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Après l’accident de Fukushima, l’un des enjeux technologiques pour le gouvernement japonais est d’assainir le site sachant que le cœur de trois des réacteurs a fondu. Extraire ce combustible fondu de structures fortement endommagées dans une ambiance de radioactivité extrême nécessite de pouvoir le localiser et d’en connaître les caractéristiques. Le ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie a fait appel à l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE (AEN) pour mobiliser les acteurs disposant de logiciels de simulation d’accidents graves. À l’aide de ces outils, le projet BSAF lancé par l’AEN vise à reconstituer par la simulation la progression de l’accident des réacteurs de Fukushima. Pour l’IRSN, il constitue une opportunité unique d’accéder aux données d’une situation réelle afin de vérifier la capacité de simulation des logiciels. L’IRSN participe à ce programme avec le code ASTEC, validé notamment à l’aide des expériences Phébus menées par l’Institut entre 1986 et 2004. La première phase du projet BSAF s’est achevée fin 2014, fournissant des éléments de compréhension sur la progression de l’accident dans les réacteurs 1 à 3.
Le projet BSAF (Benchmark Study of the Accident at the Fukushima-Daiichi Nuclear Power Station) a été lancé par l’AEN en octobre 2012 pour aider les autorités japonaises à reconstituer le déroulement des accidents de fusion du cœur qui se sont déroulés en mars 2011 sur les réacteurs 1 à 3 de la centrale de Fukushima-Daiichi. Il s’agit entre autres de préparer le démantèlement des réacteurs dans les années futures notamment en localisant le combustible fondu. Le projet rassemble les équipes qui ont développé, depuis l’accident de Three Mile Island, des logiciels de simulation d’accidents graves. Le projet BSAF a également pour objectif de permettre un benchmark pour ces logiciels à partir des données issues de cette situation réelle, afin d’en améliorer les méthodes et les modèles intégrés.
Le projet se déroule en deux phases. La première, qui s’est achevée à la fin de 2014, visait à reconstituer les phénomènes physiques qui se sont déroulés sur une période de six jours, en particulier la dégradation du cœur dans la cuve et, le cas échéant, la rupture de la cuve puis la progression du cœur fondu dans l’enceinte. La seconde phase, qui va plus loin dans la reconstitution de l’accident, vient de commencer.
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Schéma d’un réacteur de Fukushima après l’accident.
© IRSN/Xavier Corbeau |
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Programmes expérimentaux intégraux |
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L’équipe de l’IRSN utilise le logiciel ASTEC GLO, qui est développé de longue date par l’Institut et par son homologue allemand Gesellschaft für Anlagen- und Reaktorsicherheit GmbH (GRS) pour constituer la référence européenne en matière de simulation des accidents graves. La pertinence des simulations d’ASTEC repose sur des modèles qui ont été validés sur un large spectre d’expériences, dont des expériences dites intégrales, qui permettent de reproduire la majeure partie des phénomènes pouvant survenir dans un réacteur lors d’un accident de fusion du cœur. Il s’agit notamment de celles réalisées entre 1986 et 2004 dans le cadre des programmes Phébus CSD et Phébus PF. Le programme Phébus CSD, réalisé avec du combustible neuf, a permis d’étudier le début de la dégradation du cœur ; le programme Phébus PF, réalisé avec du combustible irradié, a analysé la dégradation avancée du cœur, jusqu’à la formation d’un bain de corium, ainsi que le comportement des produits de fission dans le réacteur. Les modèles de dégradation du cœur ont été aussi validés sur des essais tels que CORA et QUENCH réalisés en Allemagne par le Karlsruhe Institute of Technology. L’un des principaux résultats des programmes PHEBUS a été que les interactions entre le combustible et les matériaux de structure (en particulier le Zirconium des gaines) contribuent, même en conditions oxydantes, à la fusion du cœur vers 2 200 °C, bien en dessous de la température de fusion de l’UO 2, à 2 800 °C. Par ailleurs, les expériences MASCA et RASPLAV réalisées en Russie ont complété le panel des données pour ce qui concerne le comportement du corium en fond de cuve. Ces essais ont été réalisés à échelle réduite, et le projet BSAF offre une opportunité de vérification à l’échelle du réacteur des capacités des logiciels et notamment d’ASTEC à décrire la progression des accidents graves.
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Champ de température dans la cuve pour 4 temps caractéristiques différents (en secondes à partir du tremblement de terre, dans les cartouches jaunes) : lorsque le niveau d’eau atteint le haut des assemblages de combustible (en haut à gauche) ; lorsque la plupart des matériaux endommagés se sont écoulés juste au-dessus de la plaque support du cœur (en haut à droite) ; au moment de l’effondrement juste après la rupture de la tuyauterie (en bas à gauche) ; et au moment du percement de la cuve (en bas à droite)
© IRSN |
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Les expériences sur le réacteur Phébus ont été menées avec des cœurs constitués de 21 tronçons de crayons de combustible et 1 barre de contrôle, d’une longueur de 0,80 à 1 m. Ici, une radiographie du cœur avant et après la troisième expérience de la seconde série (FPT3).
© IRSN |
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Fusion complète du cœur du réacteur 1 |
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Pour réaliser la première phase du projet BSAF, les équipes sont parties des enregistrements des opérations et des mesures réalisées pendant l’accident par l’exploitant, ainsi que des événements survenus sur les trois réacteurs accidentés. La difficulté des calculs réside dans la très grande incertitude sur certaines données et dans leur nombre limité, ce qui nécessite de poser des hypothèses a priori. Pour le réacteur n°1, les différents logiciels utilisés donnent des résultats concordants sur l’état du réacteur. Ils concluent à une fusion complète du cœur et des structures internes, constituant une sorte de magma appelé corium, et une rupture de la cuve du réacteur dans la nuit du 11 au 12 mars. La dégradation du cœur s’est accompagnée d’une importante production d’hydrogène qui varie selon les évaluations entre 350 et 1 000 kg. Une partie a fui de l’enceinte, en raison de la pression et de la température trop élevées, et s’est accumulée dans le local où se trouve la piscine d’entreposage des combustibles usagés entraînant l’explosion qui a endommagé la partie supérieure du bâtiment réacteur. Ils prédisent par ailleurs qu’une quantité très importante de corium s’est écoulée sur le radier en béton de l’enceinte de confinement qui a été partiellement érodé. Le comportement des réacteurs 2 et 3 durant l’accident est plus difficile à expliquer et la distribution finale des débris de combustible reste très incertaine, en particulier sur le réacteur 2. Ces incertitudes sont liées, d’une part, aux systèmes de secours qui ont injecté de l’eau une quarantaine d’heures sur le réacteur 3 et presque trois jours sur le réacteur 2, sans que les caractéristiques précises de leur fonctionnement soient connues. D’autre part, lorsque ces systèmes se sont arrêtés, de l’eau a été injectée à l’aide de camions de pompiers mais les quantités réellement déversées dans les cuves sont imprécises. Il y a cependant consensus pour considérer que ces injections ont débuté alors que les cœurs étaient déjà fortement dégradés mais que le corium ne s’était pas encore écoulé au fond de la cuve. |
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Corium en fond de cuve |
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Les simulations numériques permettent également d’obtenir des informations sur la composition du corium. Celles-ci seront utiles pour définir les opérations de découpe et de collecte du corium avec des marges de sûreté suffisantes vis-à-vis des risques de départ d’incendie (pyrophoricité du zirconium, notamment) ou de retour en criticité. La composition du corium peut être affectée en fond de cuve par un phénomène observé au cours des essais MASCA et désormais modélisé dans ASTEC. En fonction du taux d’oxydation des gaines en zirconium du combustible, une partie de l’oxyde d’uranium peut se transformer en uranium métal et former avec l’acier et le zirconium une couche liquide qui va alors modifier la localisation du point de rupture de la cuve. Dans les simulations menées avec ASTEC, cette couche peut représenter de 18 à 30 % de la masse d’uranium en fond de cuve selon qu’il s’agisse des réacteurs 1, 2 ou 3. Lors de l’interaction avec le béton, l’uranium métallique sera, comme le zirconium, rapidement oxydé mais si la cuve n’est pas percée ou que l’ouverture reste de petite taille, ce qui est possible sur les réacteurs 2 et 3, de l’uranium métallique pourrait subsister dans la cuve.
Le projet BSAF a ainsi fourni des résultats sur la localisation du cœur dégradé et des débris formés dans les trois zones importantes (le cœur, le fond de cuve et l’enceinte de confinement) et des indications importantes pour élaborer des stratégies de démantèlement. La comparaison des résultats de calculs menés par les différentes équipes met en lumière à la fois les incertitudes sur les scénarios supposés de l’accident (quels équipements fonctionnaient ? à quel moment ? quelles ont été les actions des opérateurs ?) et celles relatives à la modélisation des phénomènes physiques, pointant les améliorations à apporter aux logiciels.
La seconde phase du projet BSAF vise à poursuivre les simulations sur une plus longue période de temps et à traiter également du relâchement et du transfert des produits radioactifs vers l’environnement pour les trois réacteurs accidentés ce qui devrait permettre d’affiner les résultats en discriminant différents chemins de fuite.
En parallèle, des réflexions ont été engagées dans le cadre de l’AEN pour définir les examens, prises d’échantillons et analyses qui pourraient fournir de nouvelles informations et accroître les connaissances sur les accidents de fusion du cœur pour mieux les maîtriser.
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Principaux phénomènes physiques en jeu lors de la fusion d’un cœur de réacteur nucléaire
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1re phase de BSAF : seize organisations issues de huit pays (France, Allemagne, Corée, Russie, Espagne, Suisse, États-Unis et Japon). 2nde phase de BSAF avec aussi le Canada, la Chine et la Finlande |
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• De Luze O. et al. « Early phase fuel degradation in Phébus FP: Initiating phenomena of degradation in fuel bundle tests » Annals of Nuclear Energy 61 (2013) 23–35 |
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•Barrachin M. et al. « Late phase fuel degradation in the Phébus FP tests » Annals of Nuclear Energy 61 (2013) 36–53 |
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•Clément B., Zeyen R. « The objectives of the Phébus FP experimental programme and main findings » Annals of Nuclear Energy 61 (2013) 4–10 |
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•Haste T. et al. « A comparison of core degradation phenomena in the CORA, QUENCH, Phébus SFD and Phébus FP experiments » Nuclear Engineering and Design 283 (2015) 8–20 |
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•Bonneville H., et al «Fukushima core melt composition simulation with ASTEC», Nureth-16, 30 août-4 septembre 2015, Chicago, États-Unis. |
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•Benchmark Study of the Accident at the Fukushima Daiichi Nuclear Power Plant Summary Report - June 2015 |
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