Savoir et comprendre
Résumé
Protéger le consommateur
09/07/2013
Boire le lait des vaches pâturant autour des centrales est-il vraiment sans danger en temps normal ? Et en cas d’accident nucléaire conduisant à des rejets ? Dans sa mission de surveillance de l’environnement, l’IRSN s’intéresse à la chaîne alimentaire pour répondre à ce type de questions et veiller à la radioprotection des consommateurs.
« En croisant les rejets des installations avec des données sur la situation agricole et météorologique locale – direction du vent, productions agricoles en place... –, les ingénieurs évaluent l’exposition des populations, dont celle liée à l’alimentation », rapporte Marie Simon-Cornu, chargée de la modélisation pour l’expertise environnementale à l’IRSN. « Les codes de calcul utilisés modélisent par exemple le dépôt sur l’herbe des radionucléides puis leur transfert chez la vache et dans le lait. » La plateforme Symbiose [1], développée par l’IRSN en co-financement avec EDF, consiste à simuler ces déplacements de radionucléides dans l’écosystème, jusqu’à l’impact dosimétrique sur l’homme. « Il est possible de la paramétrer au plus près de la réalité de terrain, par exemple en personnalisant les régimes alimentaires », ajoute-t-elle.
« Ces données sont apportées par les enquêtes alimentaires menées depuis 2004 autour des sites nucléaires », précise Vanessa Parache, ingénieure de recherche en radioprotection chargée de ces enquêtes à l’IRSN. « Elles visent à mieux connaître les habitudes des riverains, notamment en termes de produits locaux : légumes et fruits du potager, denrées achetées sur les marchés ou directement chez les agriculteurs, produits issus de la chasse, de la pêche ou de la cueillette... » En cas d’accident avec rejets, ces données permettent d’évaluer la contamination potentielle de l’assiette du consommateur et d’agir en conséquence, en interdisant par exemple la consommation de produits locaux.
« La qualité radiologique des denrées est réglementée uniquement pour des contextes post-accidentels de type Tchernobyl ou Fukushima », souligne Thomas Boissieux, ingénieur en radio-écologie et en surveillance de l’environnement à l’Institut. « Son suivi est essentiel pour protéger les populations des contaminations potentielles en s’assurant que la qualité radiologique des aliments est satisfaisante d’un point de vue sanitaire et pour informer le public vis-à-vis de ce risque. » Il est important de préciser que les normes – niveaux maximum admissibles – qui seraient utilisées en cas d’accident pour réguler la mise sur le marché des denrées alimentaires sont des limites réglementaires concernant la commercialisation et en aucun cas des normes sanitaires.
Quoi prélever, où et quand
En parallèle des contrôles effectués par les exploitants, la surveillance de l’environnement mise en œuvre par l’IRSN se décline en trois échelles. « Localement, c’est-à-dire dans un rayon compris entre 0 et 10 kilomètres des installations nucléaires de base (INB), des produits exposés à des sources potentielles de pollutions radioactives et susceptibles d’être contaminés sont analysés de façon récurrente », décrit Thomas Boissieux. « Sur le plan régional, des études spécifiques, sous forme de constats radiologiques par exemple, sont réalisées. Au niveau national, elle vise à cartographier le taux moyen de contamination. »
À chaque échelle, un plan d’échantillonnage est établi. Il définit la nature, le lieu et la fréquence des prélèvements. « Les produits sélectionnés sont à la fois de bons capteurs d’éléments radioactifs et représentatifs de la consommation des Français, comme les légumes-feuilles et le lait. Des indicateurs biologiques – herbes, algues… – et des sédiments sont aussi analysés pour une meilleure connaissance de l’état radiologique de l’environnement », précise-t-il.
Ce travail de vigilance est organisé en partenariat avec d’autres acteurs : la Direction générale de l’alimentation (DGAL) intervient pour les denrées d’origine animale – lait, viande, gibier, poisson… – et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour celles qui sont d’origine végétale – légumes, fruits, champignons, vin… « Nos agents de terrain effectuent les prélèvements selon les modalités proposées par l’IRSN et validées par nos administrations respectives », témoignent David Brouque, chargé de la gestion de la qualité radiologique des aliments à la DGAL, et Dominique Champiré, son homologue à la DGCCRF.
Quelles doses reçoivent les riverains des centrales ? « Les personnes qui habitent à proximité des centrales les plus importantes (Gravelines dans le Nord, Paluel en Seine-Maritime) reçoivent en moyenne de quelques microsieverts (µSv) à quelques dizaines de µSv par an », souligne Michel Chartier, expert en radioprotection du public à l’IRSN. « Cette estimation représente 100 à 1 000 fois moins que la limite de 1 mSv par an imposée par la réglementation à titre de prévention [2]. Elle concerne toutes les voies de contamination confondues : alimentation, inhalation, exposition externe. » Cette dose est calculée par l’exploitant dans le cadre du dossier de demande d’autorisation de rejets et de prélèvements d’eau [3] qu’il remet à l’Autorité de sûreté nucléaire. Ce dernier est élaboré avant la mise en service de l’installation ou avant toute modification, chimique ou radiologique des rejets. Lors de l’instruction de ces dossiers, l’Institut vérifie la dose évaluée par l’exploitant, en se fondant sur ses propres codes de calcul. Selon les sites, la part d’exposition liée à l’alimentation peut varier de 10 à 100%. « Pour les rejets liquides en mer ou en rivière, l’ingestion est la voie d’exposition prédominante », illustre Michel Chartier. Sur l’ensemble du territoire, un Français reçoit en moyenne 0,2 mSv/an, via les eaux de boisson et la nourriture, en grande partie d’origine naturelle. À titre de comparaison, il s’expose, dans le même temps, en tant que patient, à 1,3 mSv/an via les actes médicaux (radiographie, scanner…) [4]. |
Des analyses selon les régions
« Un réseau est chargé de l’évaluation du niveau radiologique des échantillons », précise Dominique Champiré. Parmi eux, il existe les laboratoires départementaux d’analyses agréés par la DGAL pour les produits d’origine animale, et ceux agréés par la DGCCRF pour les produits d’origine végétale. Le laboratoire national de référence de l’IRSN anime ce réseau. « Il organise des formations (sur la mise à jour des techniques d’analyses, par exemple) et des essais inter-laboratoires [5] afin de maintenir le niveau de compétences des équipes », souligne David Brouque. « Ces dernières restent facilement mobilisables en cas d’accident. »
La surveillance de l’eau, inscrite dans un cadre réglementaire, s’organise différemment. « Orchestrée par la Direction générale de la santé (DGS) et mise en œuvre par les Agences régionales de santé (ARS), elle s’appuie sur l’Institut en tant qu’expert technique », rapporte Jeanne Loyen, spécialiste en métrologie des radionucléides à l’IRSN. « Ce dernier contribue au processus d’agrément des laboratoires en évaluant les compétences analytiques. » Il peut également être sollicité par la DGS pour des études ponctuelles, comme ce fut le cas pour le bilan de la qualité radiologique de l’eau du robinet en France en 2008-2009.
Depuis 2008, l’Institut a choisi de faire évoluer sa stratégie de surveillance en y ajoutant progressivement les constats radiologiques régionaux. Ceux-ci établissent des bases de référence de la radioactivité par région à un instant donné. « Ils s’organisent autour de territoires définis par l’Institut et répondant aux spécificités régionales, détaille Thomas Boissieux. Ils peuvent porter sur un bassin versant fortement nucléarisé ou sur des périmètres particuliers comme les zones de rémanence des retombées et des tirs aériens ou les anciens sites miniers d’uranium. Des prélèvements plus nombreux sur des denrées emblématiques de la région d’étude sont effectués. Les analyses sont plus poussées qu’en routine, avec des seuils de détection plus bas. » Non seulement les résultats – quasiment toujours en dessous du seuil de détection – rassurent les riverains, mais ils fournissent un « point zéro » utile en cas d’accident.
Notes :
1- Pour plus d'information : La plateforme Symbiose
2- Article R.1333-8 du Code de la santé publique fixant les limites maximales de doses reçues par le public du fait des activités nucléaires. Cette limite ne constitue pas un seuil d’effet sanitaire. En effet, les rayonnements d’origine naturelle sont le plus souvent supérieurs à cette valeur.
2. Autorisation délivrée par arrêté sans limitation de durée, révisable à tout moment.
3. Moyenne tirée du rapport Expri 2007.
4. L’IRSN envoie le même échantillon étalonné aux laboratoires agréés pour comparer les résultats et les valider.
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