Savoir et comprendre

L'avenir de la zone d’exclusion de Tchernobyl et la contamination de l’environnement

15/04/2016

​​​L’environnement à proximité de Tchernobyl demeure une zone de très forte contamination. Trente ans après l’accident, la question de la reconquête de la zone d’exclusion est évoquée même si elle apparaît difficile à réaliser.

La zone la plus contaminée est localisée dans un rayon de 30 km autour de la centrale. Elle est couramment appelée «  zone d’exclusion » car, compte tenu du débit de dose qui y règne, les autorités ukrainiennes y interdisent toutes activités humaines (résidence, culture, exploitation forestière, chasse et cueillette).

 

A partir de 1991, en complément de la mise en place de la zone d’exclusion, un nouveau zonage plus précis a été défini en fonction de la contamination en césium 137 du sol (en becquerel par mètre carré, kBq/m2) qui est facilement mesurable. Il distingue :

  • les zones interdites. L’activité surfacique en césium 137 est supérieure à 1 480 kBq/m2 (débit de dose supérieur à 40 millisievert par an, mSv/an). Elles ont été totalement évacuées et il n’y a aujourd’hui aucune résidence permanente ni activité économique dans ces zones ;
  • les zones de relogement obligatoire. L’activité surfacique en césium 137 est comprise entre 555 kBq/m2 et 1 480 kBq/m2 (de 15 à 40 mSv/an). L’habitation et les productions agricoles sont interdites. Il convient de noter que, malgré cette désignation, ces zones n’ont été que partiellement évacuées ;
  • les zones de relogement volontaire. L’activité surfacique en césium 137 est comprise entre 185 kBq/m2 et 555 kBq/m2 (de 5 à 15 mSv/an). Les entreprises industrielles et agricoles ne peuvent pas être étendues et de nouvelles entreprises créées. Par ailleurs, les populations vivant dans ces zones peuvent demander un relogement mais n’y sont pas contraintes ;
  • les zones de contrôle radiologique. L’activité surfacique en césium 137 est comprise entre 37 kBq/m2 et 185 kBq/m2 (de 1 à 5 mSv/an). Des restrictions de mêmes natures que dans les zones à relogement volontaire s’appliquent uniquement aux entreprises dont l’activité peut affecter la santé des populations ou la qualité de l’environnement.

Le devenir de la zone d’exclusion et la gestion des déchets

Trente ans après l’accident, la question de la reconquête de la zone d’exclusion est évoquée. Une telle éventualité, impliquant la levée partielle ou totale des restrictions, doit être fondée sur une évaluation des expositions susceptibles d’être engendrées par les différentes activités qui pourraient être autorisées.  

Pour ce faire, l’impact des sites d’entreposage des déchets qui ont été volontairement localisés dans la zone d’exclusion, doit être apprécié afin de statuer entre les deux grandes options envisageables : la reprise des déchets ou le maintien de restrictions d’usage des sites qui les contiennent. 

Impact des déchets de faible à moyenne activité sur les stratégies de reconquête

 

Plus précisément, la principale interrogation porte sur les sites d’entreposage des déchets de faible et moyenne activité (entre 1 000 et 100 000 becquerels par gramme, Bq/g).

 

Bois, matériaux de constructions, végétaux, ces déchets représentent un volume de plus d’un million de m3. Surtout, ils ont été stockés dans des tumulus ou, le plus souvent, enfouis dans près de 800 tranchées non étanches toutes situées dans un rayon de 10 km autour du réacteur accidenté. 

 

Or, à partir des années 1990, une migration progressive des radionucléides dans les eaux souterraines a été détectée. Par ailleurs, les opérations de décontamination n’ont pas permis un enregistrement exhaustif des sites d’enfouissement et, aujourd’hui encore, certains d’entre eux ne sont pas répertoriés.

 

La maîtrise de l’exposition des populations repose sur la capacité à prédire, dans la durée, la dispersion dans l’environnement des polluants radioactifs venant des déchets, notamment dans les eaux souterraines. Pour ce faire, l’IRSN et des instituts ukrainiens mènent dans le cadre du projet Epic des recherches sur une tranchée située à 2,5 km du réacteur accidenté.

 

Actions de recherche menées par l’IRSN sur les tranchées

 

Les résultats des recherches menées par l’IRSN depuis 1999 plaideraient en faveur d’une politique de maintien de restrictions d’accès et d’usage des sites d’entreposage.

 

Ces conclusions doivent néanmoins être considérées avec prudence car elles supposent une confirmation à plus grande échelle des résultats obtenus des résultats obtenus sur la tranchée expérimentale.

 

Télécharger la note: Comment gérer les déchets issus de la contamination en cas de mise​ en œuvre d’un plan de reconquête de la zone d’exclusion ?

 

Les résultats montrent en effet, que le retour à un état radiologique permettant la levée de toute restriction d’usage impliquerait le retrait des déchets, de la couche de terre contaminée ainsi que de la biomasse contaminée contenue dans les tranchées. Cela conduirait à traiter un volume considérable de déchets (plusieurs dizaines de millions de m3) puis à les stocker sur un site aménagé.

 

Par ailleurs,  les recherches ont montré la pérennité de la contamination de la végétation (cf. schéma ci-dessous), au travers du cycle de production et de décomposition de la matière organique, qui constitue à ce jour la principale voie d’exposition dans la zone d’exclusion, à l’aplomb des sites d’entreposage. Il y a également lieu de s’interroger sur le potentiel de dispersion de la contamination dans l’environnement en cas d’incendie.

 

Évolution du flux de strontium dans la tranchée expérimentale

Évolution du flux de strontium dans la tranchée expérimentale

 

La présence de Strontium 90 détectée dans les végétaux replantés témoigne d’un transfert du radionucléide, du sol vers la végétation. Ce phénomène peut expliquer la diminution des concentrations en strontium 90 dans les eaux souterraines depuis 1998.

 

Compte tenu de l’ampleur des travaux et du caractère très localisé de l’impact radiologique des sites d’entreposage sur l’environnement, le maintien de restrictions d’accès à ces sites semble être la solution la plus réaliste pour limiter l’exposition des populations. 

 

Néanmoins, il convient que le contrôle des sites soit soigneusement exercé car des expositions liées au captage de la nappe et au rayonnement émis par la végétation pourraient être très élevées. En outre, certains sites contenant une activité extrêmement élevée pourraient nécessiter une reprise des déchets.  Le recensement de l’ensemble des sites et la confirmation du caractère localisé de leur influence sur l’état radiologique de l’environnement restent donc indispensables pour définir une stratégie optimisée de gestion des déchets.

 

Conséquences de l’accident de Tchernobyl sur la faune dans la zone d’exclusion

 

Trente ans après l’accident de Tchernobyl, de nombreux travaux ont été publiés sur ses conséquences sur la faune et la flore. Toutefois, les résultats sont souvent contradictoires en raison d’une multitude de facteurs potentiellement confondants.

 

Dans ce contexte, l’IRSN estime que l’évaluation des conséquences écologiques des accidents majeurs doit reposer sur la prise en compte de la dose absorbée totale, ce qui implique des collaborations entre différentes équipes et champs disciplinaires. Un travail qui a récemment été réalisé pour l’accident de Fukushima.

 

Télécharger la note Études écologiques conduites à long-terme sur la faune et la flore des territoires contaminés par les accidents de Tchernobyl et de Fukushima (PDF, 760 Ko)

 

Effets sur les invertébrés

 

La majeure partie des dépôts de radionucléides s’est concentrée dans les premiers centimètres du sol et dans la litière forestière exposant les invertébrés du sol à des doses supérieures à celles reçues par les autres animaux. Dans les deux mois qui ont suivi l’accident, 90% des invertébrés du sol qui occupaient la zone entre 3 et 7 km autour de la centrale ont disparu.

 

Au cours de l’année 1987, la population des invertébrés du sol dans la litière forestière a progressivement augmenté jusqu’à atteindre 45% de la population d’origine. Fin 1988, la mésofaune du sol (petits animaux dont la taille est comprise entre 0,2 et 4 mm) était quasiment restaurée.

 

Les conséquences sur le long terme semblent plus difficiles à évaluer. En effet, les avis divergent quant aux effets de la contamination radiologique sur l’abondance et la diversité des espèces. Des différences qui sont encore constatées dans les deux études les plus récentes :

  • Diminution de l’abondance des pollinisateurs dans les zones contaminées et diminution de la production de fruits (Møller et al., 2012). 
  • Effet modéré de l’exposition aux rayonnements ionisants sur l’assemblage de petits vers ronds collectés sur des sites forestiers 25 ans après l’accident (Lecomte-Pradines et al., 2014).

 

Effets sur les vertébrés

 

Petits rongeurs : Groupe de mammifères le plus abondant à Tchernobyl, ils ont été largement étudiés. À l’automne 1986, leurs populations en des lieux très contaminés ont été divisées par un facteur de 2 à 10. Puis, à partir du printemps 1987, aucune différence n’est mise en évidence entre les populations de micro-mammifères vivant dans des sites contaminés et celles des sites témoins. Cependant, de nombreux changements sont observés dans les organismes (anomalies de la formule sanguine, altérations histologiques de la rate et du foie ainsi que du système endocrinien).

 

Oiseaux : La majorité des études ont été réalisées plusieurs années après l’accident. Diverses publications de Møller et Mousseau concluent que, dans la zone d’exclusion, la richesse spécifique, l’abondance et la densité des populations d’oiseaux en milieu forestier décroissent avec l’augmentation du niveau d’exposition aux rayonnements ionisants. Selon les auteurs, l’abondance des oiseaux diminuerait de 60% entre les sites présentant des débits de dose ambiants compris entre 0,1 et 1 mGy/h en irradiation externe, et les sites témoins. 

 

Grands mammifères : Deux études récentes publiées en 2012 et 2015 n’arrivent pas à la même conclusion. Pour Møller et Mousseau, l’abondance de douze espèces (dénombrement des traces dans la neige), est corrélée négativement avec le niveau de radiations ambiant, avec des effets très marqués pour le renard et moindre pour le loup. Pour Deryabina, la densité des mammifères (dénombrement des traces dans la neige, comptage aérien) n’est pas corrélée à la contamination radioactive. La population de grands ongulés (élan, cerf, chevreuil, sanglier) est comparable à celles observées dans des réserves naturelles non contaminées, voire 7 fois supérieures pour les loups. Toutefois, ces données ne permettent pas de séparer l’effet positif dû à l’abandon de la zone par l’homme d’un potentiel effet négatif des radiations ionisantes.

 

Conséquences sur la flore de l’accident de Tchernobyl

 

Source : Antoine Dagan/Spécifique/IRSN

 

Impacts sur la forêt

 

A Tchernobyl comme à Fukushima, les forêts occupent une grande partie des territoires contaminés : 39% de la superficie touchée à Tchernobyl et 75% à Fukushima. Néanmoins, l’impact de l’accident de Tchernobyl a été bien plus grave dans la zone d’exclusion où une partie de la forêt a subi des dommages irréversibles.

 

Télécharger la note Gestion des milieux forestiers : les leçons tirées suite aux accidents de Tchernobyl et de Fukushima (PDF, 763 Ko)

 

Dans les premières semaines après l’accident de Tchernobyl, dans une zone de 6 km2, 90% des pins sont morts créant ainsi la « forêt rousse »  (dose absorbée létale de 60 à 100 Gy). Dans une zone de 38 km2 « sublétale » (dose absorbée de 30 à 40 Gy), entre 40% et 75% des arbres ont bruni et 95% ont été affectés dans leur croissance.

 

Suite aux opérations de nettoyage, les arbres morts ont été coupés et enterrés dans la zone d’exclusion sur une surface de 4 km2. À ce jour, la forêt rousse représente encore un volume de déchets important (500 000 m3) et une activité radiologique totale très élevée (0,4 pétabecquerel).

 

Aujourd’hui, la surface couverte par la forêt dans la zone d’exclusion est proche de 90%. Et pour cause : en évacuant les résidents et en interdisant toutes pratiques humaines, la forêt a été, par choix stratégique, laissée à une croissance naturelle. Ces forêts naturelles non entretenues, denses, peu accessibles sont cependant enclines à des feux extrêmes, difficilement contrôlables, en cas de sécheresse. 

 

Pour les impacts constatés dans les autres milieux forestiers touchés par la contamination, consulter l'étude « Effects of non-human species irradiation after the Chernobyl NPP accident » Geras’kin 2008 (en anglais)

 

Selon différents experts, la proximité des tranchées d’entreposages des déchets, l’absence d’aménagement des forêts et le recyclage naturel de la contamination (cf. schéma ci-dessous) font craindre une accumulation de biomasse pouvant conduire à de nouveaux relâchement et transferts atmosphériques en cas d’incendie.

 

Représentation du cycle biogéochimique des éléments dans les écosystèmes forestiers

Représentation du cycle biogéochimique des éléments dans les écosystèmes forestiers

 

Impacts sur le milieu aquatique

 

Les contre-mesures pour limiter les effets de la radioactivité ont beaucoup concerné les milieux aquatiques. L’accident de Tchernobyl a entrainé la contamination de vastes territoires (Ukraine, Biélorussie, Russie) par un large spectre de radionucléides, déposés essentiellement sous forme de particules chaudes dans un rayon de 60 km autour de la centrale de Tchernobyl.​

 

Les deux radionucléides dont la migration vers les cours d’eau (appelée aussi lessivage) est particulièrement préoccupante sont le césium 137 et le strontium 90. Leur lessivage représente une très faible part de la contamination existante, moins de 1 % par an environ (soit moins que la décroissance radioactive). Toutefois, il représente la principale source de contamination des rivières du bassin versant du Dniepr depuis la Russie et la Biélorussie jusqu’à l’Ukraine et son embouchure dans la mer Noire.

 

La contamination des cours est erratique. Elle diminue également en moyenne avec des demi-vies d’environ 2 ans et 15 ans pour le césium 137 total. Enfin, elle semble ne pouvoir mobiliser qu’une très faible part (moins de 10 %) de l’inventaire initialement déposé.

 

Les flux se déroulent essentiellement en période de crue. Les périodes critiques correspondent aux pluies intenses et la fonte des neiges où jusqu’à 900 km2 de sols fortement contaminés peuvent être inondés. Les eaux souterraines sont contaminées mais leur contribution à la contamination des cours d’eau est en général moins importante que les écoulements de surface.

 

Les territoires de la zone d’exclusion ont été inondés en 1988 et 1991, et constituent la principale source de contamination du fleuve Prypiat. En 1992-1993, des digues ont été construites sur la rive gauche et leur efficacité a été prouvée pendant les crues de l’été 1993, l’embâcle de l’hiver 1994 et la crue de 1999. 

 

Des digues ont également été ajoutées sur la rive droite entre 1999 et 2002, mais les travaux d’aménagement sont suspendus depuis. Plus en aval, le Dniepr est un fleuve régulé par une série de barrages dont la gestion a été optimisée pour limiter le transfert de radionucléides vers la mer Noire.

 

Télécharger la note: Impacts sur le milieu aquatique de l'accident de Tchernobyl  (PDF, 175 Ko)

 

Télécharger la note: Redistribution des dépôts radioactifs en situation post-accidentelle (PDF, 375 Ko)

 

Les contre-mesures pour limiter l​a contamination des produits agricoles

 

Dans les territoires fortement touchés de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine, des niveaux élevés de contamination des productions agricoles sont observés en 1986 et au cours des années suivantes. La contamination diminue ensuite au fil des années, de façon variable en fonction des dépôts, de la natures des sols et des pratiques agricoles.

 

En Biélorussie, 1,8 million d’hectares de terres agricoles ont été contaminées par l’accident de Tchernobyl, dont 265 000 hectares sont à ce jour, interdits à l’exploitation. En réponse, les autorités ont mis en place des contre-mesures pour limiter l’activité radiologique (cf. graphique ci-dessous) et, depuis 2001, redévelopper l’activité économique et la réinstallation des populations en milieu rural.

 

Aussi, l’agrochimie et les mesures technique ont permis une nette diminution depuis trente ans, des concentrations en césium 137 et en strontium 90 dans les denrées agricoles. Ces dernières ont été divisées par un facteur de 1,5 à 4 pour les produits agricoles (céréales, pommes de terre, légumes) et par un facteur de 3 à 7 pour les produits d’élevage (viande, lait, œufs). Enfin, l’activité radiologique pourrait encore être réduite d’un facteur de 1,5 à 2 grâce aux initiatives visant à spécialiser les exploitations sur de nouveaux produits agricoles.

 

Évolution des valeurs limites en césium 137 dans les denrées alimentaires fixées par les autorités en Biélorussie

Évolution des valeurs limites en césium 137 dans les denrées alimentaires fixées par les autorités en Biélorussie

Source : ministère des Situations d’urgence de Biélorussie