérimentale menée par les chercheurs de l'IRSN sur des souris irradiées localement (20 Gy) montre que l'administration des cellules de moelle osseuse favorise la restauration du derme. L'expression des gènes de différents types de collagènes (qui constituent la matrice de la peau) est régulée par les cellules
injectées, et favorise ainsi le remodelage de la matrice. Par ailleurs, il est apparu que l'administration des cellules de moelle osseuse favorise la revascularisation des zones lésées en induisant une hyperperméabilité, et qu'elle restaure les fonctions vasculaires. Ces deux éléments participent à la cicatrisation de la blessure. Enfin ces travaux ont démontré que les cellules de moelle osseuse réduisent l'inflammation induite par l'irradiation, probablement en
limitant l'adhérence des leucocytes à la surface interne des vaisseaux sanguins. Une thérapie utilisant l'injection de moelle osseuse en cas de brûlure radiologique semble donc une alternative intéressante, dans le cas où la mise en culture des CSM ne pourrait pas être réalisée.
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Traitement par cellules issues de la moelle osseuse. Activation endothéliale du réseau vasculaire de la peau durant le processus de cicatrisation, 60 jours après une irradiation à 20 Gy. Image en haut, témoin non irradié ; image en bas à gauche, la peau irradiée et traitée par une injection de cellules de moelle osseuse montre une augmentation du flux sanguin ; image en bas à droite, la peau irradiée n'a
pas été traitée et montre des problèmes de perméabilité et de dilatation vasculaire.
Voir les vidéos montrant l’adhésion des lymphocytes sur la paroi des cellules endothéliales dans les trois situations.
© IRSN/V. Holler
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EPC issues de cordon ombilical |
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Une autre voie consiste à stimuler la revascularisation du tissu (apport nutritif et oxygène) nécessaire à la cicatrisation de la peau. Pour ce faire, l'une des options envisagées est d'injecter des cellules progénitrices endothéliales (EPC en anglais) qui ont été prélevées dans du sang de cordon ombilical. Cette opération réalisée dans le cas de maladies cardiovasculaires a montré que les EPC injectées se localisent dans les tissus lésés et favorisent la
micro-vascularisation nécessaire à leur régénération. Cette approche a été testée par les chercheurs de l'IRSN. Ils ont réalisé des études expérimentales pour évaluer le bénéfice d'une injection de cellules progénitrices endothéliales sur la cicatrisation de lésions de la peau, radio-induites ou non, tout en testant des solutions pour accroître l'efficacité de ces cellules. Deux stratégies ont été proposées : l'activation des EPC par des produits pharmaceutiques
(Ephrine-B2 ou B4 notamment) préalable à l'injection pour augmenter leur nombre dans le site lésé ; et linjection simultanée de cellules souches de muscle lisse (SMPC) afin de favoriser la formation de vaisseaux matures et plus fonctionnels. Les résultats obtenus sur les souris montrent que les EPC, comme dans le cas dautres pathologies, favorisent la création de nouveaux vaisseaux et la cicatrisation (voir image d’ouverture). De plus, l'injection concomitante de
SMPC en améliore encore l'efficacité par l'obtention de vaisseaux matures. Cette nouvelle voie de traitement comporte cependant une limite, car il est nécessaire d'avoir des volumes de sang très importants (une vingtaine de litres) pour obtenir une dose clinique de produit de thérapie cellulaire.
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Traitement par cellules souches adipeuses. Sur une coupe de peau de souris, on visualise en vert clair une cellule souche adipeuse différenciée en kératinocyte dans l'épiderme (marquage K5).
© IRSN
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Cellules souches adipeuses |
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Une troisième voie intéressante, les cellules souches adipeuses, présente plusieurs avantages, dont leur prélèvement par simple liposuccion, procédure peu invasive et permettant d'obtenir une quantité assez importante. Le rôle important du tissu adipeux dans l'organisme a été révélé récemment (3) : il participe à un très grand éventail de processus biologiques. Les cellules souches dérivées des tissus
adipeux ont la propriété de pouvoir se différencier en plusieurs types de cellules dont ceux de la peau et des vaisseaux, importants pour le processus de cicatrisation. Les chercheurs de l'IRSN ont réalisé des expériences sur des souris pour tester si les tissus adipeux pouvaient avoir une action positive. Les résultats ont montré un effet réparateur des cellules adipeuses sur la peau de souris irradiées. Il s'avère que les cellules souches adipeuses peuvent se
différencier en kératinocytes (cellules constituantes de l'épiderme) et favorisent la cicatrisation de la peau. Elles stimulent également la régénération de la vascularisation, grâce à leur capacité à se différencier aussi en cellules endothéliales (constitutives de la paroi des vaisseaux) tout en libérant des facteurs de croissance vasculaire (VEGF). Les cellules souches adipeuses confirment leur intérêt pour le traitement de lésions cutanées radio-induites.
En conclusion de ces trois approches, les études expérimentales réalisées par l'IRSN à partir des cellules souches adipeuses et du tissu graisseux sont prometteuses. Ces bons résultats doivent être maintenant confirmés par des essais sur de plus gros animaux, avant de passer aux tests cliniques, afin d'en valider le bénéfice thérapeutique. Il reste que, quel que soit le type cellulaire utilisé, plusieurs défis techniques et pratiques seront à relever afin de remplir les
conditions idéales d'une thérapie cellulaire efficace sur le long terme et facilement applicable.
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Traitement par cellules souches adipeuses. Photomicrographies au laser doppler de l'irrigation sanguine de la peau de souris irradiées (ligne du bas) et non irradiées (ligne du haut). Dans le cas des images de gauche, la peau n'a pas été traitée, et à droite, des cellules souches adipeuses ont été injectées. En bleu, zone de bas flux sanguin ; en rouge, zones de haut flux.
© IRSN
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Institut des vaisseaux et du sang, Inserm, Hôpital d'instruction des armées Percy, Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) |
Laboratoire de recherche en régénération des tissus sains irradiés (LR2I) de l'IRSN
(1) Lorsque ce traitement est appliqué à une lésion radio-induite, celle-ci peut être difficile à stabiliser : d'une part, parce que la limite entre les tissus sains et les tissus irradiés qui vont nécroser n'apparaît pas clairement ; d'autre part, parce que l'intervention chirurgicale elle-même stimule les poussées inflammatoires, renforçant le processus de fibrose et de nécrose, ce qui nécessite de nouvelles interventions chirurgicales.
(2) Le rôle des cellules stromales mésenchymateuses dans la moelle osseuse est de maintenir des niches de cellules souches hématopoïétiques GLO.
(3) Par une équipe de l’université Paul Sabatier.
• Tamarat R. et al. « Stem cell therapy : from bench to bedside » Radiation Protection Dosimetry (2012) p 1-7
Lire la publication
• Foubert P. et al. « Strategies to enhance the efficacity of endothelial progenitor cells therapy by Ephrin b2 pre-treatment and co administration with smooth muscle progenitor cells on vascular function during wound healing process in irradiated or not condition » Cell Transplantation, 2013 sept 10.
Lire la publication
• Ebrahimian T.G. et al. « Cell Therapy Based on Adipose Tissue-Derived Stromal Cells Promotes Physiological and Pathological Wound Healing » ArteriosclerThrombVasc Biol. (2009) ; 29:503-510
Lire la publication
• Holler V. et al. « Early and late protective effect of bone marrow mononuclear cell transplantation on radio-induced vascular dysfunction and skin lesions » Cell Transplantation, soumis.
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