Savoir et comprendre

Réacteurs en exploitation : se préparer au démantèlement à grande échelle

24/01/2018

​Avec l’arrivée en fin de vie de nombreux réacteurs en exploitation, se pose la question de leur démantèlement de manière rapprochée. En France et dans le monde, les enjeux sont similaires : d’une part, dégager des moyens techniques, humains et financiers importants et d’autre part, gérer les volumes de déchets radioactifs et les combustibles usés issus des opérations de démantèlement.
 

En France, l’article L. 593-25 du code de l’environnement indique que le délai entre l’arrêt définitif d’une installation nucléaire et son démantèlement doit être aussi court que possible, dans des conditions économiques acceptables. En outre, la doctrine française visant à « l’assainissement complet » des sites peut induire des travaux susceptibles de s’étaler sur plusieurs années.
 

Sur le plan technique, le démantèlement des réacteurs à eau pressurisée (REP) de 2e génération d’EDF ne met pas en évidence de difficulté rédhibitoire : disponibilité des techniques, des compétences et du tissu industriel, y compris pour la gestion des déchets, conception des installations favorable. Le retour d’expérience, notamment international, confirme ce point. Il s’agit toutefois de chantiers longs et complexes.
 

Par ailleurs, dans l’hypothèse d’un arrêt des réacteurs REP à une cadence similaire à celle de leur mise en service - à savoir sur une période de 20 à 25 ans -, leur démantèlement nécessiterait d’engager simultanément des capacités techniques, humaines et financières très importantes. Il faudrait également gérer un volume important de combustibles usés et de déchets radioactifs résultant de la préparation puis de la conduite du démantèlement.

 

​Années de construction et répartition des réacteurs de puissance en France
 

Années de construction et répartition des réacteurs de puissance en France

Stratégie de démantèlement d'un réacteur de 2e génération
 

Pour une paire jumelée de réacteurs de 900 MWe, EDF a retenu une phase de transition entre le fonctionnement et le début du démantèlement de l’ordre de 5 ans et un déroulement des travaux de démantèlement sur environ 20 ans. Cette durée intègre la démolition des bâtiments et la réhabilitation du site en vue d’un usage industriel postérieur, le site restant propriété d’EDF.
 

Une préparation efficace, un enclenchement immédiat du démantèlement puis son déroulement de manière ininterrompue, permettent de bénéficier des connaissances du personnel ayant participé au fonctionnement du réacteur. Or, la connaissance de l’état initial est essentielle dans le choix de la stratégie de démantèlement. À cet égard, tirant les enseignements des démantèlements actuels, EDF a mis au point une collecte systématique et largement automatisée des données et informations qui intéressent le démantèlement des réacteurs REP. 
 

Enfin, les innovations, qu'elles soient technologiques (stockage numérique centralisé de tous les éléments d’un projet, simulation 3D/4D, réalité augmentée, réalité virtuelle, robotique…) ou organisationnelles (relations plus collaboratives, limitation des interfaces...) permettent d'améliorer les opérations de démantèlement.

 

 

La centrale nucléaire EDF de Chooz (Ardennes) comporte trois réacteurs nucléaires. Aujourd'hui en démantèlement, Chooz A (à droite) est le premier réacteur à eau sous pression à avoir été mis en service en France. A l'inverse, les deux réacteurs de Chooz B (à gauche) sont les deux derniers avoir été mis en service en France (© Dureuil/IRSN)

 

Préparation du démantèlement
 

Après l’arrêt de production d’un réacteur, EDF prévoit de réaliser différentes opérations avant de débuter le démantèlement proprement dit : l’évacuation du combustible usé et des déchets de fonctionnement, ainsi que le réaménagement de la salle des machines pour la gestion des déchets.

 

S’y ajoutent, selon EDF, le démontage des matériels conventionnels réutilisables, la création d’aire d’entreposage et l’aménagement de locaux pour la gestion des déchets, la rénovation ou l’adaptation des utilités (alimentation électrique, fourniture des fluides…), la vidange des circuits de procédé, le retrait des calorifuges, des caractérisations « intrusives » et la décontamination poussée des circuits. Après la réalisation de ces opérations, le réacteur atteint son état initial de démantèlement.

 

Évacuation du combustible usé et des déchets de fonctionnement
 

Le combustible usé est susceptible d’engendrer les conséquences les plus importantes en cas d’accident. Aussi, son évacuation est à réaliser en priorité. Dans une moindre mesure, les déchets de fonctionnement les plus radioactifs, à savoir des déchets classés de moyenne activité à vie longue (MA-VL), sont également concernés.
 

Pour le combustible usé d’un réacteur, EDF estime être en mesure de réaliser son évacuation en 3 ans, soit un délai relativement rapide. Toutefois, ce type d’opération se fera simultanément aux évacuations courantes venant des réacteurs en fonctionnement, ce qui implique des matériels suffisants (emballages de transport, installations de réception...).
 

S’agissant des déchets MA-VL, leur évacuation pourrait avoir lieu en amont de l’arrêt de production du réacteur, durant l’étape de transition ou en début de démantèlement. Ce transfert se fera vers l’installation ICEDA, implantée sur le site de la centrale nucléaire du Bugey (Ain), dont le fonctionnement devrait d'ici fin 2020.

 

Décontamination poussée des circuits
 

L’objectif de cette décontamination est de diminuer les débits de dose dans les locaux afin de limiter l’exposition des travailleurs et de rendre moins radioactifs les déchets en vue de leur stockage.
 

Cette décontamination implique généralement la mise en œuvre de substances chimiques et la création de déchets liquides. Les modalités doivent donc intégrer la recherche du meilleur compromis entre la production de déchets (solides et liquides), le rejet d’effluents (liquides et gazeux) dans l’environnement et l’exposition aux rayonnements ionisants des travailleurs.

 

Démantèlement

 

Chaque réacteur dispose d’un plan de démantèlement qui présente les principes et les étapes envisagés pour le démantèlement et la remise en état du site. Joint à la demande de création de l’installation, ce plan est mis à jour régulièrement.

 

Des systèmes prévus pour le démantèlement
 

Des systèmes et moyens présents dans le réacteur au moment de son arrêt définitif peuvent être réutilisés pour les besoins de démantèlement. Il s’agit notamment des circuits d’air, d’eau et de transfert des effluents radioactifs et des systèmes de ventilation, d’alimentation électrique, de détection et d’extinction incendie, de contrôle/commande et de communication ainsi que des moyens de manutention et de gestion des déchets. 
 

Toutefois, leur vieillissement ou l’obsolescence technologique nécessite de vérifier leur réutilisation, en particulier lors de l’examen de sûreté réalisé dans le cadre de la demande de démantèlement. La mise en place de systèmes neufs permet d’éviter ces difficultés et favorise, d’une part la standardisation et la mutualisation des systèmes, d’autre part une conduite du démantèlement par zones géographiques successives plutôt que par systèmes successifs.

 

L’enjeu du circuit primaire

 

Lors du démantèlement d’un réacteur REP, une fois le combustible nucléaire évacué, le circuit primaire principal, qui concentre la majorité de la radioactivité résiduelle, est l’un des principaux enjeux en termes de complexité et de sûreté des opérations, de radioprotection des travailleurs et de gestion des déchets.
 

Les composants peuvent ainsi être évacués monoblocs du réacteur pour être éliminés en l’état, découpés sur place puis évacués en morceaux avec ou sans conditionnement additionnel selon leur radioactivité, ou encore retirés puis découpés ailleurs.
 

En outre, les opérations peuvent être conduites dans leur intégralité dans l’air ambiant ou en partie dans l’eau pour les composants les plus radioactifs – notamment les internes de cuve. Enfin, les découpes d’un composant peuvent être effectuées avec un outil mécanique (scie, cisaille, jet d’eau…), thermique (torche à plasma, chalumeau, laser…) ou utiliser plusieurs techniques.

Seule une analyse détaillée permet d’effectuer les choix qui intègrent les exigences fixées par l’exploitant. Néanmoins, le recours à une solution identique pour tous les réacteurs présente des avantages en termes de standardisation des opérations, de formation des opérateurs et de maîtrise des activités et des risques.

 

Trois options de démantèlement
 

In fine, un démantèlement peut être conduit selon trois options : en débutant par les parties les moins radioactives (logique « froid vers chaud »), l’inverse (logique « chaud vers froid ») ou en conjuguant les deux options précédentes. Seule une analyse détaillée permet de définir le meilleur compromis.
 

La première option permet un entraînement des équipes d’intervention lors des chantiers les plus simples et de bénéficier d’une décroissance radioactive significative pour le démantèlement du circuit primaire principal, qui intervient environ 15 ans après l’arrêt de production.

 

La deuxième option est plutôt proposée par les industriels ayant des équipes formées à la conduite d’opérations complexes. Concrètement, l’évacuation dès le début des composants du circuit primaire principal permet une diminution significative des débits de dose dans les locaux du bâtiment du réacteur pour les opérations suivantes. 
 

La troisième option retient un déroulement d’opérations dans plusieurs endroits du réacteur en même temps et tient compte de la nécessité d’effectuer des aménagements dans le bâtiment du réacteur pour démanteler les composants du circuit primaire principal.

 


Opérations de décontamination mécanique (à gauche) et chimique (à droite) à la centrale nucléaire de Greifswald, en Allemagne (© Dureuil/IRSN)

 

Gestion des déchets radioactifs
 

Les quantités de déchets produits par le démantèlement d’un réacteur dépendent de nombreux facteurs tels que la conception du réacteur, les modalités de gestion durant le démantèlement et le tissu industriel accessible pour leur recyclage ou élimination, en lien avec la classification des déchets et la réglementation environnementale en vigueur dans chaque pays. Ces quantités sont à mettre au regard de la durée des opérations pour estimer les flux à gérer et à évacuer.

 

Des volumes de déchets radioactifs plus importants en France
 

Cuve extraite monobloc à la centrale de Greifswald (Allemagne)  
Cuve extraite monobloc à la centrale nucléaire de Greifswald (Allemagne), en démantèlement (© Dureuil/IRSN)

Pour le réacteur REP de 900 MWe de Fessenheim, les déchets radioactifs bruts sont évalués par EDF à 18 000 tonnes pour une masse totale de structures et matériels d’environ 380 000 tonnes. Composés d’éléments métalliques ou à base de béton, ils se répartissent en trois catégories : 65 % de déchets de très faible activité (TFA), 35 % de déchets faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) et moins de 1 % de déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL).
 

En Allemagne, les estimations sont de 3 400 à 4 700 tonnes pour une masse totale d’environ 600 000 tonnes.
 

La différence s’explique par la pratique de la « libération » des déchets, lesquels sont considérés comme « conventionnels » en dessous d’un certain niveau de radioactivité en Allemagne. En France, tous les déchets issus d'un démantèlement sont stockés dans des centres prévus à cet effet (voir ci-dessous).
 

Cet écart a également pour origine la stratégie allemande visant à limiter l’assainissement des bâtiments pour réduire le délai d’atteinte de l’état final et ainsi réduire les coûts.

 

Traitement et stockage des déchets
 

Sur le site à démanteler, les déchets sont gérés avec les moyens existants réutilisés à l’identique ou adaptés, ou encore avec des moyens spécifiquement créés pour le démantèlement. Ils sont ensuite évacués bruts, partiellement traités (décontaminés, découpés, compactés…) ou prêts à être stockés.
 

Les déchets peuvent être traités dans une autre installation appartenant à l’exploitant (exemple : installation ICEDA au Bugey, voir plus haut) ou à un opérateur spécialisé, implanté en France (usine Centraco de Marcoule, dans le Gard) ou à l’étranger (usine Cyclife en Suède). 
 

Dans un dernier temps, les déchets sont é​vacués vers les centres de stockage en surface exploitées par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Pour les déchets à vie longue, il n’existe pas encore de solution opérationnelle. Le stockage réversible en couche géologique profonde d’argile est l'option retenue depuis la loi votée en 2006 et confirmée dans une autre loi de 2016. Il a été évalué dans le cadre du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) à Bure (Meuse/Haute-Marne).