Savoir et comprendre

Evaluation de l’aléa sismique : l’approche probabiliste

09/08/2019

L’évaluation probabiliste de l’aléa sismique, dite PSHA (Probabilistic Seismic Hazard Analysis), est répandue dans la pratique internationale. En France, elle a été mise en œuvre pour établir la carte du zonage sismique révisée en 2010 qui est applicable aux ouvrages à « risque normal » et aux ouvrages « à risque spécial » (voir page Le zonage sismique de la France). Dans le contexte post accident de Fukushima Dai-ichi, cette approche a aussi été mise en œuvre dans le domaine nucléaire pour définir des niveaux d’aléas « noyau dur » (voir Evaluation de l’aléa sismique: La réglementation applicable aux sites nucléaires français #9).
 

L’approche PSHA consiste à évaluer de manière directe la probabilité de dépasser différents niveaux d’accélération du mouvement du sol sur une durée déterminée. Ceci permet de déterminer en retour le mouvement du sol correspondant à une probabilité de dépassement fixée sur une certaine période de temps. Dans les études PSHA, la récurrence des séismes est souvent supposée suivre un processus « poissonien » (la probabilité d’occurrence de futurs séismes n’est pas modifiée après la survenue d’un séisme donné) et l’activité sismique annuelle est supposée stationnaire dans le temps. Pour la conception des installations nucléaires, on s’intéresse typiquement à des mouvements sismiques ayant au plus 0,5 % de probabilité d’être atteint ou dépassé sur une durée de 50 ans. Ceci correspond à un aléa sismique évalué pour une valeur cible de fréquence annuelle de dépassement inférieure ou égale à 10-4/an, soit une période de retour d’au moins 10 000 ans.
 

La démarche PSHA comporte plusieurs étapes qui sont résumées dans la figure 1 ci-dessous.
 

Il convient tout d’abord de collecter toutes les données géologiques, géophysiques et sismologiques qui servent notamment à évaluer les taux de récurrence des séismes. Des catalogues de sismicité (collecte des séismes en termes de magnitude et de localisation géographique) sont construits en fusionnant les informations « instrumentales » (dérivées de mesures, qui ne sont disponibles que pour des séismes récents) et historiques (dérivées d’archives écrites).
 

L’étape suivante consiste à sélectionner ou développer des modèles sismotectoniques fondés sur une interprétation des données collectées. Ces modèles définissent des « sources sismiques » (voir figure 1) constituées soit de failles, soit de zones géographiques ayant des propriétés sismiques et géologiques considérées comme homogènes (zones sismotectoniques, zone 1 dans la figure 1). L’ensemble des sources constitue un zonage sismotectonique (voir page Evaluation de l’aléa sismique: La réglementation applicable aux sites nucléaires français #1).
 

 


Figure 1 : Schéma résumant les différentes étapes d’un calcul PSHA.

 

Pour chaque source sismique, on estime ensuite le taux de récurrence des séismes en fonction de leur magnitude (nombre de séismes d’une magnitude donnée par an, exprimé en échelle logarithmique - voir zone 2 dans la figure 1) ainsi que d’autres propriétés caractéristiques des séismes telle que leur profondeur. Il est à noter qu’à l’échelle régionale, le taux annuel des séismes décroit de manière exponentielle avec la magnitude. L’hypothèse est aussi faite que les taux de récurrence des séismes sont extrapolables au-delà des observations jusqu’à une magnitude maximale (Mmax) correspondant à la taille du séisme le plus fort supposé pouvoir se produire dans la zone. Ceci permet de tenir compte de la probabilité que des séismes plus forts que ceux survenus dans le passé (généralement sur une période s’étendant au maximum sur quelques centaines d’années)  puissent se produire. L’évaluation de cette magnitude maximale, Mmax, est fondée sur l’analyse de la sismicité ancienne, des éventuels paléoséismes (voir page Evaluation de l’aléa sismique: La réglementation applicable aux sites nucléaires français #5) recensés à l’échelle régionale ou continentale et de l’analyse des failles. Cette évaluation peut faire l’objet d’un débat technique impliquant sismologues et géologues.
 

Il est ensuite nécessaire de sélectionner des équations de prédiction du mouvement sismique  (voir page Evaluation de l'aléa sismique: La réglementation applicable aux sites nucléaires français #6) qui permettent de calculer les mouvements sismiques (en pratique, une distribution caractérisée par une moyenne et un écart-type) au site choisi en fonction des paramètres de source tels que la magnitude et la distance des séismes (voir zone 3 dans la figure 1). La variabilité des mouvements sismiques est prise en compte dans les calculs PSHA en intégrant les prédictions jusqu’à un nombre d’écarts-types fixé. On quantifie ainsi la probabilité de dépassement d’une valeur de mouvement du sol au site.
 

La prise en compte des caractéristiques du sol sous les installations est nécessaire car les conditions géologiques locales peuvent modifier les mouvements sismiques. Ces conditions de sol peuvent en partie être prises en compte par les équations de prédiction du mouvement du sol ; toutefois, la pratique courante à l’international consiste à produire un PSHA pour un mouvement sismique qui ne tient pas compte des conditions de sol superficielles, puis dans un second temps à propager le mouvement sismique à travers un modèle de sol représentatif du site (c’est-à-dire pour prendre en compte les effets de site particuliers tels que ceux liés à la géométrie d’un bassin sédimentaire (voir page Qu’est-ce qu’un effet de site ?).
 

Les incertitudes associées aux séismes, aux données et aux modèles utilisés sont prises en considération par l’utilisation d’un arbre logique. Pour certains paramètres, les hypothèses alternatives sont représentées par des branches, auxquelles on associe un poids. Pour d’autres paramètres, on procède à un tirage aléatoire obéissant à une distribution de probabilité (voir Figure 2).
 


Figure 2 : Exemple d’arbre logique illustrant la prise en compte des incertitudes associées à la définition des zonages, des catalogues de sismicité et des équations de prédiction du mouvement sismique. Un poids est attribué à chaque branche de l’arbre logique (w). Les paramètres de sismicité soumis à des variations aléatoires sont tirés au sort dans des distributions de probabilité (ex. mécanisme de rupture des failles, profondeur des séismes et valeur des paramètres a et b des taux de récurrence en fonction de la magnitude).

 

Le calcul PSHA intègre ainsi l’ensemble des magnitudes possibles au prorata de leur taux de récurrence. Il est réalisé à partir d’un seuil de magnitude minimale en considérant que les séismes de magnitude inférieure à cette valeur ne sont pas endommageant. Dans la pratique, ce seuil est généralement compris entre 4 et 5. Les résultats sont présentés sous la forme de cartes (cf. Plan séisme) ou pour un site sous la forme de courbes d’aléa aux fréquences spectrales d’intérêt pour les applications d’ingénierie (voir zone 4 dans la figure 1) et de spectres d’aléa uniforme qui sont des spectres de réponse de l’accélération du sol pour des périodes de retour fixées (voir Figure 3). Des études de sensibilité et de désagrégation permettent enfin d’analyser en détail l’influence des paramètres et d’identifier les principaux scénarios qui contribuent à l’aléa sismique, respectivement.

 


Figure 3 : Exemple de résultats PSHA exprimés sous forme de courbes d’aléa pour des fréquences spectrales de 1 Hz, 5 Hz et 100 Hz (en haut) et de spectre d’aléa uniforme pour une période de retour de 10 000 ans, soit un taux annuel de 10-4/an (en bas).

 


Figure 4 : Exemple de désagrégation d’un niveau d’accélération spectrale pour une période de retour de 10 000 ans, soit un taux annuel de 10-4/an, exprimée en termes de contribution à l’aléa par intervalle de magnitude et de distance par rapport au site d’intérêt.