Savoir et comprendre

Résumé

Information sur le nucléaire : entre secret et transparence

21/05/2012

Débat autour de l'information sur le nucléaire : Monique Sené et Didier Champion s'accordent sur la nécessité d'informer le public Source : Magazine Repères n°3, Septembre 2009 

Les analyses contestées des retombées de l’accident de Tchernobyl en France ont fait entrer l’information sur le nucléaire dans l’ère du soupçon. La loi de 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a-t-elle changé la donne ?

Le point avec Monique Sené, vice-présidente de l’Ancli [1], et Didier Champion, directeur de l’environnement et de l’intervention de l’IRSN.

L’information sur le nucléaire est-elle plus transparente aujourd’hui qu’à l’époque de l’accident de Tchernobyl ?

Didier Champion : Sans aucun doute. Par exemple, l’IRSN fournit un effort accru pour informer la population sur l’impact de la radioactivité présente dans l’environnement. Les résultats de mesures de la radioactivité de l’environnement obtenus par l’IRSN, mais aussi les rapports d’étude et des fiches synthétiques sont disponibles sur le portail de la radioactivité dans l’environnement, accessible à tous depuis le site Internet. Internet ouvre de nouvel les possibilités, tant pour la publication que pour la conservation des informations.

Monique Sené : Il est vrai qu’après l’accident de Tchernobyl, nous avons constaté une tendance à ne pas croire les discours officiels. Qu’en est-il aujourd’hui ? Dans la Gazette Nucléaire, journal associatif, nous avions défini la transparence comme cette obscure clarté qui tombe des ministères ou des experts. La notion de transparence se heurte en effet à celle de secret. Secret commercial ou industriel, secret financier, secret médical… sans oublier le secret défense, le plus “méchant” de tous ! L’accès à certains dossiers s’avère aujourd’hui encore difficile. D’autant qu’il peut arriver que nous ne connaissions même pas l’existence d’un dossier. Et dans ce dernier cas, comment demander à le consulter ? 

 

Vous laissez entendre que des résistances subsistent, malgré la loi de 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire ?

M. S. : Les directions des sites nucléaires ne font pas toutes preuve de la même ouverture. Il arrive que certaines questions restent sans réponse pour des motifs qui s’avèrent peu sérieux. Lorsque nous avons voulu obtenir des informations sur la reprise des stériles hors sites des anciennes mines du Limousin, Areva a prétexté différentes raisons pour ne pas répondre. Il a suffi d’une émission télévisée[2] pour que la réponse soit donnée… Cela semble prouver que les gens doivent mener des actions d’éclat pour obtenir des informations ! Et c’est dommage !

D. C. : Le développement de la culture de sûreté nucléaire s’accompagne d’un effet de loupe paradoxal. La transparence produit une sensation biaisée. En donnant des informations sur le moindre incident dans les installations nucléaires, on peut laisser croire que le nucléaire souffre d’une mauvaise gestion. C’est pourquoi certains acteurs estiment que la diffusion d’informations peut susciter des craintes.
L’IRSN a adopté une position claire : il est préférable d’informer la population, même sur des sujets sensibles comme les accidents nucléaires, plutôt que de laisser planer une suspicion de dissimulation, voire de mensonge. Aujourd’hui de nombreuses informations sont disponibles. Toutefois, l’idée que le nucléaire est opaque est encore fortement ancrée dans les esprits. En dehors d’événements radiologiques très médiatisés, on observe peu de réactions du public pour ces informations.

 

Est-ce à dire que les citoyens ne cherchent pas sérieusement à obtenir des informations sur le nucléaire ?

M. S. : Une des raisons pour lesquelles les citoyens ont du mal à poser des questions réside dans la difficulté d’accès aux documents, qui peut provenir de l’administration elle-même. La commission d’accès aux documents administratifs peut très bien refuser la divulgation d’un document. S’il est nécessaire pour obtenir une réponse de passer par les tribunaux, le temps et l’argent que cela exige sont franchement dissuasifs. Il vaut mieux arriver à des conciliations mais cela n’est pas toujours évident.

D. C. : Il m’est arrivé d’entendre des personnes reprocher à l’IRSN d’être un organisme d’État et, de ce fait, soupçonné de donner des informations biaisées. Il faut tout de même reconnaître à l’État un rôle de service public et de défense de l’intérêt général. Et si l’on sort du cadre étatique, se poseront les questions : “Qui paie ? Dans quel intérêt ?” La transparence du financement est un point essentiel pour un sujet aussi sensible.

 

Les difficultés du dialogue entre la population et les experts sont-elles accentuées par la technicité du sujet ?

D. C. : La transparence doit s’accompagner d’un travail d’interprétation et d’explication. Il ne s’agit pas de donner des informations brutes mais également d’éclairer leur sens. L’IRSN met en œuvre ce principe et joue pleinement son rôle en fournissant, en plus des données radioécologiques accessibles sur son site Internet, un support documentaire indispensable à leur compréhension. Nous ne cherchons pas à rassurer ou à inquiéter la population, mais à démystifier un sujet souvent source de fantasmes dans l’opinion.

M. S. : Ces inquiétudes ne relèvent pas que du fantasme. À un moment donné, les citoyens apprennent que ce dont ils ont tiré avantage génère également des problèmes. Je pense par exemple à la gestion des déchets. D’un seul coup, ils se retrouvent face à des conséquences sur lesquelles ils n’ont pas été informés au préalable et se sentent piégés, ce qui rend tout dialogue difficile. Pour éviter ce type de situation, il est bon de faire la lumière sur toutes les étapes d’un dossier. Et cela implique évidemment de réfléchir à la façon de faire comprendre les enjeux de la situation à des non-spécialistes, d’accepter de répondre à leurs questions.

 

Notes :
1- Ancli : Association nationale des commissions locales d’information.
2- Enquête diffusée sur France 3, le 11 février 2009, dans le cadre de l’émission "Pièces à conviction".