Savoir et comprendre

C​​onstruire un nouveau mode de vie à Fukushima​​

25/09/2023

Une nouvelle façon de choisir son alimentation, d’élever ses enfants, de produire et de vendre, de profiter de la culture... : vivre sur un territoire contaminé par des retombées radioactives signifie trouver de nouvelles voies pour recouvrer la maîtrise de sa vie quotidienne, pour prendre et partager des décisions apaisées.

Y parvenir est sans l’ombre d’un doute un véritable défi, mais le vécu de celles et ceux qui ont pris part aux réunions de l’Initiative de Dialogue sur la réhabilitation des conditions de vie après l’accident de Fukushima montre qu’un chemin existe. Et le point de départ en est la mesure.​

Ni la vue, ni l’odorat, ni le toucher n’en trahissent la présence, et pourtant la radioactivité est bien là. Jour et nuit, partout, dedans comme dehors, prenant le contrôle de votre vie et vous dictant les règles d’un jeu que vous avez nulle envie de jouer, mais auquel vous ne pouvez vous soustraire. Comment s’attaquer à cet ennemi insidieux, sans visage ? Comment apprivoiser cette force invisible, la soumettre ? En commençant par lui donner un visage. Et c’est chose possible en effectuant des mesures sur tout, partout.

Mesurer n’est pas seulement une possibilité, c’est une absolue nécessité, le point de départ pour évaluer la situation, passer de la perception à la réalité, rendre tangible la radioactivité.​​

Acquérir de nouveaux repères en mesurant la radioactivité

La mesure permet d’identifier les sources d’exposition et de commencer à gérer la situation contribuant à atténuer le désarroi. Et il n’est d’autre choix que d’effectuer soi-même les mesures, individuellement, car il n’existe pas de « personne type ». Mesurer permet de se constituer jour après jour une base de données personnelle, de constater les variations de niveaux de radioactivité et de discuter des résultats avec des parents, des voisins, des experts… rétablissant ainsi le dialogue au sein de la communauté.​

Jour après jour, noter les résultats de mesure devient, pour les gens motivés, un acte aussi habituel que de vérifier la date limite de consommation sur les emballages alimentaires. Du plus jeune au plus âgé, de la cuisine à la chambre à coucher, du riz au poisson, tout doit être mesuré : montagnes, champs, jardins, routes, parcs de stationnement, bâtiments, cours d’écoles, jardins d’enfants, eau du robinet, repas… C’est ainsi que les habitants de Fukushima se familiarisent progressivement avec les techniques et appareils de mesure.

  • Mesurer la radioactivité dans son environnement

Les habitants utilisent deux types de capteurs pour mesurer le débit de dose dans l’air, exprimé en microsieverts par heure : les appareils portables sont utilisés pour détecter la radioactivité dans l’environnement proche (maison, jardin, cour d’école, chemin forestier…), et un vaste réseau de stations de mesure fixes destinées à indiquer le débit de dose dans l’atmosphère est déployé à travers la préfecture de Fukushima. Ces stations indiquant le niveau de radioactivité dans l’environnement font aujourd’hui partie intégrante du paysage de nombreuses zones urbaines et rurales de la préfecture de Fukushima, comme à Fukushima, Date, IItate, Tamura, etc.

  • Mesurer sa propre exposition

L’exposition externe à la radioactivité peut se mesurer à l’aide d’un dosimètre individuel classique de type glass badge, porté toute la journée pendant quelques mois afin de calculer l’exposition cumulée. À titre d’exemple, c’est le type d’appareil que la mairie de Date a distribué aux habitants de la ville.

On peut également mesurer la radioactivité en portant un dosimètre électronique appelé D-Shuttle, qui enregistre l’exposition aussi bien cumulée qu’horaire. Quasiment chaque famille à Suetsugi possède un D-Shuttle, qui permet de voir où et quand on est exposé aux rayonnements ionisants. Conçu pour mesurer l’exposition individuelle au rayonnement gamma, le dosimètre D-Shuttle est équipé d’une batterie d’une durée d'un an. Il permet une lecture facile de la dose totale intégrée et permet l’édition de rapports. En associant les doses indiquées tout au long de la journée avec ses activités, cela permet à celui qui porte un D-Shuttle d’adapter ses activités pour gérer son exposition.​​

  • Mesurer sa contamination interne

​D'autres appareils permettent eux de connaître la contamination interne. On peut ainsi mesurer la radioactivité absorbée en respirant et en ingérant des aliments et des boissons grâce à un appareil appelé anthroporadiomètre. Ce type d’équipement a été déployé en nombre dans la préfecture de Fukushima, permettant de mesurer au total 270 000 adultes entre 2011 et 2015.

La vocation initiale des anthroporadiomètres est de mesurer la contamination des personnes travaillant dans les installations nucléaires, donc des personnes d’âge adulte. Ils ont été utilisés pour mesurer la contamination des habitants de Fukushima.

Mais les familles expriment régulièrement leur inquiétude quant à la contamination possible des plus jeunes. Alerté par des parents inquiets, le professeur Ryugo Hayano de l'Université de Tokyo s’est adjoint la collaboration de Shunji Yamanaka, ingénieur designer dans l’industrie, pour concevoir et développer le Babyscan, le premier anthroporadiomètre adapté à la mesure précise de l’exposition interne des bébés et jeunes enfants. Cet appareil conçu tout spécialement pour eux est capable de détecter des niveaux de contamination particulièrement bas. Trois appareils de ce type sont aujourd’hui en service dans la préfecture de Fukushima. Parmi les quelque 2 700 bébés et jeunes enfants contrôlés jusqu’en 2015, aucun ne présentait d’exposition détectable.​

  • Mesurer sa nourriture

​Des dispositifs simples d’utilisation sont disponibles dans certaines communautés de Fukushima afin de mesurer des échantillons de nourriture tels que les fruits, les légumes et la viande, permettant ainsi aux habitants de mesurer les produits de leur jardin, des légumes sauvages de la montagne, etc.

De la collecte de données au dialogue citoyen-expert

Mesurer est une chose, interpréter les résultats en est une autre. Outre l’apprentissage du maniement des équipements de mesure, les habitants doivent acquérir une connaissance minimale des unités de mesure, de la notion de seuil de détection et des mécanismes de transfert de la radioactivité dans l’environnement. En effet, les résultats de mesure sont à interpréter avec précaution, d’abord parce qu’ils dépendent du contexte et ensuite parce qu’il n’existe pas de claire démarcation entre ce qui est sûr et ce qui est dangereux. 

Cependant, le développement d’une culture de radioprotection, s’il permet à chacun de savoir où, quand et comment il a été exposé et d’agir de manière à maîtriser au mieux son exposition, n’est pas juste une affaire d’acquisition de connaissances. Cela suppose en effet de mettre dans la balance des considérations de mode de vie afin de prendre des décisions raisonnables en matière d’exposition quotidienne et de retrouver la maîtrise de son destin.

Ainsi, répondre à une question aussi simple à formuler que « mais que dois-je faire pour me protéger et protéger ma famille ? » exige de la réflexion et parfois de bons conseils. C’est pourquoi le fait de discuter entre habitants – en famille, avec les voisins, etc. – avec l’aide d’experts fait partie intégrante du processus. Par-delà les résultats qu’elles fournissent, la mesure anthroporadiométrique et celle des produits alimentaires sont autant d’occasion de dialoguer entre soi, d’écouter les inquiétudes exprimées, de conseiller les parents à propos de la santé de leurs enfants, etc.

C’est ainsi que des praticiens comme Makoto Miyazaki, radiologue au CHU de Fukushima, et Masaharu Tsubokura, médecin à l’hôpital de Minamisoma, profitent des rendez-vous pris pour les mesures anthroporadiométriques pour discuter des résultats avec les habitants.

Makoto Miyazaki, professeur assistant au département de radiologie du CHU de Fukushima : Il y a plusieurs manières d’aborder les résultats de mesure, mais l’important est ce qui est utile aux personnes qui vivent ici, des choses telles que : est-ce une situation vivable et, si oui, jusqu’à quel point ? Vous, en tant que personne, devez décider ce que vous allez manger demain, où vous irez demain, etc. Exprimez honnêtement vos besoins, et si les résultats de mesure ne sont pas en adéquation avec ce qui est possible pour vous, alors cela veut dire que ce n’est pas bon pour vous.

Masaharu Tsubokura, Medical Doctor, Minamisoma Municipal General Hospital : Bien que le contrôle radiologique systématique n’ait révélé aucune exposition interne au césium chez les enfants de Fukushima, il y a encore des personnes qui disent qu’elles ne peuvent pas consommer de produits issus de la préfecture. Notre travail est de poursuivre la surveillance radiologique et de le faire avec honnêteté.​​

Une liberté retrouvée

L’expérience de ceux qui effectuent des mesures montre que les niveaux de radioactivité qu’ils constatent sont souvent inférieurs à ceux qu’ils avaient anticipés, à leur grand soulagement. Bien que les résultats de mesure ne parviennent à éliminer complètement le doute et l’inquiétude, ils aident à les atténuer. Ils ne feront pas oublier aux personnes l’accident de la centrale nucléaire, mais ils vont les aider à tourner leur regard à nouveau vers l’avenir en leur permettant de faire la part des bons et des mauvais produits au plan radiologique, indépendamment des instructions binaires des autorités, comme : « En dessous de tel niveau, vous pouvez, au-dessus, vous ne pouvez pas. » Parmi ceux qui effectuent des mesures, certains ont atteint un stade où ils peuvent dire : à quoi bon s’inquiéter de consommer un produit au-dessus de la limite prescrite, si c’est seulement deux ou trois fois par an ?

Entre autres choses, la mesure de la radioactivité permet aux anciens de se faire plaisir en choisissant les légumes sauvages de la montagne – leurs chers sansai – les moins contaminés. Elle favorise la discussion autour des comparaisons, la création de nouveaux liens ainsi qu’une manière positive et altruiste de retrouver une liberté de choix en matière de protection individuelle au quotidien. 

 

Du producteur au consommateur : restaurer la confiance dans l'alimentation

Dans un pays où l’agriculture est élevée au rang d’un art, où un soin inégalé est apporté à la croissance, la sélection, le conditionnement, l’expédition et la vente des fruits et légumes, être cultivateur dans ce qui est peut-être la région la plus renommée pour la qualité de ses produits agricoles constitue un engagement de chaque instant tout autant qu’une source de fierté séculaire.

Hisao Tsuboi (60 ans a​​u moment de l’accident) est cultivateur à Miyakoji, une zone évacuée de la ville de Tamura. Il raconte cet engagement avec une pointe de nostalgie : « À l’époque, je cultivais le riz sur une parcelle d’environ quatre hectares, je cultivais aussi des légumes et travaillais à temps partiel chez un éleveur du coin. J’ai toujours fait attention à utiliser le moins possible de produits chimiques pour mes légumes. J’expédiais par la poste mes légumes à Tokyo et dans la région du Kanto. J’étais en contact régulier avec une trentaine de clients... Voilà, c’est comme ça que je vivais

Pour des cultivateurs et des éleveurs de Fukushima comme M. Tsuboi, qui ont consacré leur vie à perfectionner leur savoir-faire, la contamination radioactive qui s’est insinuée, à la suite de l’accident de la centrale nucléaire, dans le moindre recoin de leurs rizières, de leurs vergers et a contaminé leur bétail n’est pas simplement un coup dur pour les affaires, c’est un sacrilège, la vision insupportable d’une terre ancestrale soudainement souillée, pervertie, impure. L’embargo sur les produits agricoles de la préfecture de Fukushima n’a fait qu’ajouter un profond sentiment de honte qui a conduit nombre de cultivateurs à délaisser leurs exploitations. Toutefois, un certain nombre décidera de rester ou de revenir pour se battre.​​

Muneo Kanno (60 ans au moment de l’accident) fait partie de ceux qui décident de se battre. Lui aussi a vécu comme un traumatisme les premiers temps après l’accident. Il lui a fallu abandonner ses rizières et ses cultures maraîchères, abattre des troupeaux entiers de bêtes contaminées... Un scénario d’apocalypse. « Iitate, mon village, est situé entre 30 et 50 km de la centrale nucléaire, et les vents soufflent souvent de par là-bas. Il a été déclaré zone d’évacuation obligatoire un mois après l’accident, alors j’ai été contraint de partir. Juste après l’accident, on enregistrait des débits de doses atteignant les 44 microsieverts/heure. On nous disait de ne pas sortir, mais on ne pouvait pas faire autrement d’éviter le contact avec le sol. Mars est la période de l’année où l’on commence la plupart des activités agricoles », se souvient-il.

Perdre le produit d’années d’efforts et devoir tout recommencer, cela fait beaucoup. Après une courte période d’hésitation, M. Kanno décide de reprendre l’exploitation, en repartant presque de zéro. Prenant le taureau par les cornes, il s’attaque, avec l’aide de l’association Resurrection of Fukushima, à la décontamination de sa terre, préalable à tout projet ultérieur. Comme il l’explique : « Pour faire renaître cet endroit, c’est indispensable de mener une décontamination à grand échelle. C’est pour cela que j’ai commencé à décontaminer les abords de ma maison l’année dernière. Cette année, je décontami​ne ma terre et je pense y consacrer deux ans, en comptant la décontamination de liaisons essentielles, comme la route qui dessert ma ferme. »

En plus de la décontamination, les cultivateurs de Fukushima mènent, avec l’aide de scientifiques tels que Keisuke Nemoto ou Masaru Mizoguchi, l’un et l’autre professeurs à l’université de Tokyo, des expérimentations inédites visant à réduire significativement le transfert du césium au riz. Mois après mois, leurs efforts obstinés commencent à porter leurs fruits. La qualité radiologique du riz et des légumes cultivés dans un environnement assaini s’améliore de manière sensible, atteignant des valeurs bien en dessous de la limite des 100 becquerels par kilo fixée par le gouvernement.​

Quand les consommateurs se mobilisent

Inquiets des risques liés à la consommation de produits contaminés, la plupart des consommateurs à travers le Japon éliminent tout simplement de leur alimentation les produits originaires de Fukushima. Mais certains d’entre eux se donnent la peine d’acquérir les notions nécessaires à une prise de décision éclairée, sans préjugé.

Shima Yamamoto en fait partie. Âgée de 36 ans au moment de l’accident et mère de trois enfants, elle vit à Yokohama. Désireuse de trouver des réponses aux questions qu’elle se pose sur l’alimentation, elle monte un petit groupe d’étude sur la radioactivité où elle acquiert des notions de base sur les types de rayonnements, les radioéléments, la décroissance radioactive, la notion d’exposition, de contamination, d’effets sur la santé… Lentement mais sûrement, avec l’aide de scientifiques, elle développe une capacité à faire la différence entre ce qui est sûr et ce qui ne l’est pas dans les différents aspects de la vie quotidienne, à commencer par la cuisine. Elle met à l’épreuve les idées reçues de son mari et de sa famille, en cuisinant par exemple des champignons, et leur assure que tout ce qu’elle leur donne à manger se situe très au-dessous des normes radiologiques recommandées… tout en étant au top pour ce qui est du goût !

Avec Tazuko Arai, une autre consommatrice de Tokyo, Shima Yamamoto est contactée par Twitter afin de participer à la 3e réunion de l’Initiative de Dialogue à Fukushima, consacrée au mois de juillet 2012 à la problématique de la nourriture contaminée. Impressionnée par les efforts des cultivateurs, l’une et l’autre se mobilisent dans leur région respective pour plaider en faveur des améliorations apportées, mois après mois, par les producteurs de Fukushima à la qualité de leurs produits.​

De leur propre initiative, ces producteurs et consommateurs bien déterminés se battent pour replacer sur le podium à la fois la qualité des produits alimentaires redevenus sains et l’image du Made in Fukushima

S’ingénier à mesurer systématiquement chaque sac de riz, chaque légume, n’apporte pas grand-chose, tant que le consommateur n’a pas retrouvé confiance dans le label Made in Fukushima. Un combat long, difficile, quotidien, mené avec l’appui d’alliés précieux, à commencer par JA Shin-Fukushima et JA Date Mirai, deux branches locales de JA, le groupe des coopératives agricoles du Japon. Animé par un esprit d’entraide, JA réunit les coopératives présentes dans chaque région du Japon, fournissant à ses membres différents services : assurance, conseil, crédit, marketing, achats et aide sociale.

Un autre allié puissant est la Coop, qui met en relation producteurs et consommateurs. Sunkichi Nonaka, qui dirige la Coop Fukushima, explique le poids de cette association de consommateurs dans le monde de la distribution. Depuis l’accident, pour venir en aide au Made in Fukushima, l’association n’a cessé d’innover de deux manières : tout d’abord mettre des appareils de mesure à la disposition des consommateurs, en leur expliquant comment s’en servir et comment interpréter les résultats de mesure, en faisant paraître périodiquement des bulletins d’information qui montrent la diminution des niveaux de contamination enregistrés, en promouvant les produits de Fukushima en dehors de la préfecture grâce à son réseau national de points de vente, etc. La Coop Fukushima s’affirme ainsi comme un allié de poids, tant pour les producteurs que pour les consommateurs, en contribuant à restaurer l’image des aliments produits à Fukushima par une information transparente et crédible.

Elever les enfants : un casse-tête pour les parents

Partout dans le monde, tous les parents partagent une priorité : que leurs enfants grandissent dans un environnement sain et sûr. ​Pour ceux qui vivent dans une zone contaminée, ce souci devient un casse-tête proche du cauchemar, la moindre décision étant prise avec la crainte d’avoir fait le mauvais choix… 

Si je laisse mon fils aller à pied à l’école, est-ce que je lui fais prendre un risque ? Et ma fille, si je la laisse manger des fruits du jardin ? Est-ce que je leur fais prendre un risque sans en avoir conscience ? Comment protéger leur développement physique et mental ? Comment les faire grandir en bonne santé ? 

Ces décisions, prises dans un contexte d’incertitude permanente, se muent souvent en points de friction au sein de la famille, entre parents et enfants, entre parents et grands-parents, car les avis des uns et des autres divergent sur tout : l’alimentation, l’école, les jeux…

Faute d’indications claires sur les risques liés au fait de vivre dans les zones contaminées, les parents finissent par développer un sentiment de culpabilité qui les déprime petit à petit.

Rappelant cette situation, la première journée de la 9e réunion de l’Initiative de Dialogues à Fukushima s’est focalisée sur les questions des parents quant à l’avenir de leurs enfants et à leurs difficultés à trouver le bon endroit pour y faire vivre la famille. Là encore, le dilemme de savoir s’il valait mieux rester ou partir était au cœur des échanges.

​​Tetsuya Ishikawa, âgé de 40 ans au moment de l’accident, est le père de deux garçons, alors âgés de cinq et trois ans. Ingénieur spécialisé dans les systèmes informatiques, il vit à Date avec sa famille. Il garde un souvenir très présent des premiers mois suivant l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi : son stress, son anxiété, l’incessant conflit intérieur qui l’écartelait entre l’envie de partir avec sa famille et le besoin de continuer à travailler pour en assurer la subsistance. 

M. Ishikawa perçoit très rapidement tout l’intérêt de mesurer la radioactivité pour prendre les bonnes décisions, mais les équipements correspondants ne sont pas immédiatement disponibles : « Faire de la mesure ? D’accord ! Mais à l’époque, aucun moyen de mettre la main sur un équipement adapté… J’ai dû attendre jusqu’à mai pour pouvoir en acheter un. Et c’est seulement à ce moment-là que j’ai pu connaître les véritables débits de dose à l’intérieur de notre maison et autour. » Deux mois d’incertitude interminables...​

Le revers de la protection

Les choses ne sont pas toujours faciles pour les enfants, en particulier lorsqu’il s’agit de les garder confinés à la maison pour les protéger des rayonnements ionisants. Non seulement le plus souvent témoins silencieux des inquiétudes, des interrogations et des tiraillements de leurs parents et d’autres membres de la famille, les enfants doivent en outre suivre les instructions de leurs parents et de leurs professeurs qui, avec la meilleure des intentions, ont tendance à multiplier les interdictions et les contraintes, en particulier en ce qui concerne les activités de plein air. 

Une telle situation déstabilise la vie sociale des enfants, alors qu’ils luttent pour maintenir le lien avec leurs camarades de classe mais ne peuvent plus jouer librement dehors. Elle affecte non seulement leur autonomie et leur développement personnel, mais elle se traduit aussi par une nette diminution de leur activité physique. Cette tendance, qui existait avant l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, se traduit par un nombre croissant d’enfants en surpoids ou obèses. Elle s’aggrave avec l’interdiction de jouer dehors, menaçant leur santé physique. 

Les professionnels de santé qui participent à la 9e réunion de l’Initiative de Dialogues à Fukushima soulignent ainsi toute l’importance de créer un dispositif de suivi de la santé des enfants prenant en compte tous les aspects de celle-ci, au-delà des aspects radiologiques.

Un autre effet indésirable du confinement des enfants à la maison est de finir par les faire apparaître comme des êtres en mauvaise santé, à éviter, contribuant ainsi à la discrimination de ceux qui vivent à Fukushima. « Je ne veux pas que mon enfant ait honte d’avoir grandi à Fukushima », déclare ainsi une mère de famille.

Si le développement d’une culture pratique de la radioprotection peut aider les parents à vivre leur vie, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les enfants ? Pour les parents comme pour les enseignants, cela signifie être en mesure de transmettre des connaissances et un savoir-faire qui sont nouveaux même pour eux… Pas simple ! Surtout si l’on prend en compte l’absence de programmes officiels pédagogiques adaptés et le besoin d’un matériel plus pratique et reflétant les situations de la vie courante. 

À cet égard, les participants à la 9e réunion de l’Initiative de Dialogues à Fukushima affirment l’intérêt d’outils pédagogiques fondés sur une approche pratique et participative, adaptée à chaque tranche d’âge. Ils reconnaissent également que les enfants ont leur propre vision et leur propre compréhension des choses et qu’ils ont besoin de lieux où ils peuvent exprimer leurs sentiments et parler de leurs expériences.