Appréhender et gérer les lésions radiques digestives : importance de la réaction muqueuse et nouvelles orientations thérapeutiques

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26/01/2010


​Agnès François a soutenu son HDR le 28 septembre 2007 à Fontenay-aux-Roses.

Jury


Mme Nina Griffiths, chercheuse au CEA de Bruyère le Châtel 

M. Jean Bourhis, chef du Département de radiothérapie de l’Institut Gustave Roussy

Mme Jacqueline Férézou-Viala, chercheuse Inserm, Université Paris Sud 

M. Marc Benderitter, chef du Laboratoire de RadioPAThologie, IRSN 

Mme Isabelle Martelly, CRRET, CNRS, Université PARIS XII



Résumé


La radiothérapie reste aujourd’hui incontournable dans la prise en charge des pathologies cancéreuses, et concerne 50 % des protocoles anti-tumoraux. Elle est cependant associée à des effets secondaires, dont la gestion devient une priorité face à l’augmentation du nombre de personnes ayant été soignées et vivant aujourd’hui de nombreuses années après leur traitement. Améliorer la qualité de vie des patients et limiter les possibles impacts cliniques mais aussi psychologiques et sociaux des séquelles des radiothérapies motivent les recherches mécanistiques et pré-cliniques dont l’objectif est de prévenir et/ou de réverser les pathologies associées à l’irradiation thérapeutique. L’évolution récente de la majorité des protocoles de radiothérapie, dont les radiothérapies pelviennes, a certes vu globalement diminuer les volumes de tissus sains irradiés mais présente une tendance générale à l’intensification d’un traitement souvent associé à d’autres stratégies cytotoxiques, et à l’augmentation de la sévérité des effets secondaires.


Les conséquences précoces de l’irradiation des tissus sains digestifs sont essentiellement muqueuses et caractérisées par une inflammation plus ou moins sévère et l’apparition d’ulcères. L’expression clinique consiste en des épisodes diarrhéiques et des douleurs abdominales. Les séquelles chroniques sont essentiellement des fibroses tissulaires, responsables de désordres cliniques liés à un durcissement, une perte de flexibilité et de fonctionnalité de la paroi intestinale pouvant aboutir à une occlusion complète du tube digestif. Histologiquement, le tissu irradié est atrophique, plus ou moins envahi de fibroblastes et l’architecture normale est progressivement remplacée par des dépôts collagéniques pauvrement vascularisés. L’activation fibroblastique et le dépôt de matrice extra-cellulaire sont caractéristiques de la réponse tissulaire post-traumatique et la fibrose radique peut être comparée à un processus cicatriciel chronique auto-entretenu.


Les concepts ont fortement évolué depuis quelques années (Bentzen, 2006). Le principe de la cellule cible suggère que les effets tissulaires des rayonnements sont liés uniquement aux pertes cellulaires radio-induites. S’il reste en partie valable pour les effets précoces, le concept de la cellule cible n’est pas applicable pour les effets tardifs. Les lésions radio-induites résultent d’une réponse biologique concertée au niveau cellulaire et tissulaire, initiée au moment de l’irradiation et caractérisée par l’activation de tous les compartiments et de tout ou partie des types cellulaires qui les composent. La notion de continuum entre les phases aigues et tardives offre la possibilité d’intervenir précocément avant ou durant la phase initiale de la réponse aux rayonnements et de moduler les conséquences cellulaires et tissulaires de l’irradiation par exemple en limitant la production et/ou l’action précoce de cytokines et de facteurs pro-fibrosants. De même, la notion d’effet conséquentiel suggère que, même si l’expression clinique des dommages aigus se résorbe souvent d’elle-même quelques semaines après la fin de la radiothérapie, l’induction de lésions précoces sévères lors de l’application de protocoles anti-tumoraux plus aggressifs que les protocoles conventionnels pourrait être un facteur de risque dans l’apparition de séquelles tardives.


Pour limiter les dommages aux tissus sains, les thérapeutes ont commencé par réduire, à l’aide des nouvelles techniques de radiothérapie et d’imagerie médicale, la dose reçue et le volume de tissus normaux irradiés. Malheureusement, les relations entre la dose d’irradiation, le volume irradié, le développement des complications et la qualité du contrôle tumoral sont extrêmement complexes. Face à la difficulté d’obtenir une réversion des lésions fibro-atrophiques radio-induites, une intervention thérapeutique précoce pour limiter les dommages aux tissus sains apparaît incontournable dans la gestion future des séquelles des radiothérapies. Certaines limites sont cependant associées aux stratégies de prévention des lésions radiques. Les stratégies thérapeutiques précoces mises en place avant, en concomittance ou juste après la radiothérapie doivent protéger les tissus sains et/ou favoriser leur régénération sans modifier ni la croissance tumorale ni sa radiosensibilité. De plus, tant qu’il ne sera pas possible d’identifier très précisément les patients à risque, le ou les traitements préventifs devront être administrés à tous les patients exposés aux rayonnements. Enfin, l’intervention thérapeutique dans le cas des expositions accidentelles ne peut avoir lieu qu’après un délai non négligeable, ce qui exclut l’applicabilité d’une stratégie thérapeutique basée sur la prophylaxie.


La recherche thérapeutique doit s’orienter vers la mise en place de stratégies complexes, avec pour objectif de trouver le meilleur compromis pouvant intervenir sur une multiplicité d’acteurs cellulaires et moléculaires. Trois axes majeurs devront être gardés à l’esprit dans les perspectives thérapeutiques concernant le tissu digestif :


1. Lutter contre la rupture de l’homéostasie épithéliale en augmentant le pool de cellules avant irradiation et en favorisant les processus de restitution et de régénération épithéliale par la stimulation de la prolifération des cellules des compartiments progéniteurs.

Plusieurs facteurs de croissance, stimulant la prolifération des cellules des compartiments progéniteurs de la muqueuse ou réduisant l’apoptose entérocytaire, reduisent les lésions radiques digestives et démontrent ainsi la nécessité de protéger l’homéostasie épithéliale sur des modèles pré-cliniques d’irradiation digestive et sur des suivis à court terme. Un seul facteur de croissance est actuellement utilisé chez l’homme pour protéger la muqueuse orale, le Kératinocyte Growth Factor ou Kepivance®. Nous avons pu démontrer que la protection de l’homéostasie épithéliale par l’administration de Glucagon-Like Peptide II, facteur trophique intestinal, est capable de supprimer l’ulcération précoce et de limiter la fibrose radique intestinale. De la même manière, jouer sur le micro-environnement muqueux en administrant des cellules souches mésenchymateuses pourrait réduire les lésions structurelles et fonctionnelles de l’épithélium intestinal.

2. Lutter contre les changements phénotypiques des cellules, et plus globalement contre l’activation cellulaire et ses conséquences : activation de l’endothélium vasculaire et initiation des processus inflammatoires et thrombotiques; activation des cellules musculaires lisses vasculaires et sténose ; hypoxie tissulaire et stress oxydatif ; recrutement et activation des cellules du mésenchyme et déséquilibre matriciel.
Des études pré-cliniques dans plusieurs laboratoires ont démontré l’effet bénéfique de différentes stratégies anti-inflammatoires et anti-thrombotiques. Les recherches sur les mécanismes précoces de l’activation endothéliale et les conséquences sur le comportement des cellules musculaires lisses vasculaires ainsi que le rôle de l’activation pro-thrombotique sont en cours au laboratoire. Les stratégies anti-oxydantes peuvent également limiter les lésions tissulaires aiguës sur des modèles pré-cliniques et l’amifostine chez l’homme prévient les lésions oesophagiennes associées aux radiothérapies pulmonaires et dans certaines études les lésions rectales liées aux radiothérapies digestives. Actuellement, seule une stratégie anti-oxydante, l’association d’alpha tocophérol et de pentoxiphylline est capable de réverser une lésion fibro-atrophique cutanée ou une ostéoradionécrose radio-induite. Des essais ont été faits sur les séquelles des radiothérapies pelviennes mais les résultats restent mitigés (Gothard et al., 2005). Enfin, les mécanismes de l’activation des cellules du mésenchyme et des essais thérapeutiques de prévention et de réversion de la fibrose radique intestinale avec comme cible les cellules mésenchymateuses sont en cours au laboratoire.
Contrat post-doctoral Octobre 2006-Octobre 2008 : Les projets de recherche sur le système des endothélines dans la prévention des lésions digestives précoces sont basés sur le rôle que pourraient jouer les endothélines dans la majorité des processus physiopathologiques observés après exposition aux rayonnements ionisants.
L’endothéline-1 est impliquée dans les processus d’ulcération de la muqueuse digestive et de fibrose tissulaire en particulier par l’activation des cellules du mésenchyme et des mastocytes, et oriente le système vasculaire vers des caractéristiques observées après exposition aux rayonnements ionisants, à savoir la stimulation de processus pro-thrombotiques et pro-inflammatoires. Enfin, des antagonistes des récepteurs aux endothélines sont utilisés actuellement chez les patients hypertendus et donc disponibles pour des essais thérapeutiques pré-cliniques dans le cadre de la problématique des lésions radiques.
Contrat de thèse Septembre 2007-Septembre 2010 : Les mastocytes sont impliqués dans de nombreux processus physiologiques et physiopathologiques, de par la multiplicité des médiateurs qu’ils sont susceptibles de libérer. Le rôle des mastocytes dans les lésions radiques digestives a été peu étudié et l’objectif du projet de thèse est de comprendre les intéractions entre les mastocytes et le système des endothélines dans les phases précoce et tardive de l’entérite radique.


3. Considérer la globalité des effets secondaires, et prendre conscience qu’il existe, en plus de la pénombre physique liée à la configuration de l’irradiation, une pénombre biologique, c'est-à-dire une répercussion potentielle des effets de l’irradiation en dehors du champ, sur la globalité d’un organe voire d’un organisme, et ce dans les configurations thérapeutiques et accidentelles.

Contrat de thèse Septembre 2008-Septembre 2011 : l’étude des dysfonctionnements digestifs en dehors du champ d’irradiation sera abordée avec une orientation particulière vers le rôle du système nerveux entérique. La définition des objectifs précis du projet de thèse est en cours.
Un suivi fonctionnel de l’intégralité du tractus gastro-intestinal, en termes d’activité motrice et de transport intestinal, sera systématique dans l’appréciation des bénéfices thérapeutiques des futures molécules testées. La gestion des séquelles des radiothérapies est une partie intégrante des traitements anti-cancéreux, et comme évoqué par Pedersen en 1994, le succès thérapeutique implique que le patient soit en vie, soigné, et libre de toute pathologie associée au traitement (Pedersen et al., 1994).
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