Savoir et comprendre

Comment l’IRSN a géré l’incident de la centrale nucléaire de Cruas

21/05/2012

Pour la première fois, dans la nuit du 1er au 2 décembre 2009, les deux voies de refroidissement des systèmes importants pour la sûreté d’un réacteur nucléaire ont connu des défaillances simultanées à la centrale nucléaire de Cruas. Aussitôt, une vingtaine d’agents d’astreinte ont rejoint le centre technique de crise de l’IRSN, à Fontenay-aux-Roses. 

ILa centrale de Cruas utilise l’eau du Rhône pour son refroidissement. Crédits : William Beaucardet/EDF Médiathèquel est minuit passé quand, dans la nuit du 1er au 2 décembre 2009, les bips et téléphones d’une vingtaine d’agents de l’IRSN se mettent à sonner. Chacun d’eux sait ce que cela signifie : il leur faut rejoindre le centre technique de crise (CTC) de l’Institut, à Fontenay-aux-Roses. Là, ils apprennent que la centrale nucléaire de Cruas a déclenché son plan d’urgence interne (PUI). Un incident s’est produit. Et ce n’est pas un exercice.

Cinq heures plus tôt, à 19 h 10, la voie A du circuit d’eau (circuit SEC) servant au refroidissement des systèmes importants pour la sûreté (IPS) du réacteur n°4 et qui utilise l’eau du Rhône a fait défaut. Conformément à la procédure prévue, l’exploitant a d’abord arrêté le réacteur en faisant chuter les barres de contrôle de la puissance du réacteur. Puis il a cherché à basculer le circuit d’eau SEC sur la voie B, qui double par précaution la voie A. Pour découvrir qu'elle était également indisponible…

Des événements de ce type sont déjà survenus sur les centrales françaises, notamment à Cruas six ans plus tôt, le 2 décembre 2003. Mais c’est la première fois dans l’histoire de l’exploitation des centrales françaises que les deux voies de refroidissement des systèmes IPS d’un réacteur se révèlent défaillantes en même temps.

 

Principe de refroidissement du réacteur n°4 de la centrale de Cruas lors des événements de décembre 2009

Principe de refroidissement du réacteur n°4 de la centrale de Cruas lors des événements de décembre 2009 

 

Le scénario de l’incident :

1er décembre 2009

  • 19 h 10 - Encombrée d’algues, la voie A du circuit de refroidissement des systèmes importants pour la sûreté (IPS) du réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Cruas devient indisponible (point 1 sur le schéma).
  • 19 h 30 - Le réacteur est mis à l’arrêt par la chute des barres de contrôle (point 2).
  • 20 h 30 - La voie B se révèle aussi défaillante.
  • 23 h 30 - L’exploitant déclenche le plan d’urgence interne (PUI).


2 décembre 2009

  • 00 h 45 - Gréement (activation) du centre technique de crise (CTC). Le refroidissement de divers systèmes IPS de l’installation se fera grâce à l’utilisation de l’eau contenue dans de vastes réservoirs (point 3) comme la bâche PTR.
  • 05 h 30 - Nettoyées, les voies A et B peuvent être utilisées de nouveau.
  • 06 h 30 - Levée du PUI et désactivation du CTC. 

 

 

Pas de place à l’improvisation

La cause de l’incident : 50m<sup>3</sup> d’élodées, une algue d’origine nord-américaine qui prolifère ces dernières années Une importante masse d’algues charriée par le Rhône à cause de fortes pluies a fini sa course en obstruant les stations de pompage de la voie A, puis de la voie B. « L’eau du Rhône étant temporairement inaccessible, il a fallu faire appel à d’autres sources d’eau froide », explique Véronique Bertrand, ingénieure spécialiste des sources froides à l’Institut.

Le circuit de refroidissement intermédiaire (circuit RRI), qui permet de refroidir certains matériels nécessaires à la sauvegarde du réacteur et lui-même refroidi normalement par le SEC, a utilisé l’eau d’un vaste réservoir appelé bâche PTR pour réguler sa température tandis que la puissance résiduelle du réacteur était évacuée au moyen des générateurs de vapeur utilisant l’eau d’un autre réservoir. « Un réacteur nucléaire peut continuer de fonctionner ainsi pendant environ cent heures, ce qui garantit suffisamment de temps pour rétablir l’accès à l’eau du Rhône », indique Véronique Bertrand.

Les dégrilleurs utilisés pour nettoyer et évacuer les débris n’ont pas suffi à dégager les voies de refroidissement du réacteur Au CTC, une vingtaine de personnes sont à leur poste. « Nous connaissons tous notre rôle, il n’y a pas d’improvisation », note Patricia Dupuy, chef du bureau d’évaluation de la conception et du fonctionnement des systèmes à l’IRSN et d’astreinte cette nuit-là.

Les uns travaillent à l’évaluation de l’état de l’installation et au pronostic concernant son état futur. Les autres calculent les conséquences radiologiques possibles en cas de détérioration de la situation. Une cellule mobile de l’Institut a également été alertée. Les sept personnes qui la composent se tiennent prêtes si besoin à se rendre sur le site de la centrale.

« En situation de crise, la mission des agents du CTC consiste à évaluer la situation, les risques et à conseiller les pouvoirs publics, en particulier l’Autorité de sûreté nucléaire, afin de protéger, le cas échéant, les populations et l’environnement », explique Éric Cogez, du bureau des situations d’urgence des réacteurs de puissance.

À Cruas, les agents d’EDF ont rapidement commencé le dégagement et le nettoyage des conduits. Le 2 décembre à 5 h 30, après que 50 m3 d’algues furent retirés, les deux voies du circuit SEC étaient de nouveau opérationnelles. Une heure plus tard, le PUI était levé, et le CTC désactivé.

 

Des procédures d’urgence efficaces

Vidéoconférence avec l’Autorité de sûreté nucléaire au centre technique de crise de l’IRSN, à Fontenay-aux-Roses. Les agents d’astreinte de l’IRSN disposent d’un plateau technique de 180 m². Des liaisons vidéo, audio et par fax – parfois dédiées et sécurisées – permettent l’échange d’informations avec l’ASN ainsi qu’EDF aux niveaux local et national.

La direction de la communication met en ligne, dès le lendemain, une note d’information sur le site de l’Institut. Depuis l’an dernier, il est prévu qu’une équipe de ce service soit présente au CTC lors des incidents. « Il revient à l’IRSN de communiquer auprès du grand public, en concertation avec les pouvoirs publics », détaille Marie-Pierre Bigot, directrice de la communication.

L’incident de Cruas montre que les dispositions en termes de conduite de l’installation ont fonctionné correctement et conformément à ce qui était prévu. « Il montre également qu’à cause d’une arrivée massive d’algues ou de végétaux il est possible de perdre les capacités de pompage de toute une tranche, mais aussi de tous les réacteurs d’une centrale », note Véronique Bertrand. L’incident de Cruas fait l’objet d’un retour d’expérience qui permettra de renforcer la sûreté des installations. 

 

« Cette situation n’avait pas été prévue à la conception »

« Dans les années 1970, lors de la conception des réacteurs nucléaires français, la situation de perte totale des deux voies redondantes du système de refroidissement n’avait pas été prévue.

Dans les années 1980, les études probabilistes de l’IRSN qui cherchaient à identifier l’ensemble des scénarios pouvant mener à un événement redouté ont révélé qu’il s’agissait là d’un point faible des installations.  

Dès lors, l’exploitant a pris en compte les conclusions de ces études, et des parades ont été implantées sur l’ensemble des réacteurs, notamment l’utilisation, en remplacement de la source d’eau froide, de l’inertie thermique offerte par les vastes réservoirs d’eau prévus pour le remplissage de la piscine du réacteur lors du rechargement du combustible.

Au final, ce travail a permis de contenir l’incident de Cruas au niveau 2 de l’échelle INES [l’échelle internationale des événements nucléaires], qui en compte 7. »

François Corenwinder, chef de bureau des études probabilistes de sûreté de niveau 1 à l’IRSN.

 

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