Savoir et comprendre

Groupes électrogènes à moteur diesel : un incident précurseur bénéfique au parc mondial

08/11/2013

Depuis 2009, des moteurs de secours en centrales présentent plusieurs défaillances.

Des investigations ont été menées et des solutions trouvées. Ce retour d’expérience a bénéficié à d’autres installations.

 

Comment un problème de matériel défaillant sur quelques groupes électrogènes a pu aboutir à un renouvellement de pièces mécaniques sur l’ensemble du parc nucléaire français (centrales nucléaires, mais aussi laboratoires et usines) et à l’international ? Comment cet événement a-t-il mené à de nouvelles procédures de surveillance ? C’est là toute la force du retour d’expérience (REX).
 

 

Qu’est-ce qu’un coussinet ?

Coussinet d'un moteur diesel d'un groupe electrogène

Il s’agit d’une petite pièce mince qui, lubrifiée, facilite le frottement entre l’arbre (vilebrequin) et les attelages mobiles d’un moteur diesel. Elle évite l’usure et, à terme, le remplacement de l’arbre. Un coussinet est constitué de deux demi-cylindres, d’environ 10 centimètres de diamètre. Il est en acier recouvert d’une couche de plomb.

Tout commence en 2008. Des avaries de moteurs diesels apparaissent lors de tests de sûreté sur les groupes électrogènes de secours de centrales à Chinon, en Indre-et-Loire, en Allemagne et en Chine. Ces essais périodiques ont pour but de surveiller les paramètres de fonctionnement. « Les exploitants concernés s’approvisionnaient tous chez le même fabricant finlandais de diesel, Wärtsilä », raconte Monique Davanture, spécialiste des groupes électrogènes de secours à l’Institut. « Les investigations menées ont mis en évidence une défaillance des coussinets liée à un défaut de fabrication. Ils s’échauffaient trop vite lorsque le moteur tournait et entraînaient son grippage. Le constructeur avait changé de fournisseur pour cette pièce. Mais il n’avait pas fait les essais de qualification nécessaires : les tests d’endurance dans des conditions extrêmes. » Wärtsilä demanda au fabricant de corriger la non-conformité. Une deuxième génération est alors mise sur le marché fin 2009.
 

L’année suivante, les nouvelles pièces installées posent problème. « Fin 2010, des avaries de moteurs diesels sont déclarées à la centrale de Cruas (Ardèche) et au Blayais (Gironde) », décrit Monique Davanture. « L’attention d’EDF est immédiatement attirée. Les expertises menées montrent une usure prématurée des coussinets de seconde génération. L’ASN et l’IRSN se penchent immédiatement sur la question. Ils entament le dialogue avec EDF, qui a trouvé lui aussi l’origine du problème. L’exploitant décide de passer les avaries de Cruas et Blayais en événements génériques, concernant tous les équipements du même type. Il lance des investigations sur l’ensemble de son parc. »
 

Environ 80 moteurs diesels, répartis sur les 34 réacteurs potentiellement concernés (tous ceux du palier 900 mégawatts) sont examinés. Il s’avère que 26 d’entre eux sont équipés de coussinets de deuxième génération. « Le cas le plus problématique se retrouve à Tricastin (Drôme) », poursuit la spécialiste. « Pour deux des quatre réacteurs, tous les diesels de secours sont équipés avec ces pièces jugées à risque. En février 2011, l’événement est classé niveau 2 de l’échelle INES. »

 

La surface en plomb se dégrade
 

L’exploitant prend une double décision préventive. Il l’applique à l’ensemble de son parc. Les coussinets endommagés de deuxième génération sont remplacés par des neufs. Une surveillance renforcée des moteurs diesels est mise en place. « À chaque essai périodique (tous les deux mois), EDF mesure la teneur en plomb de l’huile des moteurs », détaille Monique Davanture. « L’exploitant a montré que, lorsque la surface en plomb du coussinet se dégrade, des particules se retrouvent dans l’huile. Une corrélation est établie entre la concentration en plomb dans celle-ci et l’usure de la pièce. Un seuil est fixé, au-delà duquel cette dernière est considérée comme usée et doit être remplacée. » Saisi par l’Autorité pour expertiser la solution proposée, l’IRSN rend un avis favorable. Il demande des justifications complémentaires pour garantir que la surface du vilebrequin au contact du coussinet n’est pas endommagée. EDF mènera des investigations avec Wärtsilä pour répondre à cette question. Elles se révéleront rassurantes.
 

En parallèle de ce travail, le retour d’expérience se propage aux autres installations concernées. « Le diéséliste informe sa clientèle (EDF, Areva, les exploitants espagnols…) des problèmes rencontrés et des solutions proposées, notamment par l’exploitant », indique Hervé Bodineau. L’IRSN échange également avec ses homologues étrangers. « Nous avons présenté l’incident lors de réunions internationales en 2011 aux autorités et organismes de sûreté », témoigne Didier Wattrelos, spécialiste du REX international à l’IRSN. « Nous avons partagé nos informations et analyses avec l’Allemagne, l’Espagne, la Finlande…, en communiquant les numéros de lots concernés par les anomalies. »
 

En France, l’analyse est élargie aux réacteurs de recherche, aux laboratoires et aux usines. « Dès que le problème des coussinets a été connu, les spécialistes des REP à l’IRSN ont fait passer le message à leurs homologues », se souvient Marianne Berne, spécialiste du REX transverse à l’IRSN. « L’idée était de voir si ce type de problème avait déjà été rencontré, ou s’il risquait de l’être. »  

 

Des enseignements transposés à d’autres installations… et à l’étranger
 

Des événements similaires sur des groupes électrogènes avaient été recensés dans deux usines Areva : en 2008, dans l’usine de fabrication de combustible nucléaire Melox située à Marcoule (Gard), et, en 2010 dans celle de traitement des combustibles usés à La Hague (Manche). Les moteurs avaient connu plusieurs pannes successives, rendant difficile la remontée jusqu’à l’origine exacte du problème.
 

À la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Areva a procédé à l’examen de tous ses groupes électrogènes pour en vérifier l’usure des pièces. Les coussinets des moteurs diesels du site de La Hague (Manche) sont des modèles de seconde génération. Les mesures préconisées par Wärtsilä (et inspirées des procédures de l’exploitant français) ont été instaurées, comme le suivi de la teneur en plomb des huiles. Ces pièces avaient été installées sans surveillance particulière, à la suite de dégâts importants survenus lors d’un essai de moteurs en mars 2010. Le ‘REX diesel d’EDF’ n’était pas encore connu. « Le diffuser à l’ensemble des exploitants nucléaires, dont Areva, a aidé à corriger le tir et à mettre au point une maintenance préventive », souligne Hervé Bodineau.
 

À l’inverse, l’exploitant a été conforté dans son choix pour l’usine de fabrication de combustible Melox de Marcoule (Gard). « En 2008, le même type d’avaries de moteurs diesels a été enregistré. L’exploitant avait opté pour la location de groupes électrogènes mobiles provisoires en attendant de remplacer les anciens moteurs fixes par de nouveaux. Le choix s’est porté sur ceux de la marque Caterpillar. L’exploitant a vérifié que ceux-ci n’étaient pas équipés des mêmes pièces défectueuses que ceux de Wärtsilä », développe le spécialiste.
 

À l’international, ce ‘REX diesel’ a également été partagé. « Les experts de l’IRSN nous ont tout de suite informés car ils savaient que certaines de nos centrales disposaient de coussinets du même fabricant », se souvient le Dr Albert Kreuser, spécialiste des REX à la GRS[1], homologue de l’IRSN en Allemagne. « Nous avons à notre tour fait passer l’information aux deux exploitants concernés. Depuis, les réacteurs en question ont été fermés à la suite de décisions politiques – et non à cause de ce dysfonctionnement. » Tous les enseignements tirés par EDF (procédure de surveillance rapprochée, travail en partenariat avec Wärtsilä pour concevoir des équipements fiables…) sont profitables à toutes les installations par l’intermédiaire du fabricant.
 

[1] Gesellschaft für Anlagen-und Reaktorsicherheit

 

  Une 3e génération de coussinets en fabrication
 

Pour l’exploitant, l’autorité de sûreté ou l’appui technique, la solution retenue garantit un fonctionnement sûr des réacteurs, mais ne suffit pas. L’objectif reste d’en trouver une qui soit pérenne. EDF poursuit ses investigations pour identifier la cause de l’usure prématurée des coussinets : il s’agirait d’un écart géométrique avec ceux d’origine qui perturberait la circulation d’huile. L’exploitant travaille en partenariat avec le diéséliste pour concevoir de nouvelles pièces. « Il a pris le dossier à bras-le-corps », reconnaît Hervé Bodineau. « Il a mobilisé ses équipes de recherche, en développement et en expertise. »
 

Fin 2012, une troisième génération passe des essais de qualification en usine. L’IRSN a été saisi par l’ASN pour évaluer les résultats, qui semblent prometteurs. « Un avis favorable a été rendu sur ces nouveaux coussinets », indique Monique Davanture. « Ils ont été testés en grandeur réelle sur un moteur diesel du parc d’EDF. Des justifications complémentaires ont toutefois été demandées sur leur tenue à des vitesses plus élevées que celles testées jusqu’alors. » Si tout se passe bien, Wärtsilä pourra lancer la fabrication de cette troisième génération en attendant que soit développé et qualifié un nouveau type de coussinets. Il changera les pièces potentiellement défectueuses de ses clients au fur et à mesure des maintenances. Ce travail aura servi la sûreté bien au-delà des frontières hexagonales.