Le projet SHINRAI

Le projet SHINRAI ("confiance", en japonais) est un projet de recherche franco-japonais démarré en 2014, coordonné par l'IRSN et visant à étudier les conséquences sociales et politiques de l'accident de Fukushima survenu en 2011. Il s'intéresse principalement aux modalités de prise de décision par les autorités dans un contexte post-accidentel, et à leur impact sur la population.

Le projet étudie le rôle de l'expert public, sa trustworthiness (capacité à mériter la confiance des citoyens), et son accountability (capacité à rendre compte de ses décisions), y compris (et surtout) dans un contexte où les données strictement scientifiques ne permettent pas à elles seules de trancher et de légitimer les décisions. SHINRAI s'intéresse enfin aux enjeux de la catastrophe nucléaire pour nos démocraties, en s'interrogeant sur les modalités d'implication des citoyens dans ces décisions liées à la gestion post-accidentelle.

Caractéristiques du projet

Dates de réalisation : 2014-2021
Financement : co-financement IRSN, Titech, Sciences-Po
Partenaires : Institut d'études politiques de Paris (Sciences-Po), Institut technologique de Tokyo (Titech)

Contexte

En mars 2011, les autorités japonaises ont eu à gérer une triple crise : le tremblement de terre, le tsunami qui a suivi, et l'accident nucléaire.

L'idée du projet SHINRAI est née dans les mois qui ont suivi. La volonté principale était de comprendre plus finement les mécanismes de perte de confiance des citoyens envers les autorités et leurs experts après l'accident nucléaire et d'analyser les modalités de l'émergence de nouveaux experts citoyens, ou "contre-experts". Le projet  s'appuie pour cela sur un partenariat de recherche entre trois institutions : l'IRSN (France), l'Institut d'études politiques de Paris - Sciences Po (France) et l'Université de technologie de Tokyo (Japon). Plus globalement, cette recherche doit apporter un éclairage politique et sociologique sur les problématiques de gestion des territoires après un accident nucléaire : politique de gestion des territoires contaminés, choix d'évacuation, du seuil radiologique, rôle et limites de la décontamination, gestion des déchets, etc.

Au niveau théorique, le projet s'inscrit à la fois dans la sociologie morale et politique (notions de confiance institutionnelle, de trustworthiness, de légitimité), et dans la sociologie des sciences et des techniques. Les relations entre science, expertise et décision politique sont analysées dans le contexte précis de la gestion post-accidentelle. Les débats au sujet des seuils d'exposition aux rayonnements à partir desquels les populations doivent être évacuées des territoires contaminés (relèvement du seuil à 20 mSv après l'accident) sont plus particulièrement examinés, ainsi que la controverse sur l'effet des faibles doses de radiations ionisantes et son impact dans l'espace public sur l'appréhension du risque radiologique.

Axes de recherche

Méthodologie du projet

Ce projet présente l'originalité de s'appuyer sur une enquête approfondie menée auprès d'habitants de la préfecture de Fukushima : huit missions de 2 à 3 semaines ont été effectuées au Japon et plus de 120 entretiens auprès des habitants de Watari (ville de Fukushima), Nahara et Kawauchi ont été réalisés par Reiko Hasegawa (Science Po), Christine Fassert (IRSN) et Rina Kojima (ENPC). Ces différentes missions ont permis de rencontrer, parfois à plusieurs reprises, des habitants de retour dans leur ville d'origine après les levées d'ordre d'évacuation par le gouvernement, mais aussi des habitants qui ont évacué dans des lieux parfois éloignés de Fukushima (Kyoto, Nagasaki…). Elles ont permis également de rencontrer des représentants des autorités nationales et locales, et enfin des associations et des « contre-experts », notamment du monde « anti-nucléaire », qui ont joué un rôle important d'information et de soutien auprès des populations.

Ce projet s'appuie également sur l'examen d'une littérature grise (rapports ministériels, notes de travail, …) publiée uniquement en japonais, et sur un examen de la littérature scientifique également souvent non traduite en anglais.

Rapports disponibles

  • Téléchargez le rapport : 

    Ce second rapport analyse le déploiement de la politique post-accidentelle japonaise et les problématiques de retour et de non-retour dans les villages évacués. Il présente notamment :

    1. Une description détaillée de la politique menée par le gouvernement Japonais, et de déclinaison au niveau local.
       
    2. Une catégorisation des habitants sur le retour/non-retour dans les territoires évacués. La recherche a permis d'élaborer une catégorisation des habitants, en fonction de leur décision de revenir ou non dans les territoires évacués après la levée d'ordre d'évacuation par le gouvernement et les municipalités. Cette catégorisation montre la diversité des prises de position des habitants, en fonction de différents critères (âge, situation familiale, adhésion à la politique post-accidentelle, confiance dans l'évaluation de la situation radiologique, etc.). L'enquête de terrain examine l'impact concret de l'accident sur la vie des personnes, en fonction des choix de retour ou de non-retour : inquiétude sur les effets des radiations ionisantes, vie quotidienne dans un environnement contaminé, rôle et limites de la mesure de l'exposition radiologique, désaccords au sein de la famille sur les choix à faire, séparations (plusieurs cas de femmes ayant quitté la préfecture avec leurs enfants), difficultés économiques, rôle et limites de compensations financières, « reconstruction » du village, attachement (ou non) au territoire natal, inquiétude pour l'avenir, etc.
       
    3. Un focus sur le rôle particulier des maires et leurs difficultés. Les cas des maires de Naraha et Kawauchi sont étudiés en détail, sur la base d'entretiens avec les intéressés et l'équipe municipale. L'analyse montre comment ces élus locaux ont été « tiraillés » entre les demandes gouvernementales de « reconstruction rapide » et les intérêts souvent divergents des habitants des communes. Il est extrêmement difficile de faire ressortir/de s'adosser à la notion d'intérêt général pour la population, dans la mesure où des clivages très importants peuvent être observés entre les habitants quant à leurs besoins et souhaits, notamment entre seniors et familles avec de jeunes enfants.
       
    4. Une réflexion sur le rôle de l'expert sur l'évaluation du risque radiologique. Des entretiens ont été réalisés avec un expert en radioprotection de la CIPR, des médecins et responsables gouvernementaux qui reviennent sur leurs actions. Les réflexions abordées permettent d'interroger le rôle de l'expert (quelles limites à la volonté de rassurer ?) et montrent la difficulté d'intervenir dans un contexte très clivé, les positions sur le risque radiologique étant systématiquement associées à un positionnement sur l'énergie nucléaire.
       
    5. Le rapport conclut en confrontant à l'expérience de l'accident nucléaire de Fukushima un certain nombre de présupposés, sur lesquels repose la politique post-accidentelle définie par les institutions en charge de leur gestion : l'attachement « inconditionnel » des habitants au territoire, la commensurabilité du risque radiologique, et l'association opérée entre zonage et protection des personnes.

Les laboratoires IRSN impliqués

Laboratoires : LSHS

En savoir plus :