Métrologie et étalonnage des instruments de mesure des neutrons

L’IRSN exploite et développe sur le centre de Cadarache (Bouches du Rhône) un large plateau technique pour la métrologie des neutrons et l’étalonnage des instruments de mesure des neutrons, en particulier dédiés à la radioprotection. Désigné par le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) comme détenteur national des références dosimétriques neutron, l’Institut se doit de produire des champs de neutrons parfaitement maîtrisés et de réaliser des mesures aussi précises que possible. Ce plateau permet aussi bien de tester et de réaliser des étalonnages de routine des instruments, que de les étalonner dans des champs réalistes, c'est à dire proches de ceux rencontrés dans leur utilisation réelle, ou encore de déterminer la variation de leur réponse en fonction de l’énergie des neutrons.

Contexte

Que ce soit dans l’industrie nucléaire (centres de production d’électricité, fabrication et retraitement du combustible), dans des laboratoires de recherche, dans le domaine médical ou dans l'environnement, des personnes peuvent être exposées à un rayonnement neutronique. Elles doivent donc pouvoir être surveillées via des appareils adaptés et correctement étalonnés.

Les installations CEZANE et AMANDE de l’IRSN situées à Cadarache produisent tout type de champs neutroniques de référence recommandés par les normes internationales (ISO 8529 et ISO 12789) pour l’étalonnage des instruments de mesure des neutrons. Il est en effet de la responsabilité du Laboratoire de micro-irradiation, de métrologie et de dosimétrie des neutrons (LMDN) de pouvoir garantir la production des références nationale pour la fluence, c’est-à-dire nombre de neutrons par unité de surface, et les grandeurs dosimétriques dérivées. Ces installations permettent de tester et de réaliser différents types d’étalonnages d'appareils de mesure des neutrons. Des étalonnages de routine sont effectués sur l'installation CEZANE grâce à l’irradiateur Van Gogh disposant de deux sources : l’une constituée d’américium béryllium (241AmBe), l’autre de californium (252Cf).

Photo : ​Vue du bâtiment abritant l'installation CEZAN​E, sur le centre de Cadarache (Bouches-du-Rhône) - (c) Francesco Acerbis / Médiathèque IRSN​​

​Vue du bâtiment abritant l'installation CEZAN​E,  Cadarache (Bouches-du-Rhône) -  (c) Francesco Acerbis / Médiathèque IRSN​​

Dans cette installation, il est également possible d'entreprendre des étalonnages dans un champ réaliste, c’est-à-dire avec des caractéristiques proches des champs neutroniques rencontrés aux postes de travail. Ceci est réalisé grâce à l’accélérateur T400 associé au dispositif CANEL (Canon à neutrons lents) qui permet de générer un spectre de neutrons de fission modéré à l’aide d’éléments représentatifs des dispositifs de blindage existant dans l’industrie nucléaire. Enfin, l’installation AMANDE permet un troisième type d’étalonnage qui consiste à déterminer la variation de la réponse des instruments en fonction de l’énergie des neutrons, en produisant des faisceaux de neutrons monoénergétiques d’énergie comprise entre 2 keV et 20 MeV.

Ces différents équipements constituent un plateau technique dont il n'existe que quelques équivalents de par le monde. Il est prévu qu’il soit prochainement complété par un nouveau modérateur associé à l'accélérateur T400 permettant la création d'un champ de neutrons thermiques (énergie inférieure à 0,5 eV). A noter que ces installations AMANDE et CEZANE sont situées au centre d'un périmètre de sécurité de 300 m de rayon. Cette particularité, unique au monde pour ce type d'installation, permet de générer les neutrons dans des halls expérimentaux en structure légère (parois métalliques) limitant la proportion de neutrons diffusés au point d'étalonnage. 

Etalonnages de routine

L’irradiateur VAN GOGH

L’irradiateur VAN GOGH est constitué des deux principales sources radioactives recommandées par la norme ISO 8529-1 : 241AmBe et 252Cf. 

Irradiateur contenant les sources radioactives de référence

Lorsqu’elles ne sont pas utilisées, ces sources sont entreposées dans un conteneur en polyéthylène. Grâce à de l’air comprimé dans un tube-guide, les sources sont amenées à leur position d’irradiation située à 3,2 m au-dessus du sol, ce qui permet de limiter le bruit de fond dû aux neutrons diffusés par le sol. Un banc d’étalonnage motorisé permet de placer les instruments au niveau de la source et à toute distance entre 0 et 2 m, la distance d’irradiation conventionnelle étant 75 cm. 

Au-delà de l’activité d’étalonnage de routine, cet irradiateur est utilisé pour raccorder les laboratoires accrédités aux références nationales pour la fluence neutronique et les grandeurs dosimétriques dérivées (notamment les équivalents de dose). Les valeurs de débit de fluence neutronique sont en effet directement déterminées à partir de la mesure du débit d'émission neutronique (nombre de neutrons émis par seconde) de chaque source réalisée dans un bain de manganèse au Laboratoire National Henri Becquerel (LNHB, situé au CEA Saclay). Les grandeurs dosimétriques sont dérivées de la fluence en appliquant les coefficients de conversion tabulés donnés dans les normes ISO 8529 [Ref].

Les activités d’étalonnage auprès de cet irradiateur sont accréditées par le COFRAC (Comité Français d’Accréditation) sous l'appellation LA2.55 (portée disponible sur www.cofrac.fr). Cet irradiateur est complété par une source de rayonnement gamma de 137Cs de 11 GBq permettant de tester la sensibilité aux photons des instruments à étalonner.

Représentation graphique des distributions en énergie de la fluence neutronique des sources de 241AmBe et 252Cf

Caractéristiques des sources "nues" 

La source de 241Am-Be est recouverte d’un chapeau de plomb de 1 mm d’épaisseur afin de limiter l’émission de rayonnement photonique, alors que la 252Cf est utilisée sans aucun écran.

La distribution en énergie de la fluence neutronique associée à chacune de ces sources est représentée par ce graphique. Représentation graphique des distributions en énergie de la fluence neutronique des sources de 241AmBe et 252Cf.

Distributions en énergie de la fluence neutronique issues de la source de 252Cf modérée

Source 252CF modérée

Afin de produire une distribution en énergie plus proche de celles rencontrées sur les postes de travail, la source de 252Cf est placée au centre d’une sphère modératrice d’eau lourde de 15 cm de rayon avec une coquille d’aluminium de 1,2 mm d’épaisseur à laquelle peut être ajoutée une coquille de 0,8 mm de cadmium, cette dernière configuration étant la seule à être intégrée dans la norme ISO 8529-1.

Les deux distributions en énergie de la fluence obtenues par modération sont représentées sur la figure [Ref].​ Distributions en énergie de la fluence neutronique issues de la source de 252Cf modérée 

Les débits de fluences et débits d’équivalent de dose (individuel et ambiant) à 75 cm des sources à la date du 01/07/2018.

Débits de fluence et d'équivalent de dose

Les débits de fluences et débits d’équivalent de dose (individuel et ambiant) à 75 cm des sources à la date du 01/07/2018.

Etalonnage en champ intense

L'accélérateur T400

Le générateur de neutrons T400 est un accélérateur électrostatique de 400 kV amenant des deutons (noyau du deutérium) à une énergie comprise entre 150 et 400 keV. Ces deutons accélérés sont envoyés sur une cible de titane deutérié (TiD) où leurs interactions avec les atomes de deutérium génèrent des neutrons quasi-monoénergétiques d’environ 3 MeV.

 Photo : accélérateur T400 dédié à la production de champs quasi-monoénergétiques intenses ((c) Francesco Acerbis/IRSN)

Accélérateur T400 dédié à la production de champs quasi-monoénergétiques intenses ((c) Francesco Acerbis/IRSN)

 

 

 

 

 

Les débits de fluences et débits d’équivalent de dose (individuel et ambiant) à 75 cm des sources à la date du 01/07/2018.

    

istribution en énergie de la fluence neutronique produite par l’accélérateur T400 (réaction D(d,n)3He) en fonctionnement nominal avec 20 % d’ions diatomiques.

La fonction principale du générateur :

La fonction principale de ce générateur est de fournir des hauts flux de neutrons de quelques MeV. Le fonctionnement nominal du T400 correspond à une énergie de 350 keV et une intensité de faisceau de 2 mA. La cible utilisée est une cible épaisse arrêtant complètement le faisceau de particules chargées. Le faisceau de deutons est pollué par environ 20 % d’ions diatomiques. Il en résulte une distribution en énergie des neutrons constituée de deux pics quasi-monoénergétiques de plusieurs centaines de keV de largeur à mi-hauteur se superposant comme le montre la figure.

Figure : distribution en énergie de la fluence neutronique produite par l’accélérateur T400 (réaction D(d,n)3He) en fonctionnement nominal avec 20 % d’ions diatomiques.

tableau Caractéristiques des champs neutroniques produits par l’accélérateur T400

La fluence neutronique est déterminée et monitorée en utilisant la méthode dite de la « particule associée » : 3 diodes silicium sont placées à l’arrière de la cible (angle de 175°) et détectent les protons émis simultanément aux neutrons. Les appareils à tester peuvent être placés entre 0 et 2 m de la cible dans l’axe du faisceau de deutons (0°). L’accélérateur T400 est utilisé pour des irradiations à haut débit avec des faisceaux quasi-monoénergétiques de 3 MeV (voir tableau). Il complète ainsi les possibilités offertes par l’accélérateur AMANDE et l'irradiateur Van Gogh dont les débits de fluence et d’équivalent de dose sont plus faibles.

Caractéristiques des champs neutroniques produits par l’accélérateur T400 en fonctionnement nominal. La résolution en énergie neutron (deltaEsurE.jpg) correspond à la largeur à mi-hauteur du pic « monoenergétique ». Les valeurs maximales des débits de fluence et d’équivalent de dose personnel sont données à une distance de 1 m par rapport à la cible, dans l’axe du faisceau de deutons et correspondent à 3000 coups/s dans les diodes.

Etalonnage en champ réaliste

Le dispositif Canel

Le dispositif CANEL permet de créer des champs neutroniques réalistes. Ces derniers présentent deux avantages majeurs.

Distribution en énergie de la fluence neutronique obtenue  à l’aide du dispositif «CANEL»

Le premier consiste à pouvoir tester un instrument dans un environnement proche de conditions réelles (distribution en énergie large, contamination importante avec des photons, angles d'incidence des neutrons variables, etc.) tout en connaissant parfaitement ses caractéristiques; le second est de pouvoir étalonner un appareil de radioprotection dans un champ neutronique représentatif, a minima en terme de distribution en énergie comme le montre la figure ci-dessous, du poste de travail où il sera utilisé et donc de définir un coefficient d'étalonnage bien adapté à l'utilisation réelle de l'instrument.

Distribution en énergie de la fluence neutronique obtenue  à l’aide du dispositif «CANEL» utilisé avec l’accélérateur T400 et comparaison avec celle mesurée à des postes de travail dans des réacteurs de type REP.  

​Les champs réalistes sont principalement dédiés à la radioprotection. Ils ont été mis au point dans les années 90 par l'IRSN. L’Institut va renforcer dans les prochaines années sa position de leader mondial pour ce type de champs en définissant de nouvelles configurations du dispositif CANEL afin d’élargir la palette de champs réalistes avec une énergie maximale de 3 MeV. ​

​CANEL, représenté sur la figure ci-dessous, est un dispositif modulaire qui se place autour de la cible du générateur de neutrons T400 pour produire ces champs neutroniques réalistes. Il n'existe que deux exemplaires de ce dispositif au monde, cité à titre d’exemple dans la norme ISO 12789.

Le principe de CANEL est de générer, dans une coquille d'uranium appauvri, un spectre de neutrons de fission. Ces neutrons de fission sont ensuite modérés à l’aide d’éléments représentatifs des dispositifs de blindage existant dans l’industrie nucléaire : un écran de fer puis une plaque de polyéthylène, le tout étant placé dans un conduit en polyéthylène de 70 cm de diamètre et de 1 m de longueur. Ce conduit en polyéthylène permet de confiner les neutrons diffusés à l’intérieur de l’enceinte et de diriger le champ neutronique vers l’avant. Le point d’étalonnage des appareils est situé dans l’axe du faisceau de deutons à 50 cm de la sortie de CANEL. 

métrologie et dosimétrie des neutrons
Dispositif CANEL sur l'accélérateur T400
Débits de fluence et d’équivalent de dose déterminés à 50 cm de CANEL/T400

​S'il n'existe aujourd'hui qu'une seule configuration de CANEL utilisée, sa modularité permet cependant de varier l'épaisseur des écrans de fer et de polyéthylène pour générer des champs réalistes ayant différentes distributions en énergie. ​

Débits de fluence et d’équivalent de dose déterminés à 50 cm de CANEL/T400 ainsi que la contribution relative des différents domaines en énergie des neutrons à ces grandeurs(1) . Ces valeurs sont données pour un fonctionnement nominal de l’accélérateur T400 correspondant à un comptage dans les diodes de 3000 coups/s​.

(1) En termes de fluence, plus de la moitié des neutrons ont une énergie inférieure à 0,5 eV, mais ce sont les neutrons rapides (au-delà de 100 keV d'énergie) qui contribuent principalement (à près de 80 %) l'équivalent de dose

Étalonnage en champ monoénergétique

L'installation AMANDE

L’installation AMANDE a pour but de produire des champs de neutrons monoénergétiques. Elle est constituée d’un accélérateur de particules chargées (protons et deutons) qui sont accélérées puis dirigées sur une cible constituée d’un dépôt mince de scandium, lithium, tritium, ou deutérium sur un support métallique. L’interaction des particules chargées avec les noyaux de ces éléments génère des neutrons dans tout l’espace. Les réactions nucléaires correspondantes produisent des neutrons monoénergétiques dans une direction donnée pour une énergie donnée de la particule chargée incidente. 

L'installation AMANDE

Vers une utilisation en radiobiologie

Depuis 2016, une deuxième ligne de faisceau a été installée en sortie d’accélérateur afin de produire un microfaisceau, MIRCOM, capable de déposer un nombre d’ions prédéfini sur des échantillons biologiques vivants. L’objectif est d’étudier les effets radio-induits, dans le cadre de programmes de recherche en radiobiologie. MIRCOM est opérationnel pour les expériences en radiobiologie depuis fin 2018.

L'installation MIRCOM

 

Les recherches associées

  • Au delà de son rôle de laboratoire associé ayant pour mission de maintenir les références nationales et de les transférer aux laboratoires d'étalonnage secondaires, le LMDN mène des recherches en métrologie des neutrons avec deux principaux objectifs :

    • d’une part, le développement de nouveaux champs neutroniques pour l'étalonnage d'instruments de détection des neutrons et l'amélioration de la connaissance des champs existants
    • d’autre part, le développement d'instruments de référence (étalons) ou de techniques de mesure améliorant la mesure de la fluence neutronique et des grandeurs dosimétriques dérivées. 
    • mesurer plus finement la distribution en énergie des champs de l'installation CEZANE
    • définir de nouvelles configurations de CANEL afin de générer des champs réalistes ayant des distributions en énergie représentatives des différents postes de travail rencontrés dans l'industrie nucléaire
    • créer un champ de neutrons thermiques avec plus de 99 % des neutrons ayant une énergie inférieure à 0,5 eV et un débit de fluence de plusieurs milliers de neutrons par cm2 et par seconde
    • participer, en collaboration avec les instituts nationaux de métrologie allemand et britannique, au développement de champs quasi-monoénergétiques de haute énergie (entre 25 MeV et 200 MeV) sur l'installation d'i-Themba Labs en Afrique du Sud.
    • le développement de télescopes à noyaux de recul étalons, dans le cadre d'un contrat programme avec le LNE, permettant de déterminer, sans étalonnage préalable, la fluence neutronique et l'énergie dans les champs monoénergétiques d'AMANDE
    • le développement de la mesure de l'énergie dans les champs monoénergétiques d'AMANDE par la technique du temps de vol
    • l'utilisation de nouveaux types de scintillateurs (tel que le stilbène, dans le cadre d'une collaboration avec le CEA) pour la détermination des distributions en énergie des différentes installations du LMDN
    • la mise en place d'une chaîne de spectrométrie gamma, traçable sur les étalons du Laboratoire National Henri Becquerel du CEA, pour la détermination de l'activation de feuilles d'or qui permettra de remonter à la fluence de référence du champ thermique.

    Enfin, les champs neutroniques de référence sont également utilisés pour caractériser les systèmes de spectrométrie du laboratoire (systèmes de sphères de Bonner, multidétecteur ROSPEC) employés pour déterminer les distributions en énergie des neutrons rencontrés aux postes de travail de l’industrie nucléaire, dans  des laboratoires de recherche, dans le domaine médical ou dans l'environnement. 

Pour aller plus loin