Savoir et comprendre

Penser le futur à nouveau

25/09/2023

En l'espace de quatre ans, de 2011 à 2015, des habitants de la Préfecture de Fukushima et quelques experts en radioprotection ont fait émerger une culture pratique de la radioprotection, construisant une expertise ensemble.

Pour ceux qui se sont retrouvés déracinés, déconnectés de la vie de tous les jours, impuissants face aux problèmes du quotidien, songer à l’avenir demeure hors de portée, et ce pour des mois, même des années. Mais quelque chose de plus fort que la résignation a conduit certains, au bout de quatre ans, à retrouver la capacité à penser l’avenir. Un avenir différent commence à poindre à l’horizon, fait de l’expérience acquise ces dernières années, de compréhension mutuelle et de confiance, de libre arbitre, d’espoirs et de rêves.

Un avenir teinté de vigilance accrue à l’égard du risque potentiel que représente la centrale endommagée. Certains prévoient même de continuer à porter leur dosimètre dans les années à venir, au cas où…

Malgré d’immenses efforts pour décontaminer, réhabiliter et reconstruire, la situation en plusieurs endroits de la préfecture de Fukushima, comme Hamadori, est e​​ncore bien loin d’un retour à la normale, et cela le restera encore longtemps. Mais les choses bougent et, pour la plupart de ceux qui participent aux réunions de l’Initiative de Dialogues à Fukushima, retrouver une certaine maîtrise de leur vie n’est plus inimaginable. « Nous sommes parvenus à un point où les gens qui agissent sont capables de s’exprimer, d’expliquer ce qu’ils font », souligne un des participants. « J’ai le sentiment que les gens de la préfecture de Fukushima ont, dans une certaine mesure, retrouvé confiance en eux », renchérit le professeur Ohtsura Niwa. Une tendance qui s’affirme de plus en plus, au fil des réunions, comme le confirment les participants.

« Beaucoup ici commencent à se projeter dans l’avenir. Mais cela ne nous donne pas le droit d’oublier ceux qui souffrent encore trop pour penser à demain », tempère un autre.​ ​Nous devons développer de nouvelles idées, de nouveaux programmes. Forts de ces perspectives, nous pouvons faire mieux que n’importe où au monde. Je crois que la chance s’offre à nous de réaliser cela. » pense Kuni Kanno, cultivatrice dans le village d’Iitate.

La situation des enfants reste une préoccupation majeure

Ils sont l’essence même de l’avenir, le point focal des inquiétudes et la raison première des efforts de chaque instant. Leur éducation, qui tend parfois à cristalliser les divergences au sein de la famille, est un défi pour les parents, qui veulent le meilleur pour leur progéniture. L’éducation est devenue un véritable casse-tête pour ceux qui vivent à Fukushima, sur une terre contaminée, ou en exil, dans un lieu où tout leur est étranger.

Santé, éducation, développement personnel… chaque aspect de la vie d’un enfant suscite l’hésitation dans l’esprit des parents, le doute quant au fait d’avoir ou non pris la bonne décision pour leur enfant. Là plus que n’importe où ailleurs, pouvoir dialoguer avec des professionnels de la pédiatrie et des experts en radioprotection se révèle essentiel pour les mères et pères de famille à la recherche de nouveaux points de repère pour structurer le quotidien de leur enfant. 

Fortes de leur expérience individuelle et collective depuis mars 2011, les familles de Fukushima sont, de toute évidence, particulièrement conscientes de leur héritage environnemental. « Si je renonce, mon fils n’aura pas la possibilité de choisir ! », déclare ainsi Shinya Endo au cours de la 9e réunion de l’Initiative de Dialogues à Fukushima, entendant par là que s’il renonçait à cultiver les rizières héritées de ses aïeux, il ne pourrait pas laisser à son fils la décision de prendre sa relève. Pour M. Endo, la poursuite de son activité et la transmission de sa terre de génération en génération sont un moyen de maintenir la tradition. Et sa déclaration en pleine réunion témoigne de l’importance qu’il y accorde.​

Communauté et coopération

Dans un pays habitué à compter sur la solidité de son tissu social, familles et communautés se sont retrouvées déchirées, aggravant le sentiment d’impuissance et d’abandon. Mais le temps passant, la communauté devient progressivement le creuset de la coopération. Dès lors, il s’agit de restaurer les conditions de vie grâce à la mesure de la radioactivité et la discussion autour des résultats obtenus, la rencontre avec des experts, l’acquisition de connaissances, la prise de décisions, l’information et le retour d’expérience sur les réalisations, les projets, les initiatives. 

Depuis la catastrophe, de plus en plus d’habitants à Fukushima font un formidable travail d’entraide pour améliorer leur cadre de vie, avec le soutien de la communauté, et pour partager leur expérience à l’extérieur de celle-ci. Ceci nécessite bien entendu de reconnaître les différences de valeurs et d’approches – le fondement même de la compréhension mutuelle – ainsi que le tempérament de chacun, optimiste ou pessimiste, bruyant ou silencieux, et aussi de respecter le libre arbitre de chacun.

Maintenir en vie la communauté lorsque ceux qui la composent se retrouvent dispersés demeure un défi pour beaucoup de municipalités. Dans un tel contexte, peut-on penser l’avenir ensemble ?​