Analyse des notions de confiance et d’expertise dans le domaine du nucléaire : une première étape pour le projet SHINRAI

  • Actualité

  • Crise

  • Recherche

18/07/2018

Une revue de la littérature sur les notions de confiance et d’expertise dans le domaine du nucléaire a permis de préciser les questions de recherche à aborder dans le cadre du projet SHINRAI (coordonné par l’IRSN, avec la participation de Sciences Po Paris et Tokyo Tech), qui s’intéresse aux conséquences politiques et sociales de l’accident de Fukushima-Dai-ichi, au Japon. Cette analyse sert de référence pour le projet et est désormais disponible sur le site de l’IRSN.

 

La confiance et l’expertise sont deux concepts clefs pour le programme de recherche SHINRAI qui s’intéresse à la situation post-accidentelle au Japon, en particulier, à la perte de confiance des citoyens japonais envers les autorités, ainsi qu’au rôle joué par les différentes sources d’expertise (gouvernementale, associative, etc.). Une revue de la littérature a permis de préciser les questions de recherche qui sont approfondies dans la suite du projet et de confirmer que la confiance constitue un prisme pertinent pour structurer les différentes enquêtes menées auprès des habitants de la région de Fukushima-Dai-ichi, dans le cadre du projet SHINRAI.

 

La notion de confiance

 

La notion de confiance est une des clefs pour analyser la gestion post-accidentelle et ses conséquences sociales et politiques.

 

Tout d’abord se pose la question de l’héritage des accidents et crises nucléaires passés et de sa réactualisation lors d’une nouvelle crise. Chaque catastrophe nucléaire ravive la mémoire d’autres accidents ; les problèmes de gestion post-accidentelle rencontrés à Fukushima-Dai-ichi ont ainsi réactivé en France ce qui s’est joué lors de l’accident de Tchernobyl, tandis qu’au Japon, ce sont la mémoire et les questions liées aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki qui ont ressurgi à cette occasion. Les mécanismes de confiance et de défiance au moment d’un accident héritent de ces histoires passées. La perte de confiance liée à un accident nucléaire s’inscrit dans un imaginaire collectif et elle est durable.

 

Une seconde dimension approfondie actuellement dans le projet concerne le caractère complexe de la trustworthiness (capacité à mériter la confiance des citoyens) des personnes et des institutions, et son rôle dans les mécanismes de perte ou de construction de la confiance. D’après Luhman, la trustworthiness d’une institution repose sur sa compétence et sa volonté de prendre en compte les intérêts et la vulnérabilité de ceux qui lui accordent leur confiance. Dans la situation post-accidentelle japonaise, une partie des citoyens a jugé que les autorités ne prenaient pas en compte leurs intérêts, leur vulnérabilité et, particulièrement, la vulnérabilité des plus faibles : les enfants.

 

Cette perte de confiance envers les autorités japonaises et leurs experts est notamment liée à une politique post accidentelle qui ne reconnait pas suffisamment l’incertitude des connaissances sur les faibles doses et leurs effets. Retenir l’hypothèse la plus « optimiste » ou la moins « précautionneuse » (pas de risque en dessous de 100 mSv) est dénoncé par de nombreux citoyens comme un choix délibéré de servir d’autres intérêts, que la préservation de la santé des populations.

 

Enfin, cette revue de la littérature a permis de rendre compte de l’émergence d’une contre-expertise et des interactions qu’elle entretient avec l’expertise institutionnelle. L’apparition d’une expertise associative ou citoyenne, porteuse de visions différentes, s’est développée face à un type de scientifique ou d’expert apparaissant comme insuffisamment soucieux de la prise en compte des intérêts des individus. Cette contre-expertise est apparue plus « trustworthy » (digne de confiance) car elle intégrait implicitement une forme de  précaution dans un contexte d’incertitudes. La principale caractéristique de ces contre-experts, au-delà de leur diversité, est qu’ils ne sont jamais apparus comme visant d’abord à rassurer sur le risque radiologique. Pour certains citoyens, les contre experts ont été considérés comme les seuls acteurs prenant en compte leurs intérêts dans une situation à risque.

 

La notion d’expertise

 

Pour la notion d’expertise, cette revue de la littérature s’est focalisée sur les systèmes d’expertise en charge de l’évaluation des effets sanitaires des radiations ionisantes, et ce depuis la conception de la première bombe atomique (projet Manhattan). Ce parti pris permet de montrer que les questions qui se posent dans l’après-Fukushima sont en fait des questions récurrentes : elles illustrent la réitération d’un clivage dans l’appréciation des risques entre les institutions liées au domaine nucléaire, et des scientifiques externes à ce monde, qui dénoncent de façon répétée la sous-évaluation des risques radiologiques. L’accident est aussi l’opportunité, pour ces scientifiques externes, de re-questionner la légitimité des institutions en charge de la radioprotection. 

 

Plusieurs questions de recherche sont en cours d’approfondissement dans le projet SHINRAI et concernent la place des controverses liées aux dangers associés aux rayonnements ionisants dans les prises de décisions des autorités japonaises et leur contestation dans la sphère publique.

 

Certaines de ces questions ont déjà été abordées dans des publications présentant les résultats du projet. Elles sont en lien avec des questions plus générales d’articulation entre production de connaissance et règlementation, expertise et décision dans les domaines environnementaux et sanitaires.

 

Le projet SHINRAI doit permettre d’apporter un éclairage socio-politique sur les problématiques associées à la gestion d’une situation post-accidentelle et notamment sur le rôle de l’expertise publique et son interaction avec les décisions politiques. Deux autres rapports sont prévus : un présentant  les résultats des enquêtes (Automne 2018) et l’autre concernant l’analyse des processus de décision après l’accident (Printemps 2019).

 

Lire le rapport : Une revue de la littérature sur les thèmes de la confiance et de l’expertise en radioprotection - Rapport final de la tâche 1 du projet SHINRAI

 

Publications déjà parues :

 

Plus d'informations :