Savoir et comprendre

L’expertise de l’IRSN dans le cadre du 4ème réexamen périodique des réacteurs de 1300 MWe

17/01/2024

Une stratégie d’expertise focalisée sur les enjeux de sûreté et tirant partie de l’expertise réalisée pour les réacteurs de 900 MWe

EDF exploite 20 réacteurs de 1300 MWe situés à Paluel, Saint-Alban, Flamanville, Cattenom, Belleville, Nogent, Penly et Golfech. En 2026, le réacteur n°1 de Paluel sera le premier à atteindre 40 années d’exploitation – hypothèse de durée de fonctionnement retenue à la conception - et à procéder à la visite décennale correspondant à son quatrième réexamen périodique de sûreté (RP4 1300). Les quatrièmes visites décennales des autres réacteurs de 1300 MWe s’étaleront ensuite jusqu’en 2034.

Cette phase de visites décennales est préparée par une phase générique d’expertise des études d’EDF par l’IRSN engagée en 2020 et qui se poursuivra jusqu’au début de l’année 2025, échéance à laquelle l’IRSN devrait être en mesure d’établir un avis de synthèse quant à l’atteinte par EDF des objectifs de sûreté fixés par l’ASN à l’occasion de l’examen du dossier d’orientation du RP4 1300 datant de 2019.

Frise chronologique du 4ème réexamen périodique 1300MWe

Pour mener à bien cette expertise technique dans des délais particulièrement contraints et dans un contexte de niveau élevé d’activités liés aux grands projets nucléaires en cours de développement en France, l’IRSN a défini dès 2021, en collaboration avec l’ASN, une stratégie d’expertise pour la phase d’études du RP4 1300. Dans la mesure où les objectifs de sûreté sont similaires, cette stratégie valorise fortement les acquis du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MWe (RP4 900) exploités par EDF. Elle se focalise sur les enjeux de sûreté les plus forts et sur les spécificités techniques des réacteurs de 1300 MWe.

Pour mémoire, le RP4 900 avait fortement mobilisé les équipes de l’IRSN qui ont produit une quarantaine d’avis entre 2017 et 2020, dont les conclusions ont été synthétisées dans l’avis n°2020-00053 du 31 mars 2020. Cette analyse avait représenté 200 000 heures de travail, soit plus de 130 équivalents temps plein travaillé. Elle a permis de conclure que le programme d’EDF pour le RP4 900 était de nature à répondre aux objectifs fixés par l’ASN, moyennant des recommandations de compléments significatifs à la démonstration de sûreté et de modifications d’installation.

En ce qui concerne le RP4 1300, le programme des expertises en cours porte notamment sur les sujets suivants, qui feront l’objet de réunions des Groupes permanents d’experts en 2024 :

  • la prise en compte des agressions d’origines internes et externes,
  • la maîtrise des accidents « graves » (avec fusion du cœur du réacteur) et la limitation de leurs conséquences,
  • les études des accidents du domaine de dimensionnement et du domaine complémentaire[1],
  • l’aptitude à la poursuite d’exploitation des cuves des réacteurs de 1300 MWe pour les 10 années qui suivent leur quatrième visite décennale.

En outre, depuis 2020, l’IRSN a produit des avis d’expertise technique portant, par exemple sur :

De nombreux autres avis d’expertise de l’IRSN sont prévus d’ici fin 2024, notamment sur les enseignements des études probabilistes de sûreté, sur le confinement des bâtiments des réacteurs, ou encore sur l’efficacité des revêtements composites appliqués sur les parois des enceintes pour améliorer leur étanchéité… 

Pour en savoir plus : Avis et rapports Réexamen de sûreté associé aux 4e visites décennales des réacteurs nucléaires de 1300 MWe (VD4-1300) | IRSN

Les spécificités des réacteurs de 1300 MWe par rapport aux réacteurs de 900 MWe font l’objet d’une attention particulière dans le cadre des expertises en cours pour le RP4 1300. On citera ici deux exemples :

  1. les réacteurs de 900 MWe sont dotés d’une enceinte de confinement à simple paroi recouverte en face interne par un liner métallique, qui en assure l’étanchéité. Le confinement des réacteurs de 1300 MWe est quant à lui assuré par une enceinte interne et une enceinte externe, toutes les deux en béton, séparées par un espace entre enceintes maintenu en dépression et permettant de collecter et filtrer les éventuels rejets. En l’absence de liner métallique, EDF rencontre sur certains sites des difficultés pour respecter le niveau d’étanchéité attendu de l’enceinte interne (qui fait l’objet d’une vérification par un essai à chaque visite décennale). EDF déploie depuis de nombreuses années une solution consistant à appliquer sur les parois de l’enceinte interne un revêtement en matériau composite. L’efficacité et la tenue en situation accidentelle de cette solution font l’objet d’un examen particulier, appuyé comme indiqué ci-dessous par des travaux de R&D.
  2. un des objectifs de sûreté du RP4 1300 (comme du RP4 900) est d’éviter, en cas d’accident avec fusion du cœur, la percée du radier en béton du réacteur résultant de l’ablation du béton par le corium en fusion. Selon les sites des centrales nucléaires, les bétons utilisés pour couler les radiers ont des propriétés différentes (en particulier ils contiennent plus ou moins de CO2) et leur capacité à résister à cette ablation varie. Les réacteurs de 1300 MWe de plusieurs sites ont des radiers avec peu de CO2 (bétons dits très siliceux) donc a priori plus sensibles au risque d’ablation. L’expertise par l’IRSN de ce sujet s’appuie également sur des travaux de R&D.

[1] Il s’agit de l’ensemble des études des incidents et accidents postulés dans la démonstration de sûreté résultant d’un événement initiateur unique (domaine de dimensionnement) ou d’une combinaison d’événements plausibles (domaine complémentaire). Ces études concernent le réacteur nucléaire et la piscine de désactivation du combustible nucléaire.


Une expertise s’appuyant sur la R&D pour les sujets les plus sensibles

Pour certains sujets d’importance particulière et qui requièrent des connaissances pointues, l’expertise de l’IRSN s’appuie sur des programmes de recherche, menés en propre ou dans le cadre de partenariats nationaux ou internationaux.

En cas d’accident avec fusion du cœur, EDF a prévu des modifications pour assurer le refroidissement du corium (cœur en fusion) et l’absence de risque de percement du radier en béton par le corium. La démonstration d’EDF de l’efficacité de ces modifications passe par des études utilisant des modèles dont la validité doit être éprouvée à l’aune de résultats expérimentaux représentatifs. Pour cela, EDF et l’IRSN sont partenaires du programme international ROSAU (Reduction of Severe Accident Uncertainties) réalisé sous l’égide de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), opéré par l’ANL (« Argonne national laboratory ») aux USA. Dès 2020, l’IRSN, EDF et l’ASN ont organisé un groupe de travail commun de manière à échanger sur l’interprétation des résultats des essais en anticipant sur leur valorisation dans les études de sûreté réalisées par EDF et analysées par l’IRSN.

En ce qui concerne l’efficacité et la tenue en situation accidentelle des revêtements en matériau composite des enceintes (voir plus haut), l’IRSN a lancé un programme expérimental afin d’évaluer le comportement de ces revêtements en situation accidentelle. Ce programme consiste notamment à faire subir à des échantillons représentatifs les conditions qui seraient rencontrées en cas d’accident (température, humidité, irradiation…) et à mesurer la perméabilité des revêtements, leur adhérence au support en béton…


Une expertise tenant compte des préoccupations de la société civile

Dans le cadre de sa politique d’ouverture à la société, l’IRSN s’est engagé depuis décembre 2022 dans un dialogue technique avec la société civile sur le 4ème réexamen périodique des réacteurs de 1300 MWe. Organisé par l’ANCCLI, l’ASN et l’IRSN, avec la participation des 7 commissions locales d’information (CLI) concernées et d’EDF, il a pour objectifs de favoriser l’accès à l’expertise de l’IRSN et de la rendre plus robuste en tenant compte des préoccupations sociétales. Il permet également d’impliquer le plus en amont possible les acteurs des territoires concernés, afin de les préparer à la concertation prévue en 2024 et aux enquêtes publiques locales qui concerneront chaque réacteur dans les prochaines années. In fine, ces initiatives permettront aux populations locales de participer dans la durée aux processus de prise de décisions sur ce réexamen, depuis la phase générique jusqu’aux phases spécifiques de chaque réacteur.

Les sujets techniques à traiter dans ce dialogue technique ont été définis sur la base des échanges avec les participants lors de la journée de lancement du 9 décembre 2022. Trois journées ont ensuite eu lieu, les 30 mai, 30 juin et 3 octobre 2023. Basé sur l’expérience acquise depuis 2014 dans le cadre du RP4 900, ce dialogue technique a permis de recueillir les questions et les préoccupations de la société civile sur plusieurs sujets techniques en cours d’expertise à l’IRSN et de pouvoir le cas échéant intégrer ces préoccupations dans l’expertise.

Pour en savoir plus : Dialogue technique RP4 1300


Questions - réponses

Parmi les questions posées lors de ce dialogue technique, l’IRSN répond ci-après à celles concernant les principaux enjeux et améliorations de sûreté de ce réexamen.

  • Réponse IRSN

    L’extension de la durée de fonctionnement des réacteurs électronucléaires en exploitation est un choix industriel d’EDF (officialisé en 2009).

    Le renfort des exigences de sûreté des réacteurs concernés est un point essentiel pour garantir le meilleur niveau possible de protection des populations et des territoires vis-à-vis des risques d’accident[2]. Le référentiel de sûreté défini pour les réacteurs de troisième génération, comme le réacteur EPR de Flamanville ou les futurs EPR2, a été considéré dès les premières instructions avec l’ASN et l’IRSN comme un objectif à viser en cas d’extension de la durée de fonctionnement des réacteurs actuels. Les leçons de l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi ont ensuite conduit à compléter les exigences relatives aux agressions externes de très forte amplitude.

    Pour réduire l’écart entre le niveau de sûreté du réacteur EPR et les réacteurs actuels, les axes de travail suivants ont été retenus en priorité :

    • le renforcement des sources d’alimentation électrique et de refroidissement,
    • le renforcement des systèmes de sauvegarde à des conditions d’agression extrêmes,
    • l’amélioration de la gestion à long terme d’un accident grave, la diminution des conséquences radiologiques des accidents sans fusion du cœur,
    • la prise en compte des scénarios d’accidents sans fusion du cœur retenus pour le dimensionnement de l’EPR (plus nombreux) et des délais postulés pour l’action des opérateurs dans ces situations (plus longs). 

    La volonté de se rapprocher du niveau de sûreté visé pour les réacteurs de nouvelle génération et de tenir compte du retour d’expérience de l’accident de Fukushima Daiichi a conduit EDF à proposer un programme ambitieux de modifications de ses installations.


    [2] Voir en particulier à ce sujet la Directive 2014/87/Euratom du Conseil du 8 juillet 2014 

  • Réponse IRSN

    À l’issue des quatrièmes visites décennales, des écarts vont subsister entre le niveau de sûreté de l’EPR et celui des réacteurs de 900 MWe ou de 1300 MWe post VD4, eu égard aux différences de conception significatives comme le nombre de trains de systèmes de sauvegarde, la disposition géométrique des enceintes de confinement et bâtiments adjacents (plus favorable à la récupération des fuites sur l’EPR), la cuve (absence de pénétration en fond de cuve sur l’EPR), la bunkerisation des piscines de désactivation du combustible, prévue à la conception sur le réacteur EPR mais non envisagée par EDF pour les réacteurs de 900 MWe et de 1300 MWe.

    Sur ce dernier point, pour l’IRSN, le renforcement au plus haut niveau possible des dispositions de prévention des accidents au niveau des piscines de désactivation est un enjeu majeur de ce réexamen dès lors que le projet d’EDF ne prévoit pas de renforcement du confinement de ces piscines.

    L’IRSN souligne l’ampleur des actions entreprises par EDF dans le cadre de ce réexamen pour rapprocher le niveau de sûreté des réacteurs de 1300 MWe de celui défini pour le réacteur EPR de Flamanville et mettre en place les renforcements matériels et organisationnels requis après les évaluations complémentaires de sûreté (ECS) menées après l’accident de Fukushima Daiichi. Les réacteurs de 1300 MWe seront par exemple équipés d’un dispositif de stabilisation du corium en cas de fusion du cœur et d’un système (EASu) permettant d’évacuer la chaleur hors de l’enceinte de confinement sans recourir au dispositif d’éventage et de filtration installé à cet effet dans le cadre des enseignements tirés de l’accident survenu à la centrale nucléaire de Three Mile Island en 1979. Les renforcements liés aux ECS doivent, grâce à un « noyau dur » d’équipements et une Force d’action rapide nucléaire (FARN), permettre la gestion de situations accidentelles, dites situations « noyau dur », qui seraient induites par des agressions d’ampleur extrême (séisme, inondation, vent…).