Savoir et comprendre

Paz : un outil d’aide à la gestion des territoires contaminés et des populations

24/07/2013

Après une catastrophe nucléaire, une fois la phase d’urgence passée, la vie doit reprendre autour de l’installation endommagée. Développé par l’IRSN, l’outil Paz permet de définir les périmètres pour la mise en place d’actions durables afin de protéger les populations tout au long de cette phase dite « post-accidentelle ».

 

Après une catastrophe nucléaire, les mesures draconiennes d’urgence doivent laisser place à une gestion des territoires sur le long terme. Il faut, par exemple, pouvoir indiquer aux personnes évacuées, lors de la phase d’urgence, si elles peuvent regagner leur domicile en toute sécurité. « C’est ce que permet l’outil Paz, développé par l’IRSN », détaille Anne-Christine Servant-Perrier, ingénieure agronome spécialiste du post-accidentel à l’Institut. « À partir des niveaux de dépôts radioactifs sur le terrain, Paz donne une estimation de l’exposition des populations et délimite les zones sur le territoire où des mesures spécifiques doivent être prises pour protéger les habitants. »

 

Trois zones pour un retour échelonné des populations

 

Cette doctrine de l’après-catastrophe est élaborée en France dans le cadre du Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle (Codirpa), mis en place en 2005 par l’Autorité de sûreté nucléaire à la demande des pouvoirs publics. 


Elle retient trois zonages, établis en fonction de la dose que recevraient les individus, en vivant « normalement » dans les territoires contaminés, et en fonction des normes définies au niveau européen concernant la commercialisation et la consommation des denrées alimentaires:

 

  • une zone de protection des populations (ZPP), au sein de laquelle il est justifié de mener des actions visant à réduire l’exposition à la radioactivité ambiante des personnes y résidant. Ce périmètre est défini dans un objectif de radioprotection de la population vivant dans les territoires les plus contaminés à partir de valeurs guides dosimétriques. Dans la ZPP, la circulation est libre a priori, excepté dans les forêts ou dans d’autres lieux de concentration des substances radioactives pour lesquels des restrictions d’accès pourraient être prononcées. Les denrées produites au sein de la ZPP ou issues de la pêche, de la chasse et de la cueillette sont interdites de consommation et de mise sur le marché, quel que soit leur niveau de contamination sur une période minimale d’un mois.

 

  • un périmètre d’éloignement (PE), dans lequel l’exposition des populations est jugée trop importante du fait des dépôts de radioactivité dans les milieux de vie. Cette exposition externe induirait une dose efficace de plus de 10 millisieverts (mSv) en un mois. Il est alors nécessaire d’éloigner les habitants, probablement pour une durée longue.

 

  • et enfin, une zone de surveillance renforcée des territoires (ZST), qui s’étend au-delà du périmètre précédent. Elle est caractérisée par une contamination de l’environnement plus faible ne justifiant pas la mise en œuvre d’actions de protection des populations. Cette contamination est néanmoins significative et peut affecter en particulier les denrées et les produits agricoles, justifiant la mise en place d’une surveillance spécifique de la qualité radiologique de ces produits. La contamination de certains produits agricoles et denrées peut en effet dépasser, même temporairement, les niveaux maximaux admissibles à caractère réglementaire, fixés au niveau européen pour réguler la mise sur le marché de ces denrées.

 

Prédire pour mieux protéger

 

Contrairement au Japon, où les actions post-Fukushima n’ont été décidées qu’une fois les premiers résultats d’analyses de l’environnement reçus, l’approche française de l’après-crise est fondée sur la prédiction et l’anticipation. Le mot d’ordre : dans un premier temps, agir au plus vite et, dans un deuxième temps, affiner les préconisations au fur et à mesure que les connaissances du milieu se précisent.

 

« Paz fonctionne en premier lieu sur la base d’estimations », explique l’ingénieure. « Les outils de crise de l’IRSN permettent d’évaluer rapidement les dépôts de radionucléides dans l’environnement à la suite d’un accident. Ces niveaux de dépôts alimentent l’outil et sont associés à un grand nombre de données locales : conditions pluviométriques, régime alimentaire des populations locales, cultures en place et stades de développement de celles-ci, zones de pâturage, types d’élevage, régime alimentaire du bétail.... À partir de ces informations, l’outil calcule les indicateurs nécessaires au dimensionnement du zonage post-accidentel, c’est-à-dire les niveaux d’exposition des populations et de contamination des denrées. Ce zonage est ensuite transposé sur une carte. »

 

D’où l’intérêt, en "temps de paix", de récolter un maximum d’informations sur les territoires limitrophes des installations nucléaires (recensement des productions agricoles, enquêtes alimentaires…) afin, en cas d’accident, d’ajuster au mieux les prédictions aux réalités du terrain.

 

Des études sont également menées à l’Institut pour évaluer la sensibilité des paramètres de calcul. « Ces travaux permettent de savoir quels sont les facteurs qui influent le plus sur le résultat final – car il faut être le plus précis possible – et ceux pour lesquels une estimation, même large, suffit à obtenir un calcul pertinent », commente Anne-Christine Servant-Perrier. De ces travaux, il ressort souvent que les habitudes humaines, notamment en matière de régime alimentaire, constituent un facteur particulièrement influent.

 

Un outil évolutif en amélioration constante

 

Le calcul Paz est lancé rapidement après une catastrophe pour anticiper la gestion post-accidentelle. Cependant, « le zonage est affiné au fur et à mesure que de nouvelles informations de terrain sont acquises », souligne-t-elle. « En ZST, des contrôles libératoires sont également mis en place pour débloquer les denrées les moins radiosensibles des interdictions de consommation et de mise sur le marché, à partir du moment où les mesures montrent que leur niveau de contamination est inférieur à la norme en vigueur ».

 

C’est en prévision de ces situations que l’IRSN travaille depuis 2010 à développer et améliorer l’outil Paz. La dernière évolution en date est d’élargir le périmètre de validité du modèle. « Les outils de crise se limitaient jusqu’alors à une échelle “courte distance”, entre 500 mètres et 50 kilomètres autour du point de rejet », développe Anne-Christine Servant-Perrier. « Depuis 2012, les outils de dispersion atmosphérique ont évolué et permettent d’évaluer les conséquences d’un accident nucléaire à l’échelle nationale, voire continentale. En 2013, la principale évolution pour Paz sera l’adaptation à cette grande échelle. Il s’agira, entre autres, d’optimiser les temps de calculs (les plus courts possibles, surtout en situation de crise) et la gestion en mémoire du grand nombre de données (paramètres et données de sortie) résultant de ces calculs sur de longues distances. »