Savoir et comprendre

Des expositions chroniques à la loupe

21/05/2012

Pour cerner les effets à long terme des irradiations et des contaminations chroniques à des faibles doses, les experts de l’IRSN investiguent les domaines de l’épidémiologie, mais aussi de la recherche expérimentale et clinique.  

Conduire des travaux scientifiques sur les effets d’une exposition chronique à de faibles doses n’est pas aisé. Les effets sont peu visibles et l’impact sanitaire éventuel ne peut être observé que sur le long terme. Par ailleurs, les études sont lourdes à mettre en place, soit parce qu’elles demandent de suivre de vastes cohortes [1] sur plusieurs dizaines d’années, soit parce que la recherche expérimentale est coûteuse et délicate à réaliser. Pour autant, ces travaux sont indispensables pour connaître et prévenir les risques sur l’homme.

 

Etudier des populations exposées

Personne n’imagine aujourd’hui se passer de l’imagerie médicale. À chaque radiographie ou scanner, le corps est soumis à un rayonnement ionisant. Cette exposition présente-t-elle un risque ? Pour le savoir, une étude portant sur 30 000 enfants de moins de 5 ans lors de leur premier examen irradiant a été lancée en janvier 2009 en collaboration avec 18 hôpitaux français. 

« En connaissant les examens subis par chaque enfant, on calcule les doses reçues. Puis, avec le registre national des cancers et des leucémies pédiatriques, on pourra identifier les enfants développant des cancers », explique Marie-Odile Bernier, chercheure à l’IRSN, en charge de l’étude. « Il est très important de travailler sur le suivi des enfants exposés car ils sont plus sensibles que les adultes aux rayonnements. Mais, les résultats ne seront pas disponibles avant plu sieurs années ! », ajoute le Dr Hervé Brisse, radiopédiatre dans le service de radiodiagnostic de l’Institut Curie à Paris et secrétaire scientifique de la Société d’imagerie pédiatrique et prénatale qui participe à cette étude.  

Les enfants sont aussi l’objet d’une étude sur l’exposition environnementale : « La question des leucémies chez les enfants vivant à proximité des centrales nucléaires remonte aux années 1980 », précise Dominique Laurier, chef du laboratoire d’épidémiologie de l’Institut. En 2008, l’IRSN a analysé près de 200 études scientifiques sur ce sujet. Conclusion: pas d’augmentation du risque de leucémies chez les 0-14 ans vivant à proximité d’une centrale. « Sauf qu’aucune de ces études ne fournit d’information sur les expositions de ces enfants ni sur leur histoire médicale » souligne-t-il.   

En collaboration avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’équipe de Dominique Laurier va s’intéresser à des enfants vivant à proximité de sites nucléaires. « Nous allons évaluer leur exposition à la radioactivité naturelle et croiser cela avec les registres nationaux de leucémies infantiles. » Pour Pierre Barbey, biologiste et membre de l’Association pour le contrôle de la radioactivité de l’Ouest (ACRO), « cette étude permettra d’apporter des réponses mais aussi de montrer qu’il subsiste encore beaucoup d’incertitudes ».  

Le lien entre cancer du poumon et radon est très étudié en matière d’exposition environnementale. Ce gaz radioactif naturellement présent dans l’atmosphère peut se trouver en quantité importante dans certaines habitations. Pour quantifier ce risque, l’IRSN a étudié « 600 personnes atteintes de cancer du poumon et 1200 ‘témoins’ (personnes du même âge, non atteintes de cette maladie) qui vivent tous en Bretagne et en région Centre, où l’exposition au radon est plus importante que dans le reste de la France », explique Margot Tirmarche, directrice d’évaluation et d’animation scientifique à l’IRSN et membre de comités scientifiques internationaux tels la Commission internationale de protection radiologique (CIPR).

Conclusion : il existe bien un lien entre le radon dans les maisons et le cancer du poumon. « Désormais, il nous faut convaincre le grand public qu’une bonne ventilation et parfois des interventions de professionnels de l’habitat sont nécessaires », précise-t-elle.

 

Un laboratoire dédié aux effets sanitaires des expositions faibles aux radiations.

A l’IRSN, une quinzaine de personnes mènent des études sur les effets sanitaires chez l’homme d’une exposition chronique aux faibles doses. Ils suivent des populations très diverses afin d’étudier tous types d’exposition : environnementale, professionnelle ou médicale.

Ces spécialistes travaillent au sein du Lepid, le laboratoire d’épidémiologie. Créé au début des années 1990, il est situé à Fontenay-aux-Roses. Actuellement, le Lepid s’intéresse à la relation entre la dose reçue et le risque d’apparition d’effets, à la variation d’un individu à l’autre du risque et aux pathologies non cancéreuses. 

 

Les travailleurs ne sont pas en reste

« Lors d’opérations de maintenance dans les centrales nucléaires, il peut y avoir exposition à de faibles doses, explique Camille Metz, chercheure sur les effets des irradiations externes à l’Institut. Elle est mesurée grâce au dosimètre individuel porté par les travailleurs. » Les chercheurs disposent des relevés annuels des salariés du CEA depuis 1946, de ceux d’EDF depuis 1961 et ceux d’Areva depuis 1976, soit plus de 70 000 personnes. Ces données sont croisées avec celles issues des certificats de décès émis en France depuis 1968.

« On constate que la dose moyenne cumulée d’exposition durant toute la carrière professionnelle de ces personnes est de 20 mSv, ce qui est très faible. Au CEA et chez Areva, 50% des travailleurs ont une dose indétectable. Pour déceler les risques liés à des doses aussi faibles, nous devons croiser cela avec d’autres cohortes. Ainsi, sur une quinzaine de pays, soit 400 000 travailleurs, on a pu montrer une association entre exposition professionnelle et risque de décès par cancers. En poursuivant ces études, nous saurons si les recommandations actuelles doivent ou non évoluer », résume Camille Metz. Plus la durée du suivi sera longue et plus les résultats de ces études seront pertinents.

 

Déterminer les effets sur un organisme vivant

Pour comprendre les mécanismes liés à une contamination chronique, les chercheurs du programme Envirhom étudient notamment des rongeurs, dont l’eau de boisson contient de l’uranium. « Neuf mois de contamination quotidienne chez un rat équivalent à vingt ans chez un homme par rapport à sa durée de vie », précise Isabelle Dublineau, chef du laboratoire de radiotoxicologie expérimentale à l’IRSN. 

« Grâce aux études expérimentales, nous maîtrisons tous les paramètres de vie et de contamination de l’animal. Cela nous permet d’être très précis par rapport à la quantité ingérée, et de ne pas interférer avec les effets d’autres polluants. Nous nous intéressons à la localisation de l’uranium dans l’organisme et aux réponses physiologiques. Quelles modifications sont observées, par exemple, au niveau du système cardio-vasculaire, du tube digestif, de l’immunité ou des fonctions du cerveau ? Comment les effets observés varient en fonction des doses, de la durée d’exposition ou du type d’uranium – appauvri, naturel ou enrichi ? »

Alors que l’os et le rein sont les principaux organes cibles lors d’une exposition aiguë, les résultats d’Envirhom ont montré que le système nerveux central, le foie et les organes reproducteurs (femelles) peuvent être également affectés. « Nous constatons une modification des métabolismes majeurs [2], ainsi que des fonctions cognitive (c’est-à-dire le système nerveux central, Ndlr) et reproductives [3] », explique Isabelle Dublineau. « Une contamination chronique à faible niveau par de l’uranium peut donc avoir des effets non cancéreux sur divers organes. Cette contamination, aux quantités ingérées, induit des effets biologiques de type adaptatif [4], qui ne conduisent pas à des pathologies. » 

Expérimentation sur le rat et la radioactivité. Test d'intelligence. ©Noak/Le bar Floréal/IRSN« Pour la première fois, nous avons montré qu’une contamination chronique par de l’uranium enrichi perturbe le cycle veille-sommeil des rats. Elle augmente leur niveau d’anxiété et de troubles de la mémoire. Avec une contamination équivalente par de l’uranium appauvri, l’état général n’est pas altéré », explique Philippe Lestaevel, spécialiste du système nerveux central à l’IRSN. « Nous avons aussi constaté des modifications du système cardiovasculaire lors d’une contamination par le césium 137, mais cela ne signifie pas forcément qu’il y ait pathologie. »

 

Envirhom, un programme étudie les mécanismes d’action de l’uranium.

Le programme d’études expérimentales Envirhom a été lancé en 2001 par l’IRSN pour permettre une meilleure évaluation des risques liés à l’exposition chronique de radionucléides à la fois sur l’environnement et sur la santé de l’homme. Entre 20 et 25 personnes par an travaillent sur l’axe santé.

« Il s’agit de mimer, chez des animaux, ce qui peut se passer dans une population soumise à une contamination chronique », explique Isabelle Dublineau, chef du programme Envirhom. « Nous menons des études descriptives afin d’acquérir de nouvelles connaissances et des études plus ciblées sur les mécanismes d’action de l’uranium. »

 

Suivre les populations des territoires contaminés

Un garçon passe un examen médical pour rechercher des arythmies cardiaques soupçonnées d'être engendrées par les radiations à faible dose.©Noak/Le bar Floréal/IRSN Après l’accident nucléaire de Tchernobyl, survenu le 26 avril 1986, l’exposition des populations a eu des conséquences sanitaires comme une augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde chez les enfants âgés de moins de 15 ans au moment de l’accident et vivant sur les territoires contaminés de Russie, Biélorussie et Ukraine. Certaines études menées en Biélorussie suggèrent que les enfants vivant sur les territoires contaminés, et plus particulièrement par du césium 137, présenteraient des pathologies inhabituelles, non cancéreuses telles que cataractes, anémies ou encore troubles du rythme cardiaque. 

En avril 2005, l’IRSN a décidé de lancer un programme de recherche appelé  Épice (Évaluation des pathologies induites par une contamination par le césium). Il suit les enfants vivant sur les territoires russes contaminés afin d’évaluer leur contamination par du césium 137. De plus, il est destiné à recenser les pathologies non cancéreuses, en particulier arythmies cardiaques et cataractes.

Il sera ainsi possible de confirmer ou infirmer l’existence d’un lien de cause à effet. Plusieurs phases préparatoires ont déjà eu lieu, permettant de valider la faisabilité d’une vaste étude épidémiologique. L’étude portant sur les arythmies cardiaques a été lancée en mai 2009. Elle concerne 18000 enfants, dont la moitié vit sur des terrains non contaminés. Les premiers résultats sont attendus pour 2013.

Notes :

1- Cohorte : ensemble d’individus suivis chronologiquement, à partir d’un temps initial donné, dans le cadre d’une étude épidémiologique. Une cohorte forme un groupe homogène choisi pour l’étude d’une pathologie. (Larousse médical).

2- Les métabolismes du cholestérol, des xénobiotiques (substances étrangères à l’organisme telles que les médicaments), des hormones stéroïdiennes, du fer, de la vitamine D. Par exemple, l’uranium perturbe le métabolisme de la vitamine D ce qui peut conduire à un risque d’augmentation de la fragilité osseuse.
3- Des études ont observé une baisse de qualité des cellules reproductrices femelles (ovocytes) sans modification de l’intensité de l’ovulation.

4- Le terme d’effets biologiques de type adaptatif est utilisé lorsque des perturbations sont constatées sans entraîner de pathologie ou de menace pour la santé ; l’organisme s’adapte à l’entrée de ce radionucléide.